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Désintox sur la fin du trou de la Sécu

La gauche a-t-elle « sauvé la sécu » comme s’en vante la ministre de la Santé ? 10 milliards de diminution du déficit entre 2011 et 2016 (et non pas 17), d’un strict point de vue comptable c’est toujours bon à prendre. Mais cela n’a pas de signification. Parce qu’on ne peut pas suivre la ministre, qui, en plus de se parer des plumes du paon, nous livre des prévisions pour 2017 parfaitement contestables et contestées par la Commission des comptes et la Cour des comptes. FSV compris, le déficit pour 2016 est encore de 7,1 milliards, et pour 2017 ils croîtrait à 10,3 milliards, toutefois avant prise en compte des mesures nouvelles que le gouvernement estime à 4,05 milliards. A ne pas oublier non plus la dette sociale, logée dans l'ACOSS et la CADES, qui se monte à 152 milliards et dont le service aura coûté cette année plus de 16 milliards à la seule CADES. De toutes façons le gouvernement joue à fond sur la politique des vases communicants entre ressources publiques générales et ressources propres à la Sécurité sociale, de sorte que prendre en compte le seul déficit de la Sécurité sociale n'a guère de sens. Le plus grave est que finalement les réformes de fond ne sont pas engagées. 

La ministre de la Santé Marisol Touraine nous a donc annoncé le 22 septembre qu’en 2017 le « trou de la sécu » aura pratiquement disparu. Venant de 17,4 milliards en 2011, diminuant fortement jusqu’à n’atteindre que 3,2 milliards en 2016, il disparaîtrait presque totalement en 2017 pour ne pas dépasser 400 millions, l’ « épaisseur du trait » dit-elle.

Tout d’abord, on ne saurait nier les efforts accomplis d’un strict point de vue comptable (sans se prononcer sur la façon dont ils ont été obtenus et sur la dégradation des prestations qui en a résulté) pour diminuer le fameux « trou ». Entre 2012 et 2016 en effet, le déficit aura diminué d’environ 10 milliards, de 17,5 à 7,1 milliards, et il faut s’en féliciter. Sans pour autant suivre la ministre lorsqu’elle fanfaronne en prétendant qu’après la droite qui aurait « creusé le déficit », la gauche a « sauvé la Sécu ». D’abord parce que la Sécu n’est pas sauvée, et ensuite parce qu’une bonne partie de ce prétendu sauvetage n’est que le résultat de la réforme des retraites opiniâtrement combattue par la même gauche[1]

Première observation, la Sécurité sociale ne constitue qu’une partie de la protection sociale, laquelle est d’ailleurs la seule notion retenue dans les comparaisons internationales. Pour fixer les idées, en 2015 les charges du régime général et du FSV (fonds de solidarité vieillesse, qui gère les prestations vieillesse dites de solidarité par opposition aux prestations contributives) se sont élevées à 347 milliards, et les ressources affectées à 338 milliards, cependant que le coût de la protection sociale dans son ensemble s’élevait en 2014 (dernière année où le chiffrage est disponible) à 715 milliards. La différence est donc considérable, et lorsqu’on évoque la protection sociale dans son ensemble, il ne saurait être question de « trou » puisque par définition il n’existe pas d’équilibre entre recettes et dépenses s’agissant d’un ensemble de prestations financées par un ensemble hétéroclite de prélèvements obligatoires auxquels il faut ajouter la dette publique, et qui représente au total près de 34% du PIB de la France . On ne peut alors parler que du déficit global de la France, à l’intérieur duquel existe la Sécu mais aussi bien d’autres prestations. Or, comme on va le voir, les transferts de périmètre sont constants entre Sécurité sociale proprement dite et prestations sociales, de même que les transferts de ressources affectées à l’une et aux autres.

Deuxième observation, lorsque la ministre évoque un équilibre qui devrait s’établir à 400 millions près en 2017, elle ne fait allusion qu’au régime général de la Sécurité sociale. Déjà, notre étude "Le vrai chiffre du déficit social, 9 ou 18 milliards ?", fondée sur les prévisions de la Commission des comptes de la Sécurité sociale établies en juin 2016, faisait remarquer que la ministre « oubliait » dans son chiffrage à 400 millions, de tenir compte du déficit du FSV. Or ce dernier reste constamment, au moins depuis 2012, autour de 4 milliards, et devrait plutôt augmenter en 2017, de sorte que globalement le déficit du régime général et du FSV restent encore importants en 2016, à 7,1 milliards après 10,8 en 2015 (nous verrons ci-dessous ce qu’il faut penser des prévisions pour 2017). Encore faut-il réserver la position définitive qui sera prise sur une recette exceptionnelle en 2016 d’un montant de 700 millions que la Cour des comptes a déjà indiqué ne pas vouloir prendre en compte pour le calcul du déficit de 2016, ce qui risque d’augmenter ce dernier du même montant.

