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Conférence sociale : où est passé l'emploi ?

Feuille de route sociale : plus d’interventionnisme, plus de réglementation.

La conférence sociale du 19 octobre n’était pas achevée que paraissait la « feuille de route sociale », destinée à guider le programme du gouvernement et des partenaires sociaux pour l’année à venir – donc en pratique pour la fin du quinquennat. Un document de 28 pages sur lequel il est donc important de se pencher malgré son caractère quelque peu rébarbatif. La feuille de route est publiée sous le logo de la « conférence sociale pour l’emploi ». Sans aller trop loin dans le détail de ce qui y est prévu, nous nous interrogeons sur les mesures « pour l’emploi » que ces 28 pages sont donc censées contenir. Nous y trouvons surtout l’interventionnisme généralisé de l’État, davantage de réglementation du droit du travail, et le renouvellement de dispositifs de politique de l’emploi qui n’ont pour le moins pas fait preuve de leur efficacité. Et nous n’y trouvons pas les simplifications du droit du travail qu’on espérait, et bien au contraire on nous avertit que durée du travail, contrat de travail et Smic continueront de faire partie du socle intangible de ce droit du travail.

L’introduction du document donne la ligne directrice des réformes : « L’urgence sociale, celle du chômage et de la précarité, impose des réponses immédiates. Mais nous devons aussi nous projeter vers l’avenir et repenser notre modèle social, afin qu’il apporte des protections et des droits adaptés au monde nouveau ». Un modèle social qui « doit reposer sur deux bases : des protections mieux adaptées, par la création du CPA (compte personnel d’activité,[…] Le CPA sera un atout pour nos entreprises en encourageant la mobilité et la prise de risque et en favorisant la montée en compétitivité de notre économie, et un droit du travail accordant une plus grande place à la négociation collective… ». On voit tout de suite comment on demande au train de la lutte contre le chômage de prendre l’aiguillage de la protection du salarié et du développement du dialogue social.

Le document développe successivement quatre thèmes de réflexion :

  • « Agir pour l’accès et le retour à l’emploi, en priorité pour les jeunes et les chômeurs de longue durée »

Il s’agit là de la création ou de l’intensification des nombreux dispositifs du volet « demande » de la politique de l’emploi, dispositifs qui sont, selon l’économiste Yannick l’Horty citant le ministère du travail, au nombre de 73.

La feuille de route évoque maintenant le « droit à la nouvelle chance » des jeunes, avec l’abondement spécial de leur CPA, la garantie jeunes, les actions particulières de retour en formation et le parrainage vers l’emploi, un redéploiement de l’apprentissage, des nouveaux contrats de professionnalisation pour les chômeurs de longue durée, le renforcement de Pôle emploi…

En d’autres termes, un activisme toutes directions tendant à renforcer et renouveler des politiques de l’emploi tournées vers l’employabilité, et dont le rendement marginal est très douteux. Comme le remarque Yannick L’Horty, il manque d’abord à cette politique d’être évaluée du point de vue de son efficacité[1].

  • Stimuler la croissance, créer les emplois de demain, monter en compétence : le renouveau de notre modèle productif

Le gouvernement insiste sur ses initiatives pour soutenir les innovateurs : ouverture des données publiques (les textes ne sont pas encore passés…), plan très haut débit (couverture du territoire d’ici 2022), le rôle de la BPI, les PIA, la Nouvelle France Industrielle…Concernant la transition énergétique, le CNEFOP (Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles, organisme créé fin 2014, et dont la composition, publiée par arrêté, comporte pas moins de 121 membres !!) « sera chargé d’établir les besoins en emploi et en compétences » grâce à des études d’impact « permettant à l’ensemble des partenaires d’anticiper les mutations en cours et à venir ». On retiendra que la « plateforme RSE » de France Stratégie, commissariat placé auprès du Premier ministre, assurera le suivi des engagements pris par les entreprises dans le cadre de la conférence COP 21, et préparera la conférence internationale sur la responsabilité des donneurs d’ordre. Nous avons aussi une politique industrielle qui s’articule autour du conseil national de l’industrie (CNI) et d’Industrie du futur, qui ont vocation à s’occuper de la formation, notamment dans le cadre des filières.

Sous cette tête de chapitre, est aussi mentionné le volet « offre » de la politique de l’emploi, avec les allègements fiscaux et parafiscaux du pacte de responsabilité et de solidarité (33 milliards en 2016 et 41 milliards en 2017). Ce que la feuille de route en retient, c’est l’insuffisance des accords de contreparties conclus dans les branches, qui ne couvrent actuellement que 4,7 millions de salariés. On y trouve là une claire menace adressée aux partenaires sociaux : « Dans les branches où les négociations n’auront pas suffisamment avancé, l’État pourra décider de la mise en place d’une commission mixte paritaire sous l’autorité d’un de ses représentants, assurant la présidence des séances de négociation ». Immixtion de l’État sur le sujet des contreparties, dont les partenaires ont toujours souligné la non-pertinence.

  • Sécuriser les parcours professionnels autour du compte personnel d’activité

Le gouvernement transmettra à la fin d’octobre un document d’orientation aux partenaires sociaux , dans le cadre du dialogue social imposé par l’article 1 du code du travail, en vue d’une loi qui doit être adoptée au premier semestre 2016, avec un imposant agenda de réformes tout au long de l’année.

Il est donc trop tôt pour commenter ce futur CPA, qui soulève à deux titres l’inquiétude des entreprises : Quel en sera le coût d’abord, et quels bouleversements cela entraînera-t-il dans les rapports sociaux ? Avec le compte pénibilité, cette nouvelle initiative du gouvernement n’est certainement pas de nature à rassurer les entreprises sur ce à quoi elles s’engagent en embauchant.

