Actualité

CIMAP du 17 juillet 2013 : le manque de vraies économies devient préoccupant

Le troisième Cimap (comité interministériel pour la modernisation de l'action publique) qui vise à approfondir la modernisation de l'action publique déjà déclinée dans ses deux précédents volets fin 2012 et au printemps 2013, affiche une contribution à la réduction des déficits publics de 3 milliards d'euros pour 2014. Cependant, les vraies économies sur les dépenses, elles, se font attendre : stricto sensu, elles devraient représenter un volume de 500 millions d'euros. La répartition proposée est en effet la suivante :

- 1,5 milliard d'euros devrait concerner les « aides aux entreprises », il s'agit de dispositions prises à la suite du rapport « Jurgensen » rendu par l'IGF en juin dernier.
- 1 milliard d'euros s'agissant de la politique familiale, en réformant le dispositif d'abattement du quotient familial, dans le droit fil du rapport Fragonard rendu au gouvernement en avril 2013.
- 550 millions d'euros enfin, en s'attaquant directement à certains dispositifs fiscaux notamment en réformant le soutien à l'alternance.
- Enfin pas moins de 201 mesures de simplification, dont cette fois l'impact sur l'économie réelle, la vie des administrations, des particuliers et des entreprises n'est pas connue en termes de coûts, d'économies (charges évitées) et d'effets sur la croissance [1].

1) Quelques maigres économies identifiables, mais surtout des impôts :

Le risque, c'est que l'effort porte en définitive une fois de plus davantage sur le montant des prélèvements obligatoires que sur une baisse réelle des dépenses publiques, donc davantage sur la couverture de ces mêmes dépenses que sur leur attrition.

- Sur le volet des 1,5 milliard à trouver s'agissant des aides aux entreprises, 310 millions vont être recherchés sur les taxes affectées aux chambres consulaires. Il s'agit de la méthode la plus simple pour le gouvernement dans la mesure où parmi les aides aux entreprises, les ITAF (impôts et taxes affectées) représentent seulement 7,5% de l'ensemble des « aides aux entreprises ». Cette réduction va simplement permettre de rediriger la recette vers le budget de l'État, pas de baisser les dépenses.

Par ailleurs, les niches fiscales représentant 45% des 40 milliards d'aides aux entreprises identifiées par le gouvernement, la tentation est forte de s'appuyer davantage sur la réduction des niches que sur de vraies économies. Pour preuve, le troisième Cimap les mobilisent à raison de 700 millions d'euros, soit autant de recettes supplémentaires. La non-taxation des bénéfices des SIIC (sociétés immobilières d'investissement cotées) est de celles là, elle devrait rapporter 180 millions d'euros. Cette mesure visera en définitive à augmenter les recettes d'IS. Seront par ailleurs mobilisés : la fiscalisation des biocarburants de première génération, le « recentrage » des exonérations sociales outre-mer, les réductions des soutiens au prix du gazole non routier [2].

Sur le champ des collectivités locales dont les interventions en direction des entreprises sont excessivement diversifiées (plusieurs milliers pour un volume d'aide de 6,5 milliards d'euros), l'effort demandé par le gouvernement (sur la base du volontariat) pourrait permettre de dégager pour près de 400 millions d'euros (-7% de leurs dispositifs). Il s'agit là véritablement d'une baisse réelle des dépenses publiques.

- La réforme de la politique familiale choisie par le gouvernement en touchant au quotient familial d'après le suivi de recommandation du rapport Fragonard, ne procurera aucune baisse de dépenses publiques. La réforme qui escompte une augmentation de l'IR mécanique de 1 milliard d'euros, ne touchera pas au gisement constitué par les 12,43 milliards d'euros d'allocations familiales sans conditions de ressources (sans même parler des 43 milliards d'euros de prestations familiales restantes attribuées déjà sous conditions de ressources). Pire, il ne s'agit pas d'une niche fiscale dans la mesure où il s'agit simplement de ne pas distordre le barème progressif de l'IR au détriment des familles avec enfant [3]. La raison de cet alourdissement de la fiscalité est bien connue, il s'agit de compenser le déséquilibre occasionné par le financement des avantages familiaux de retraites par la branche famille [4], ainsi que d'assurer le financement de dispositifs additionnels. Cette recette fiscale supplémentaire est donc déjà amplement gagée.