Par ailleurs, les déficits récurrents de la sécurité sociale ont conduit à l’accumulation d’une dette sociale globale qui est retracée dans le solde de trésorerie de l’ACOSS et dans les comptes de la CADES. Cette dette globale atteindra 152 milliards fin 2016. En 2016, les ressources de la CADES utilisées pour le remboursement de la dette auront dépassé 16 milliards, provenant en majeure partie à peu près également de la CRDS et de la CSG, ce qui montre l’importance du problème et la nécessité de ne pas aggraver le déficit.

La dette sociale. Le solde de trésorerie de l’ACOSS s’est quant à lui élevé à -28,5 Md€ au 31 décembre 2015, en dégradation de 1 Md€ par rapport à 2014, malgré une reprise de 10 Md€ de dettes par la CADES effectuée au premier semestre 2015 il devrait se réduire pour atteindre -16,3 Md€ en fin d’année 2016 sous l’effet d’une réduction de déficit du régime général mais surtout d’une reprise de dette importante par la CADES, pour un montant total de 23,6 Md€.

D’après la Commission des comptes de la Sécurité sociale, « si l’on ajoute à la dette de la CADES le déficit de trésorerie de l’ACOSS, le montant de la dette sociale s’élèverait à 152,1 Md€ fin 2016, soit 3,1 Md€ de moins qu’en 2015 (155,2 Md€).Les simulations réalisées par la CADES indiquent que l’intégralité de la dette transférée pourrait être remboursée en 2024…Cependant le déficit de trésorerie de l’ACOSS fin 2016, soit 16,3 Md€, ne fait l’objet aujourd’hui d’aucune solution de reprise et, compte tenu des déficits du régime général et du FSV prévus en 2017 et au-delà, il devrait encore s’accroître dans les années à venir. Si le faible niveau des taux d’intérêt à court terme limite aujourd’hui les frais financiers supportés par l’ACOSS, cette situation pourrait n’être que temporaire en cas de remontée des taux. »

Troisième observation, les prévisions pour 2017 sont affectées d’aléas très importants, et les calculs de la ministre ne sont pas corroborés par ceux effectués par la Commission des comptes.

Les prévisions de la Commission des comptes de la Sécurité sociale établies en juin 2016 évoquaient pour 2016 une amélioration du déficit de 1,7 milliard. Lequel atteindrait quand même 9,1 milliards, dont 6,8 milliards pour le régime général. Elles ont été très améliorées dans le rapport de la même Commission du 23 septembre, ce qui corrobore à peu de choses près les déclarations de la ministre pour 2016 (un déficit de 3,4 milliards pour le seul régime général d’après la commission, 3,1 milliards selon la ministre. Mais pour 2017, la Commission, qui ne se prononçait sur aucune prévision en juin, fait maintenant état d’un retournement de tendance.

Voici le tableau du solde du régime général et de la FSV de 2012 à 2017, tel qu’établi par la Commission des comptes dans son rapport du 23 septembre.

   

Ainsi, à l’opposé de la prévision ministérielle, au lieu d’une réduction à 0,4 milliard, le déficit rebondirait fortement à 6,2 milliards, soit 10,2 milliards avec le FSV, c'est-à-dire en retrouvant  le niveau de 2014. En réalité, il n’y a pas opposition, car la Commission se prononce « hors nouvelles mesures ». Dans le PLFSS pour 2017, ces nouvelles mesures sont estimées à 4,05 milliards, suivant le tableau ci-après :

Efficacité de la dépense hospitalière845 millions d'euros
Virage ambulatoire et adéquation de la prise en charge en établissement640 millions d'euros
Produits de santé et promotion des génériques 1430 millions d'euros
Pertinance et bonusage des soins1135 millions d'euros
Total4050 millions d'euros

Ceci amène deux remarques

Tout d’abord, le chiffrage de ces nouvelles mesures ne permet pas de réconcilier tout à fait les calculs de la Commission et les déclarations de la ministre, puisqu’en diminuant de 4,05 milliards les 6,3 milliards du déficit (hors FSV) calculé par la Commission pour 2016, on aboutit à 2,25 milliards et non à 0,4 milliard comme l’indique la ministre. Compte tenu de la complexité des transferts et des hypothèses retenues pour les nouvelles recettes, nous ne sommes pas en mesure de poursuivre plus loin l’analyse. Retenons cependant que le PLFSS évoque encore 1,5 milliard d’ « économies » résultant de la limitation des niches sociales, de nouvelles taxes sur le tabac, de la lutte contre les fraudes, de diverses économies de fonctionnement et d’effet de mesures antérieures…

La seconde remarque concerne la crédibilité de l’effet de ces mesures nouvelles – qui ne sont d’ailleurs pas vraiment nouvelles puisqu’elles sont essentiellement la continuation de réformes antérieures. Laissons sur ce point la Cour des comptes s’exprimer : « Les perspectives des prochaines années ne sont pas assurées. Aux incertitudes économiques s’ajoutent celles portant sur les économies de dépenses d’assurance maladie, eu égard aux biais importants de construction de l’ONDAM, au caractère imprécis des mesures du plan ONDAM 2015-2017, à la dynamique non maîtrisée des dépenses de soins de ville et aux nombreuses dépenses supplémentaires qui s’additionnent et devront notamment être financées à partir de 2017 ».

