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Crise sanitaire : tout ne se résume pas au nombre de lits d’hôpitaux

Nos 6 lits d’hospitalisation pour 1.000 habitants contre les 8 en Allemagne sont devenus le signe et la cause de notre médiocre performance face au Covid-19. Un sujet qui n’est pas nouveau ; depuis toujours, les syndicats hospitaliers et les élus locaux réclament plus de lits. Et pour tout regroupement d’hôpitaux dans une structure moderne, leur objectif lancinant est de ne pas perdre de lits. La très performante et sociale Suède ne possède pourtant que 3 lits pour 1.000 habitants.

En temps normal, un meilleur filtre des entrées aux urgences, un séjour moins long de la majorité des personnes hospitalisées et une sortie plus rapide vers des structures appropriées, expliquent la baisse générale du nombre de lits hospitaliers classiques.

En temps de crise, ce qui est critique, c'est la capacité d'adaptation et de reconfiguration des services hospitaliers comme cela a été réalisé. Et la mutualisation entre régions, entre médecine de ville et médecine hospitalière, et entre établissements de soins publics et privés, ce qui a été plus chaotique.

Sur ce sujet, les comparaisons internationales de l’OCDE sont incertaines : des pays comptent les lits d’hôpitaux au sens strict, d’autres y ajoutent les lits de convalescence, de soins de suite, voire de maisons de retraite médicalisées, surtout si ces services cohabitent sur le même site. On a vu avec le Covid-19 que la classe des lits de soins intensifs et de soins intensifs avec respirateur, sont des catégories en elles-mêmes, et que des lits d’une classe peuvent être rapidement transformés en une autre classe en cas de besoin. La notion de lit est d’ailleurs réductrice, c’est celle de poste de soins qui serait pertinente.

 

 

Nombre de lits pour 100 000 hab

Dont lits de soins intensifs

/100 000 hab

Dont  lits publics

/100 000 hab

Dont lits privés et non-profit

/100 000 hab

Personnel hospitalier ETP

/100 000 hab

Médecins hospitaliers ETP/ 100 000 hab

Allemagne

800

600

326

475

1213

205

France

598

300

368

230

1750

196

 

Nombre de lits d’hôpitaux pour 1.000 habitants (source OMS, données 2012 ou 2013)

 

France

Germany

Israel

China

Italy

Japan

Korea

Singapore

Spain

Sweden

Switzerland

2013

6,5

8,3

3,1

4,2

3,4

13,4

10,3

2,1

3,0

2,6

4,7

2000

8,2

9,1

3,7

-

4,7

-

-

3,7

3,6

6,3

Sur cette période de 13 ans, quand la France réduisait son nombre de lits de 21%, la Suède et la Suisse qui partaient de nombres beaucoup plus faibles, les ont réduits de 28 et 25%.  

Hors période de pandémie, le nombre optimum de lits est contraint par des facteurs qui évoluent en sens contraire :

  • Pour un besoin croissant de lits : les deux facteurs les plus importants sont la croissance de la population en France (55 millions en 1981, 67 millions en 2020, +0,5% par an désormais), et son vieillissement. Le pourcentage du nombre de personnes de plus de 75 ans a augmenté de 63% depuis 1981. Même si leur santé est nettement meilleure que celle des générations précédentes, les multi-pathologies sont fréquentes aux âges élevés ;
  • Pour un besoin décroissant de lits : le facteur qui plaide au contraire le plus, est le développement très rapide des traitements et chirurgie ambulatoires. L’objectif de 75% de chirurgie ambulatoire est impressionnant mais crédible, étant atteint depuis 20 ans dans plusieurs pays étrangers, notamment grâce à des interventions peu invasives dont la France a été pionnière. Il n'est encore que de 40% même à l’AP-HP. Souvent, cela se traduit par une division par deux ou trois des durées de séjour à l’hôpital, et donc du nombre de lits nécessaires.