- La réduction de 550 millions d'euros sur le soutien à l'alternance. [Dans un premier temps, il a été soutenu qu'il s'agissait sans doute de la remise à plat des dispositifs de niches fiscales (crédits d'impôts en faveur de l'apprentissage, et au titre d'exonération d'impôts sur le revenu des apprentis [5]). En réalité l'effort serait plutôt d'après le relevé de conclusions, porté sur les subventions attribués par l'Etat via la région aux entreprises. Il s'agirait donc bien d'une économie en dépense (touchant des subventions).] Visiblement, le gouvernement fait en fin de compte marche arrière sur le rabot appliqué à ce dernier dispositif. En définitive les économies devraient être moindre et osciller sur ce champ entre 250 et 200 millions d'euros [6].

2) Le vide « sidéral » des économies générées par les démarches de simplification :

L'annonce des 201 mesures de simplification aurait mérité au moins de la part du gouvernement une tentative de modélisation des économies et des effets « multiplicateurs » attendus, au bénéfice des pouvoirs publics comme des particuliers et des entreprises. On se souvient d'ailleurs que le mérite des rapports Lambert/Boulard sur l'inflation normative et Mandon sur l'environnement fiscal et réglementaire des entreprises était précisément de mettre l'accent sur l'importance de cette évaluation en termes de gain pour l'ensemble des acteurs en présence. Par ailleurs, nous savons que désormais c'est à la Directrice à la simplification au sein du SGG (secrétariat général du gouvernement) avec le concours des services de la DGCIS que revient la tâche d'effectuer les études économiques et budgétaires du choc de simplification (notamment au travers du Test PME). Il est pour le moins curieux qu'aucune donnée économique ne soit mise en avant pour concourir à en préciser les effets. Par ailleurs, le relevé de conclusion précise que "le Gouvernement a informé le Parlement […] et lui transmettra (…) les rapports de diagnostic des évaluations". Ces rapports existent donc bel et bien avec des anticipations sur les effets que chaque mesure du choc de simplification pourrait occasionner. Il est dommage que leur publication au fil de l'eau ne soit pas elle aussi véritablement participative et rendue publique. Par ailleurs, en marge du CIMAP viennent d'être lancées une nouvelle vague de simplification et la création d'une véritable norme One In/One out, disposition annoncée déjà depuis au moins 2 ans [7].

3) La RéATE est toujours absente des mesures d'économies :

Enfin, il est particulièrement curieux que la RéATE (la réforme de l'administration territoriale de l'État) ne produise toujours aucun fruit en termes d'économies sur les dépenses des administrations déconcentrées. Enterré, le rapport remis à Manuel Valls par la mission de réflexion et de concertation autour de l'évolution du réseau des sous-préfectures, et devant préciser la cinquantaine qui devaient être concernées. Pourtant des rapports publics cette fois, et relativement nombreux, ont précisé les gains qui pourraient être attendus d'un redéploiement des services déconcentrés de l'État sur le territoire. La Cour des comptes en 2012 dans son rapport annuel, mais également l'IGF avec ses réflexions autour de l'optimisation des modalités de gestion budgétaire et de gestion des ressources humaines, ainsi que le récent rapport Rebière/Weiss sur la stratégie d'organisation à cinq ans de l'administration territoriale de l'État, remis début juillet au gouvernement. Les pistes d'économies ne sont pas négligeables. Cependant une restructuration des réseaux administratifs déconcentrés ne serait pas neutre. Le dernier rapport précise qu'un alignement indemnitaire à travail comparable pour les fonctionnaires « déconcentrés » ayant des responsabilités équivalentes, issus de ministères différents, pourrait avoir un coût de 125 millions d'euros environ, ce qui devrait être mis en balance avec des économies en cas de suppression de 28% des sous-préfectures inférieur à 70 millions d'euros selon nos calculs. Cependant la remise à plat des services déconcentrés pourrait permettre des économies beaucoup plus substantielles en attaquant de front l'ensemble de la RéATE, mais risquerait d'inquiéter les collectivités territoriales, alors même que le gouvernement vient juste de faire entériner son Pacte de Confiance [8] avec les élus locaux [9], ce qui devrait se traduire également par une hausse de la fiscalité sur les mutations immobilières.