La Cour indique aussi qu’ « afin de réaliser effectivement les objectifs d’économies du plan triennal tout en prenant en compte l’effet des mesures nouvelles, et sans prendre en considération les incidences des négociations conventionnelles avec les autres professions libérales de santé, ce sont 2 Md€ d’économies supplémentaires par rapport aux 4,1 Md€ déjà programmés qui devraient ainsi être dégagées en 2017 ».

On sait maintenant que le gouvernement, contrairement aux préconisations de la Cour des comptes, vient de décider un relâchement de l’ONDAM[2] de 1,75% (taux de 2016) à 2,1%, ce qui signifie 1 milliard de dépenses supplémentaires par rapport au plan de stabilité communiqué aux autorités européennes, « une solution de facilité non exempte de risques » pour le président de la Cour. Selon ce dernier, « la réalisation effective de l’objectif de progression de l’ONDAM de +1,75% en 2017 aurait nécessité de limiter à +1,1% la hausse des dépenses d’assurance maladie pour tenir compte du coût des mesures en faveur de la fonction publique hospitalière et des médecins libéraux et neutraliser le biais de présentation de la réforme des prises en charge de cotisations ». Le relâchement de l’objectif, effectivement extrêmement tendu, va redonner un peu de respiration au gouvernement, mais au prix d’une augmentation de la dépense et du déficit de un milliard…à supposer encore que le nouvel objectif puisse être tenu. Alors, qu’en sera-t-il vraiment fin 2017 ?

Enfin, dernière observation, comme nous l’avons évoqué en commençant, la pertinence du calcul d’un déficit, donc d’un solde entre recettes et dépenses, suppose que le responsable de l’équilibre – en l’occurrence le gouvernement, ne soit pas libre de faire varier comme il l’entend les termes de cet équilibre.

Or tout a varié dans les termes de cet équilibre. D’abord le périmètre des dépenses : en particulier les profonds changements induits par le pacte de responsabilité ont beaucoup modifié le périmètre des ressources et des dépenses : en contrepartie de l’intégration financière du RSI et de la baisse des cotisations via l’augmentation des allègements généraux, la CNAM s’est vu attribuer la totalité du prélèvement de solidarité, une fraction du produit de la CSSS, et une partie du rendement du prélèvement à la source des cotisations et de la CSG sur les caisses de congés payés. Par ailleurs l’entrée en vigueur de la PUMa (protection universelle maladie) a augmenté de 23 milliards les produits et les charges de l’assurance maladie et induit de nombreux transferts de ressources fiscales.

De façon générale, les cotisations ne représentent plus que 55% des ressources de la Sécurité sociale, la CSG 16%, tandis que les impôts, taxes affectées (ITAF) et les autres contributions sociales, en constante augmentation, représentent 13%. Concernant ces derniers, les organismes de Sécurité sociale perçoivent l’essentiel de six contributions (prélèvements sociaux sur les revenus du capital, forfait social, taxes sur les tabacs (12 milliards), taxes sur les salaires, CSSS, taxes spéciales sur les contrats d’assurance). Or ces contributions soit sont récentes, soit ont été récemment augmentées, comme le forfait social. S’ajoute à cela le reversement d’une partie de la TVA : « La TVA nette joue le rôle d’une variable d’ajustement dans les transferts entre l’Etat et la Sécurité sociale. Au-delà de la fraction qui avait été transférée par l’Etat au titre de la compensation des allégements de cotisation sur les bas salaires, les recettes de TVA nette attribuées en 2014 à la CNAM avaient augmenté de 32% pour atteindre 11,8 Md€ »,nous dit la Cour des comptes. Au total les ITAF et autres contributions ont compté pour 63 milliards en 2015 contre seulement 38 milliards en 2011 de ressources du régime général et du FSV).

C’est dire combien sont mêlées les ressources du budget de la Sécurité sociale et celles du budget des administrations publiques dans leur ensemble, et combien est important le phénomène des vases communicants. Le gouvernement ajuste les ressources comme il l’entend afin de déshabiller Pierre pour habiller Paul.

Quant aux réformes nécessaires, elles restent encore dans le placard. Les deux principales branches de la Sécurité sociale sont de très loin la maladie –maternité et les retraites[3]. En ce qui concerne la première, la ministre actuelle a surtout économisé par les pratiques de déremboursement, mais ne s’est pas attaquée à l’essentiel problème hospitalier[4]. Quant aux retraites, à part de profiter des réformes de ses prédécesseurs et d’augmenter les cotisations, qu’a-t-on fait ? Maigre bilan…


[1] C’est ainsi que le solde de la CNAV, après un plus bas de près de - 9 milliards en 2010, doit afficher un excédent de 2,7 milliards en 2017.

[2] Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie

[3] Les deux autres étant la famille et les AT-MP, étant entendu que le risque chômage, géré par l’UNEDIC, ne fait pas partie du bloc de la Sécurité sociale.

[4] Comme le dit Frédéric Valletoux, président nouvellement réélu de la Fédération hospitalière de France, « Jamais les efforts d’économie qui nous sont demandés n’ont été aussi importants alors que nous attendons toujours les réformes structurelles qui devaient en être la contrepartie ».