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Des dénis économiques pour le restant du quinquennat

Les élections britanniques ont donc consacré la victoire inattendue de Cameron, pendant que l’Allemagne continue à bien se porter. Mais les réactions gouvernementales et socialistes sont sur le thème « circulez, il y a rien à voir ». Désolant, nous n’aurons rien d’autre pendant encore deux ans pour vaincre le chômage, et à vrai dire la lutte contre le chômage n’est pas une priorité du gouvernement, contrairement à ses affirmations. Car cette lutte ne se conçoit pas pour ce gouvernement sans le respect de l’autre priorité, qu’est la « justice sociale », c’est-à-dire un égalitarisme qui conduit à maintenir la préférence pour le chômage. Nous voici apparemment bloqués pour le restant du quinquennat dans un système qui ne connaîtra aucune réforme de fond pour briser les tabous et la doxa économique  qui empêchent d’avancer – et que le régime actuel se plaît à formuler jusqu’à l’absurde.

 

François Hollande, fort occupé sous le soleil des Caraïbes, a juste pris le temps de féliciter pour la forme David Cameron, non sans le mettre en garde sur le sujet du référendum anglais sur l’Europe et le respect des règles communautaires, leçon que l’Etat français n’est pas idéalement placé pour administrer.

Sinon, aucune réaction officielle française. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, était dimanche l’invité du Grand jury sur RTL. Se refusant sur le fond à saluer la performance politique aussi bien qu’économique de Cameron, il a tout de suite évoqué l’existence insupportable des contrats « zéro heure » pour terminer abruptement, le mot est un euphémisme, la discussion en affirmant qu’il ne saurait y avoir débat dans la mesure où le modèle social anglais était totalement à écarter. Cela rappelle le type de réaction que les mêmes socialistes nous réservent à propos de l’Allemagne : ce sont cette fois les « minijobs » qui pour eux démonétisent définitivement le modèle allemand. Le parallèle est frappant entre contrats zéro heure et minijobs, qui représentent pour chacun une partie des moyens utilisés avec succès pour faire diminuer le chômage. En face, La France propose quant à elle les contrats aidés du secteur public, dont les crédits sont en constante augmentation.

Première remarque, ni les contrats zéro heure britanniques ni les minijobs allemands ne constituent le fondement essentiel des réformes de ces deux pays, et vouloir s’y arrêter fait preuve d’une grave hypocrisie. C’est la baisse des dépenses publiques, plus encore que l’austérité, qui est au centre des politiques. En effet, le pourcentage de dépenses publiques par rapport au PIB n’a cessé de baisser au Royaume-Uni, notamment depuis l’accession au pouvoir de David Cameron en 2010, et les prévisions des années budgétaires 2015, 2016, 2017 et 2018 confirment cette tendance. Les coupes budgétaires induites par la réforme du système éducatif (introduction d’un forfait par élève, de la rémunération à la performance des enseignants, des écoles indépendantes) et du système d’aides sociales (fusion des 51 aides différentes en un crédit universel plafonné et fiscalisé) auront été les plus médiatiques… mais à l’heure de dresser un bilan des coupes, il apparait que c’est au niveau des collectivités territoriales que les économies les plus importantes sont réalisées. Vient ensuite la diplomatie britannique, les dépenses du ministère de la Culture, du ministère de la Justice, de l’Environnement et puis finalement de l’Intérieur.

Deuxième remarque, ni les contrats zéro heure ni les minijobs ne méritent le mépris ou la qualification d’esclavagisme dont on cherche à les affubler. Ils partent tous deux de la constatation qu’il vaut mieux un travail mal rémunéré qu’un chômage ou un minimum social  qui sont à la fois plus débilitants et moins rémunérateurs (jamais le RSA par exemple ne parviendra à lui seul à offrir un revenu comparable à un salaire minimum). Les contrats zéro heure sont au nombre d’environ un million[1], assurent un revenu moyen mensuel de 944 livres, et servent majoritairement de travail d’appoint pour les femmes et les retraités, ou les étudiants. Contrairement aux idées reçus, ces contrats offrent bien une protection aux signataires bien que leurs droits et les obligations de l'employeur soient minimaux. Même chose du côté des minijobs qui servent aussi beaucoup à titre d’appoint et permettent d’en exercer plusieurs à la fois. Plus de 7 millions de personnes ont signé un minijob en Allemagne dont 5 millions comme emploi unique (de cette catégorie, 1 million de signataires ont moins de 25ans et presque 2 millions ont plus de 55ans). Ces employés ne cotisent ni à la caisse de retraite, ni à l’assurance maladie mais l’employeur reste quand même chargé à 13% pour l'assurance maladie et à 15% pour l'assurance retraite. Des charges faibles étant donné que le salaire des mini jobs est plafonné à 400 euros par mois… mais rappelons que le nouveau salaire minimum allemand va leur être applicable et risque de restreindre leur intérêt.

Troisième remarque, qui sont au fond les meilleurs démocrates ? Angela Merkel et David Cameron sont confortablement réélus avec des politiques de réduction des dépenses publiques (bien plus que d’austérité), et de lutte contre le chômage qui, pour être incontestablement plus exigeantes pour les chômeurs, n’en sont pas moins beaucoup plus efficaces. Les socialistes perdent toutes les élections, la cote de confiance et de popularité du président est dramatique, et les seuls qui tireraient un peu moins mal leur épingle du jeu sont les réformistes Valls et Macron. Jamais les médias n’obtiennent de leurs interlocuteurs socialistes de réponse à la question de savoir s’il vaut mieux un travail mal rémunéré mais utile et dans le secteur marchand, plutôt qu’un chômage débilitant et décourageant, ou un emploi aidé dans des collectivités publiques dont on connaît d’avance la précarité du fait que seule la prise en charge de l’Etat à hauteur de 80%, nécessairement temporaire, le justifie ?