Pour des cas plus complexes qui nécessitent quelques jours d’examens complémentaires ou de surveillance légère, Martin Hirsch, a lancé le débat dès 2017 dans le chapitre Hôtel ou hôpital ? de son livre, L’hôpital à cœur ouvert. Il propose de coopérer avec des hôtels proches des hôpitaux où les patients résideraient, à un coût divisé par cinq. "L'hôpital, grand hôtel où l'on vient dormir et se faire soigner, c'est moins le modèle dominant aujourd'hui", explique-t-il. Une nouvelle méthode pour diminuer le nombre de lits des hôpitaux, qui est devenue soudain réalité avec la crise du Covit-19.

Cela rejoint un autre problème dont se plaignent les soignants, à savoir la difficulté à gérer l’aval[1] : difficulté de trouver une place où transférer les personnes une fois traitées et qui n’ont plus rien à faire à l’hôpital, qu’il s’agisse de centres de soins de suite (rééducation), d’EPHAD, des maisons de retraite, ou des familles. A l’occasion de la crise actuelle, on a vu réapparaître le rôle des bed managers dont on pensait qu’ils avaient été mis en place en 2013 au cours de la crise précédente. L’hospitalisation à domicile est une autre évolution majeure qui suppose toute une organisation de soutien au patient et à ses proches, mais qui est positive pour le moral du malade et lui évite les risques de maladies nosocomiales. Même des soins complexes (ex. certaines chimiothérapies) peuvent être réalisés à domicile. Des solutions qui ne sont pas gratuites mais sont beaucoup moins coûteuses que des lits d’hôpital.      

Dans cette crise du Covid-19, la question du nombre de lits se repose différemment :

  • On a vu que les autorités ont su mobiliser les ressources des établissements de soins pour augmenter rapidement le nombre de lits de réanimation : la France comptait 5.000 lits de réanimation avant la crise, elle en a compté jusqu'à 14.000 au plus fort de la crise selon le ministre, Olivier Véran, jamais plus de 7.000 ayant été utilisés jusqu'à présent. Des chiffres certes très en-deça de l’Allemagne qui en comptait 28.000 avant la crise et qui en compte 40.000 aujourd’hui selon la Société hospitalière allemande, dont 30.000 équipés de respirateurs. Le 31 mars 2020, 45% de ces lits étaient disponibles selon le ministre de la Santé Jens Spahn ;
  • Les ARS ont également travaillé à préserver des marges de manœuvre dans les régions les plus touchées pour éviter la saturation des services de réanimation et procèdent à des transferts, notamment par trains sanitaires. Mais une politique qui a négligé pendant un mois les médecins de ville laissés sans directives et sans équipements, et s'est heurté à l'hostilité du monde hospitalier envers les hôpitaux privés à but non lucratif et contre les cliniques privées. Comme le montrent de nombreux témoignages de la presse régionale (voir en fin de cette note), des établissements qui avaient entièrement reconfigurés leurs services conformément aux injonctions gouvernementales, ne recevaient aucun malade quand les hôpitaux voisins disaient être débordés ;
  • En cette période de crise, le nombre de lits n’est pas non plus le seul déterminant de la qualité de réponse à la crise : d’abord parce que les régions les plus frappées par le Covid n’étaient pas forcément celles les plus équipées. Ce qui importe finalement c’est la capacité d’adaptation du système de santé. En Gironde, on comptait 183 lits de réanimation mais rapidement le nombre de lits a été adapté, le CHU de Bordeaux annonçant par exemple avoir dégagé 300 lits équipés de respirateur (à ce jour 90 patients étaient en réanimation pour le département de Gironde, pour un pic autour de 102/103 semaine du 11 avril). Partout, des services classiques d’hospitalisation et des cliniques se sont transformés pour offrir des lits de soins intensifs. Des transferts de malades ont aussi été programmés. Ainsi la Corse du Sud ne comptait que 10 lits en réanimation mais a compté jusqu’à 24 personnes en réanimation obligeant à des transferts.

