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Entretien | Marc Simoncini, fondateur de Meetic et de JAINA capital

La Fondation iFRAP a interviewé Marc Simoncini, fondateur de Meetic et, plus récemment, de JAINA Capital, une structure d'investissement en amorçage à destination des entreprises. "Jaïna investit les montants nécessaires afin d'accélérer le lancement de la start-up et d'atteindre justement le stade de capital développement où interviennent la plupart des fonds." Marc Simoncini dresse ici un tableau des problèmes en matière de financement au démarrage des entreprises et notamment l'absence de financement en amorçage.

Agnès Verdier-Molinié, Fondation iFRAP : Une fois vos premiers succès entrepreneuriaux, cela vous a-t-il paru naturel d'investir dans de jeunes start-ups ?

Marc Simoncini : Tout à fait, je joue le rôle du business angel depuis de nombreuses années, le but étant d'aider de jeunes entreprises financièrement mais surtout de les accompagner dans le développement de leur projet en les faisant profiter de mes diverses expériences. Il est très difficile pour un entrepreneur qui n'a pas déjà réussi de trouver de l'argent auprès de fonds classiques, et encore moins auprès de banques.

AVM : Pensez-vous que cette attitude soit également en cours chez les autres entrepreneurs français que vous connaissez ?

MS : Je fais souvent des co-investissements avec des entrepreneurs de ma génération qui ont réussi dans l'Internet en France, tels Xavier Niel de Free ou Jacques Antoine Granjon de Vente Privée. C'est une nouvelle attitude qui consiste à redonner une partie de ce que nous avons gagné et surtout à faire émerger des champions français. Nous avons en France de très bons ingénieurs et de très bonnes idées, il n'y a pas de raison que les succès de l'Internet ne soient que chez des entreprises américaines.

AVM : Y-a-t-il, selon vous, assez de fonds en France au niveau de l'amorçage entre 100.000 et 1 million d'euros ?

MS : Jusqu'à récemment, il n'y en avait pas. Il y avait un grand trou dans la chaîne de financement des jeunes sociétés, à la différence de pays comme les Etats-Unis où la culture du "super angel" (entrepreneur ayant fortement réussi et qui réinvestit une partie de sa fortune personnelle) est beaucoup plus forte. Pour une start-up, le "time to market" est critique et il est donc essentiel pour elle d'obtenir rapidement un financement suffisant afin de réussir son lancement d'activité. Or malheureusement, beaucoup d'entrepreneurs doivent passer de longs mois à lever de l'argent au détriment du produit et des clients. L'intérêt de "super angels" est de financer suffisamment une start-up dans des délais brefs afin de lui permettre de rester concentrée sur son activité pendant une période d'au moins 12 à 18 mois.

AVM : Cela vous parait-il exact de dire que le capital risque intervient essentiellement en capital développement et non en amorçage ?

MS : Tout à fait, c'est vraiment le cas en France où les fonds de capital risque font beaucoup plus de développement que du pur capital risque en amorçage, ce phénomène ayant été aggravé depuis l'explosion de la bulle. Mais la raison est aussi psychologique : dans l'amorçage il faut accepter le principe qu'il y aura beaucoup d'échecs. Ce n'est pas un principe d'investissement facile à adopter, car l'échec est "tabou" en France. Pourtant, c'est souvent à travers ses échecs qu'un entrepreneur se forge une expérience pour réussir son aventure. Il est aussi évident que ce modèle ne marche que si certaines de ces sociétés en amorçage réussissent suffisamment bien pour rembourser celles qui ont périclité.
Ce phénomène est d'ailleurs assez similaire aux Etats-Unis où les grands fonds de capital risque n'ont pas identifié au démarrage les dernières pépites Internet. Ce sont des fonds de super angels qui financent la plupart des sociétés Internet dans la Silicon Valley. C'est le capital risque en amorçage qui a permis de faire émerger des Facebook ou Twitter...

AVM : Quelles sont vos critères d'investissement ?

MS : Plus que jamais, dans l'amorçage, le critère essentiel est la qualité des entrepreneurs. Avec une bonne équipe, il est toujours possible de redresser la barre et de réussir dans un projet qui n'a finalement rien à voir avec le concept initial. En revanche, un bon projet a peu de chance de réussir si l'équipe n'a pas les compétences requises.

AVM : Pourquoi avoir créé votre propre structure d'investissement en amorçage ?

« Je joue le rôle du business angel depuis de nombreuses années, le but étant d'aider de jeunes entreprises financièrement mais surtout de les accompagner dans le développement de leur projet en leur faisant profiter de mes diverses expériences. »

MS : J'ai créé JAINA Capital en mars dernier justement pour répondre à ce problème de financement de l'amorçage. JAINA Capital se positionne exactement dans ce créneau du premier tour d'investissement entre la « love money » et le fonds classique qui investit souvent dans des sociétés qui ont déjà fait leurs preuves, et dans lesquelles le risque est bien moins grand. Jaïna investit les montants nécessaires afin d'accélérer le lancement de la start-up et d'atteindre justement le stade de capital développement où interviennent la plupart des fonds.

AVM : Pensez-vous que le gouvernement soutient suffisamment l'amorçage en France ?

MS : Oui, la France est un pays qui offre beaucoup de moyens pour démarrer une société à un coût réduit. Mais au-delà des subventions et des déductions fiscales pour les entreprises, un entrepreneur doit avoir les moyens de développer son produit et de gagner des marchés rapidement. Pour cela, la mise de départ des business angels n'est pas toujours suffisante face à la force de frappe de start-ups américaines. Je me réjouis de voir que le gouvernement a choisi d'allouer une partie du grand emprunt pour renforcer la capacité de financement des fonds d'amorçage dans les start-ups françaises et je milite pour qu'il le fasse dans le cadre d'un partenariat public-privé , en association avec des fonds d'entrepreneurs qui ont une forte culture du risque.