Les électeurs britanniques et allemands ont répondu quant à eux clairement à la question. Est-il vraiment sérieux de penser que les Français n’apporteraient pas la même réponse, si un gouvernement courageux s’avisait de balayer d’un grand coup les tabous du smic, de la rigidité[2] contractuelle et des 35 heures[3], et tant pis pour les réactions des syndicats qui exaspèrent les mêmes Français[4]? Si on cessait de prétendre que jamais un gouvernement n’a fait autant de « cadeaux » aux entreprises, alors qu’il n’a fait qu’apporter un peu d’air à ces entreprises asphyxiées par des années de fiscalité dévorante[5].

Deux niaiseries économiques parmi d’autres.

  • « 41 milliards pour les entreprises, seulement 3 pour les personnes ».

Comparaison qui n’a aucun sens. Dans le secteur marchand, la valeur ajoutée provient uniquement de la commercialisation de la production, et cette valeur ajoutée, calculée après paiement des intrants (consommations intermédiaires et impôts sur la production), est répartie entre salaires (à hauteur d’environ 70% en France actuellement en comptant les charges sociales, puis l’impôt sur les sociétés et autres contributions fiscales, le solde allant enfin aux investissements et à la rémunération des capitaux investis (intérêts des emprunts et capitaux propres). Ce sont donc les entreprises qui créent la richesse, et leur valeur ajoutée permet donc à 70% de rémunérer les salariés par les salaires directs et les salaires différés ou le jeu de la solidarité. Diminuer les charges des entreprises (les 41 milliards) est donc en réalité un « cadeau » fait aux facteurs de production dont les salariés, personnes qui profitent par ailleurs et en outre de la diminution des impôts sur le revenu. La part restant pour la rémunération des capitaux investis est évidemment absolument indispensable par ailleurs.

La comparaison entre les deux chiffres est donc absurde. Elle est en réalité le résultat d’une confusion de type marxiste faite entre l’entreprise et l’entrepreneur propriétaire et actionnaire, comme si diminuer les charges permettait de « remplir les poches » de ce dernier. Confusion hélas toujours entretenue en France.

  • « Imposer le capital comme le travail ».

Doxa mise à l'honneur par le président de la République dès son élection, mais qui constitue un autre amalgame ouvrant une comparaison entre deux valeurs sans rapport logique entre elles. Les revenus du travail représentent un flux permanent, le capital un stock qui s’épuise au fur et à mesure des impôts directs qui pèsent sur lui, notamment en France avec l’ISF dont le Conseil constitutionnel a toujours affirmé qu’il devait être acquitté indépendamment des revenus permettant d’en assurer la conservation. C’est tout le problème du financement des entreprises qui est donc posé, et qui a provoqué les diverses frondes des investisseurs qui n’ont obtenu qu’en très faible partie une amélioration de leur fiscalité. Mais jamais le président n’est revenu sur le principe dogmatique d’une imposition qui pèse en réalité bien plus sur le capital que sur le travail.

Quoi qu’en dise le gouvernement, la lutte contre le chômage n’est pas sa priorité, et ne le sera pas aussi longtemps qu’au nom de la justice sociale il croira que l’on peut offrir à tous les mêmes emplois que ceux dont profitent les « insiders » et les fonctionnaires. Au fond, l’individualisme forcené des Français, que relève l’ancien président de Saint-Gobain Jean-Louis Beffa, empêche les gouvernements de voir là où l’intérêt général se situe véritablement : non pas dans la course à l’égalitarisme par l’assistanat, mais par une recherche du développement économique fût-ce au prix de certaines inégalités, qui ont au moins l’avantage d’éviter le nivellement par le bas dans un contexte de baisse de compétitivité et de perte de richesse généralisée. Un égalitarisme que les socialistes prennent idéologiquement pour l’expression suprême de la démocratie et de l’intérêt général, sans même se demander si le peuple français dans sa majorité s’en fait la même idée.


[1] Les statistiques oscillent entre 600.000 et 1,4 million d'employés sous contrats zéro heure, voir la note précédente sur le sujet.

[2] Le seul espoir de progrès réside dans la tentative annoncée de réforme de la négociation collective, dont nous avons dénoncé la semaine dernière le caractère malheureusement insuffisant compte tenu des instructions données à la mission Combrexelle.

[3] Sur ce point, comment les mêmes socialistes peuvent-ils continuer imperturbablement à soutenir que le problème de la grève qui couve dans le secteur des hôpitaux, et qui serait pour le coup absolument insupportable pour les Français, n’a rien à voir avec les 35 heures ?

[4] Syndicats dont les prétentions se nourrissent de l’illusion entretenue de la recherche d’un impossible consensus tenue en échec patent.

[5] Même s’il est exact que le gouvernement actuel n’est qu’à moitié responsable, mais se servir des erreurs passées comme d’une justification et d’un tremplin pour en ajouter encore est pire : perseverare diabolicum.