Mais paradoxalement, la crise du Covid montre aussi que tout ne se résume pas à une question de nombre de lits de réanimation :

L’Allemagne justement s’est appuyée sur une politique massive de tests et de mises à l’isolement des personnes identifiées positives, afin d'éviter la propagation de la maladie. En France, à l’inverse, les ARS en voulant libérer des lits, ont renvoyé chez elles des personnes mais qui ne nécessitent plus de soins. Mais des personnes encore contagieuses aggravant le risque de contamination intra familiale selon William Dab, ancien directeur général de la santé au journal Le Monde. Plusieurs voix se sont élevées pour que ces personnes soient isolées afin qu’elles ne contaminent pas autour d’elles, par exemple dans des hôtels transformés en structures d’accueil. Un point de vue partagé par le président du groupe Covid-19 de l’Académie de médecine, le Pr Buisson : « En ce moment les hôtels sont pratiquement vides de leurs occupants habituels. Le principe, déjà appliqué en Italie, est qu’ils reçoivent des patients à mettre en isolement. Chaque patient occupe une chambre et n’en sort pas. Soit pendant une quatorzaine, s’il a été seulement en contact avec un malade, soit s’il est lui-même malade avec une forme modérée de la maladie, jusqu’à ce que deux tests par PCR négatifs aient confirmé sa guérison. Mais un hôtel Covid-19 peut aussi accueillir des malades qui ont été hospitalisés mais dont l’état permet la sortie, là aussi pour le temps de leur convalescence. Les visites seraient bien sûr strictement déconseillées. »

Conclusion

Toutes les énergies et tous les talents sont actuellement concentrés sur le traitement de la crise.  Une fois la crise terminée, il sera nécessaire d’étudier les résultats des méthodes de préparation et d'action appliquées par les différents pays. Le nombre de lits hospitaliers n'est certainement pas un facteur déterminant pour expliquer les écarts de résultats entre pays, la France n'ayant jamais manqué de lits de soins intensifs grâce au dynamisme de ses équipes. 

On se plaint souvent du manque de politique commune entre tous les pays européens : c’est grâce à cette diversité qu’il sera possible de voir les avantages et les inconvénients des politiques suivies par des pays aux populations homogènes et aux services de santé comparables, comme la France, la Suède, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie, le Royaume-Uni, la Suisse, l’Espagne ou l’Autriche.

Témoignages presse régionale et nationale

Au démarrage de la pandémie, on a effectivement constaté que les patients arrivaient en masse dans les hôpitaux publics tandis que les cliniques et hôpitaux privés étaient peu sollicités. 4 000 lits en réanimation et soins critiques ont été libérés par les établissements de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP). Auxquels s’ajoutent près de 500 lits mis à disposition par les établissements de soins à but non lucratif (Fehap). Lamine Gharbi, président de la FHP avait indiqué par communiqué que 100 000 interventions chirurgicales non-urgentes avaient été déprogrammées au sein des hôpitaux privés afin de libérer des places et avait regretté pourtant que « dans plusieurs régions y compris parmi les plus touchées, des lits de réanimation et de soins critiques libérés dans les cliniques restent vides ou sous-occupés ».

« Globalement, les relations entre dirigeants d’établissements publics et privés se passent très bien, entre médecins aussi, constate Philippe Tourrand, vice-président du groupe Louis-Pasteur, qui regroupe cinq cliniques sur le territoire lorrain (900 lits) et a lui-même accueilli des patients de Mulhouse et de Colmar. Par contre, je trouve scandaleux de voir des patients envoyés à Toulon, à Bordeaux ou dans l’Ouest alors que nous avons fait de gros efforts pour vider nos établissements et arrêter toutes nos activités. On conçoit qu’il faille prévoir une vague, mais quand vous avez des lits vides et que vous apprenez dans la presse la mise en place d’un train sanitaire, vous vous posez des questions. » (Le Monde, 31 mars)

Pour les transferts, notamment en trains sanitaires, il s’agit d’une mesure d’anticipation : « C’est d’abord pour éviter que nos équipes ne craquent et ensuite pour éviter d’atteindre 100 % d’occupation, car le jour où on est complet, on est bloqués », explique Anne Muller, directrice de l’offre sanitaire à l’ARS Grand-Est.