  • Construire le droit du travail de demain

C’est le thème le plus médiatisé. Manuel Valls en a dessiné les contours lors de son intervention à l’issue de la conférence sociale. La feuille de route souligne le peu de lisibilité du droit du travail, ainsi que son inadaptation aux nouvelles formes de travail. On ne peut qu’applaudir.

Mais le document en conclut que « Le défi est triple : assurer aujourd’hui l’égalité des salariés (lutte contre les discriminations, couverture conventionnelle, etc.) ; donner à l’entreprise la souplesse nécessaire pour s’adapter ; créer les protections de demain ». Suivent plusieurs pages ayant trait à la lutte contre les discriminations, réduction forcée du nombre de branches en assurant une « régulation de la concurrence entre les entreprises » ( ?), en luttant contre le « recours abusif au détachement », en remédiant aux « inégalités en matière de santé et d’espérance de vie à travers le compte de prévention de la pénibilité, et la réforme de la médecine du travail et en privilégiant la prévention », en promouvant la qualité de vie au travail à l’ère du numérique (revoir le régime du télétravail, codifier la jurisprudence pour sécuriser la mise en œuvre du forfait-jours, créer un droit à la déconnexion), en créant et en faisant respecter les normes internationales du travail (référence à l’effondrement du Rana Plaza en Inde).

À ceux qui se demandent où figurent les efforts de simplification et de lisibilité du droit, et qui seraient tentés de voir dans cette énumération la promesse de nouvelles réglementations venant encore alourdir le code du travail, on dira que se prépare effectivement une nouvelle articulation de ce code : « le socle des droits et des principes fondamentaux garantis par la loi et auxquels il ne peut être dérogé; des dispositions relevant des accords collectifs; les règles qui viennent suppléer l’absence d’accord ». Mais « il ne s’agit pas d’inverser la hiérarchie des normes, ni de remettre en cause la durée légale du travail, le CDI ou le Smic ». Autrement dit, il s’agit de principes auxquels on ne pourra déroger, même avec l’accord des partenaires sociaux. Quelle sera en fin de compte le spectre des dérogations permises ? « Une concertation sera engagée entre les partenaires sociaux » en 2016, nous dit-on. Partenaires dont on connaît, en tout cas pour deux d’entre eux, l’aversion totale à l’égard de toute flexibilité de la loi, laquelle doit être « la même pour tous », comme le soutient le leader de la CGT.

Conclusion

Les 28 pages de la feuille de route détaillent des réformes dont les deux maîtres mots sont interventionnisme et réglementation (« réglementationnisme », si l’on pardonne ce néologisme) à tous les étages. Surtout, en quoi cette feuille de route s’intéresse-t-elle à l’emploi, qui est censée être sa priorité affichée ?

On trouve certes des dispositifs nouveaux ou réitérés d’une politique de l’emploi tournée vers la demande, dont l’efficacité n’a jamais été établie et dont le rendement marginal est de plus en plus restreint au fur et à mesure de leur multiplication. À quand une sérieuse évaluation de ces dispositifs ?

On trouve par ailleurs un développement d’initiatives dirigistes à base d’organismes censés déterminer où sont les besoins d’innovation, besoins que les entreprises privées ne seraient pas capables de définir par elles-mêmes. Ce genre de planification n’a que rarement été suivi de succès. On sourit à l’évocation des 121 membres du CNEFOP dont on se demande à quel résultat il pourra parvenir.

On trouve encore une longue litanie de protections et droits nouveaux accordés aux salariés, qui devront être définis dans des textes d’application nécessairement impérative (sans dérogation possible), venant inévitablement allonger et alourdir le Code du travail.

On trouve enfin des menaces lourdes exercées sur les entreprises, comme l’intervention de l’État dans la détermination des contreparties au CICE, dont on croyait s’être débarrassé, ou les dépenses supplémentaires que ne manqueront pas d’entraîner le CPA ou le compte pénibilité.

Mais on ne trouve pas de mesure susceptible de favoriser le développement des entreprises et leur décision d’embaucher, outre le pacte de responsabilité sur lequel pèsent malheureusement de nouvelles menaces. On sait en revanche que durée du travail, contrat de travail et Smic ne pourront pas faire l’objet de flexibilité, et que la simplification du droit du travail n’est pas à l’ordre du jour.


[1] : « Sans doute faut-il redire en premier lieu que chaque nouvelle réforme est coûteuse. Une réforme nouvelle est toujours un constat d’échec sur l’ensemble des réformes antérieures. Son premier effet est d’ajouter de l’instabilité et de l’illisibilité, là où les acteurs du marché du travail ont besoin de stabilité pour asseoir leurs anticipations. Réformer, c’est accepter de payer un coût réel et immédiat pour un gain hypothétique et différé. Il est donc important de réfléchir aux conditions de soutenabilité et de pérennité des réformes afin de privilégier des réformes durables, que beaucoup d’experts qualifient de structurelles. À défaut, le risque est de mal réformer, d’introduire de faux changements qui laissent intacts les vrais problèmes et la nécessité ultérieure de conduire des vraies réformes. Dans le domaine de l’emploi comme dans d’autres domaines de l’action publique, par exemple la fiscalité ou la protection sociale, la quantité de réformes peut paraître numériquement impressionnante alors que sur le fond les choses changent peu. C’est sans doute le pire des scénarios ». In Débats du LIEPP, octobre 2015.