« Ça va mieux, mais combien de jours de perdus ? » se désole Thierry Amouroux. Le porte-parole du syndicat des infirmiers SNPI reproche « à la technostructure, au gouvernement et aux agences régionales de santé » leur « impréparation » pour intégrer plus tôt le privé dans la réponse sanitaire. (Public Sénat, 1er avril)

« Je travaille aux urgences et c’est aussi le constat qu’on fait », assure Clothilde Ollier, membre de l’Union fédérale CGT de la Santé privée. « On s’attendait à un afflux, et ce n'est toujours pas le cas alors que les cliniques sont prêtes à accueillir du monde » (France 3 Grand Est, 25 mars). 

À la polyclinique de Besançon, les lits aménagés pour gérer les patients touchés par le coronavirus restent vides, alors que certains malades du CHRU sont transférés à l’autre bout de la France. Incohérence ? Pour la directrice de l’établissement Raphaëlle Remoleur : « Depuis le début, la position de la polyclinique n’a pas changé : il est préférable que les patients Covid soient pris en charge au CHRU Minjoz, où les locaux et le matériel sont plus adaptés, et où le personnel est mieux formé pour le Covid. Tout est fait pour absorber la croissance de cette vague de malades. Si cette vague dépasse la capacité du CHRU et des centres hospitaliers périphériques, on prendra alors notre part ici » (Est Républicain, 1er avril).

À Troyes aussi ces difficultés de conciliation existent mais face à la crise sanitaire, elles ont étés mises de côté. Sans attendre de la direction du Centre hospitalier une entente avec les cliniques privées, les médecins se sont coordonnés entre eux. Chirurgien-plasticien à la polyclinique Montier la Celle, le docteur Mazhar Hamati raconte : « Au départ, l’hôpital public voulait gérer la crise tout seul. Alors on s’est imposé : le 16 mars, on a organisé une réunion inter-établissement et mis en place une coopération » (France 3 Grand Est, 25 mars). 

Il existe cependant des différences selon les régions avec des situations où cela se passe bien : C'est le cas en Moselle, où elle « fonctionne très bien », à Amiens, à Ajaccio, à Orléans ou encore Rennes (France Bleu, 27 mars). Ou encore sur la Côte d’Azur.

Romain Bazin, anesthésiste-réanimateur dans une clinique privée en périphérie de Bordeaux qui compte 200 lits, dont 12 de réanimation, explique lui aussi être au chômage technique depuis le 16 mars. « On n’a pas de nouvelles de l’ARS, le problème c’est que ce sont les directeurs d’hôpitaux qui gèrent les flux de patients. Il y a des difficultés pour communiquer avec l’hôpital, on s’est inscrits sur des listes pour prévenir nos confrères réanimateurs de nos disponibilités, et on n’a pas vraiment de retour. » (Le Monde, 31 mars)

Vu l'aggravation de l'épidémie dans le pays, le nombre de patients va continuer à augmenter dans les structures privées. "On essaie de solliciter le plus tard possible les gens dont ce n'est pas la spécialité. Mais personne n'y coupera, malheureusement", soulignait un porte-parole de l'ARS Île-de-France mardi à l'AFP. Pour Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fehap, la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs, "il y a eu un 'retard à l'allumage'', mais les lits des hôpitaux privés commencent à être "bien occupés". "L'idéal serait de ne pas reproduire ce qu'il s'est passé en région Grand-Est. N'attendons pas que les hôpitaux publics soient surchargés et leurs soignants épuisés", prévient-elle. (France Bleu, 27 mars)

Nouvel Hôpital de Nantes : Pourquoi y aura-t-il moins de lits ?

C’est l’un des principaux points d’inquiétude soulevés par les syndicats. Le futur hôpital de Nantes disposera de 1.380 lits, soit 200 de moins qu’actuellement (1.100 à Hôtel-Dieu, 500 à Laënnec). « Tous les services ont déjà du mal à trouver des lits. Avec une population qui va augmenter et surtout, vieillir, on va droit dans le mur », estime Olivier Terrien, secrétaire de la section CGT.

Note : ce texte est extrait du site officiel du futur hôpital de Nantes. Planifié depuis dix ans cet hôpital sera opérationnel dans dix ans. Sur cette seule période, la baisse du nombre de lits sera donc de moins de 1% par an.   

 

 

 


[1] Un problème qui concerne aussi l’amont où les urgences sont surchargées par des cas sociaux qui n’ont pas trouvé de place dans des structures appropriées.