Conclusion :

La mise en évidence des efforts au sein des 3 milliards d'euros « d'économies » identifiées n'est pas réellement favorable à la mise en œuvre de vraies économies en dépense. Ce sont les niches fiscales qui sont au premier chef mobilisées, donc en réalité une plus grande productivité de l'impôt. Leur montant cumulé pourrait avoisiner les 1,1 milliard d'euros. Seuls les 400 millions d'euros réclamés aux collectivités territoriales dans le cadre d'une « meilleure coordination des acteurs locaux par les lois de décentralisation », devrait en réalité toucher véritablement à la dépense (des subventions). L'augmentation des impôts elle, concernerait la fiscalité du gazole (pour un montant non encore déterminé), et la réforme du quotient familial. Avec 400 millions d'euros dont la plupart reste encore conditionnée au bon vouloir des acteurs territoriaux et 550 millions d'euros sur l'apprentissage dont on sait qu'ils ne devraient pas dépasser les 250 millions à 300 millions d'euros, les « efforts » d'économies se révèlent extrêmement maigres, ils représentent selon les hypothèses retenues entre 13,3% et 30% dans le meilleur cas de l'ensemble des efforts documentés.

Les économies viendront-elles alors des 200 mesures de simplification annoncées ? Pas davantage semble-t-il car là encore, alors même que l'on s'attendrait à obtenir les chiffrages des études d'impact des réformes proposées, on ne connaît pas les effets [10] sur l'administration, les particuliers et les entreprises, notamment en termes d'allègement de charges (de paperasserie administrative), d'économies sur les supports (dématérialisation) ou d'accélération des procédures (réduction des délais, inversion du sens donné au silence gardé par l'administration (qui vaut désormais acceptation)), etc. ; dommage, cela aurait permis sans doute de mieux documenter les économies à réaliser et de pouvoir, pourquoi pas, les réconcilier avec celles déjà annoncées par le gouvernement s'agissant du PLF 2014 (9 milliards sur le champ de l'État, rien que cela !). Pour l'instant nous restons donc encore largement dans le flou, d'autant que la RéATE (réforme de l'administration déconcentrée de l'État), après de premiers diagnostics encourageants, semble désormais au point mort.

[1] Voir en particulier le dernier rapport de la Mission parlementaire de simplification de l'environnement fiscal et réglementaire des entreprises, le rapport Mandon, remis le 2 juillet 2013.

[2] La situation du budget au 31 mai 2012, montrait un repli de la TICPE (sur les carburants) de 2,9% par rapport à 2012. Le gouvernement a annoncé qu'il effectuerait un arbitrage sur la fiscalité privilégiée notamment en direction du diésel par rapport à l'essence. L'alignement complet devrait normalement rapporter entre 3 et 4 milliards d'euros/an sur le papier, sauf à constater un fléchissement dramatique des taxes affectées. Le gouvernement a sans doute proposé un rapprochement très progressif générant peu de recettes complémentaires afin de ne pas trop perturber le marché. Mais il s'agit toujours de taxes en plus ! voir http://www.performance-publique.bud… p.3

[3] C'est un argument que développe très clairement Henri Sterdyniak sur le site de l'OFCE : http://www.ofce.sciences-po.fr/blog…. Pour une lecture comparée avec le remplacement du quotient par une prestation uniforme de 607 euros qui viole le principe d'universalité de la politique familiale, voir http://www.hcf-famille.fr/IMG/pdf/A… , p.42 et suiv.

[4] Voir rapport d'étape de la Cour des comptes, sur le financement de la branche famille, p.45 et suiv.

[5] Voir en particulier, http://www.senat.fr/rap/a12-151-8/a… donnant des pistes dans le Budget 2013 rapport Travail et Emploi.

[6] En clair il s'agissait de supprimer l'indemnité compensatrice de formation. A la suppression totale pure et simple, le gouvernement propose d'y substituer une compensation ciblées sur les TPE évaluée entre 250 et 300 millions d'euros.

[7] Voir la circulaire du Premier ministre, n°5668/SG du 17 juillet 2013.

[8] Fidèle à sa méthode, le gouvernement qui prône la concertation vient tout juste d'obtenir de ses partenaires locaux la signature du Pacte de confiance qui devrait entériner pour 1,5 milliard d'euros de baisse des transferts normés aux collectivités (dont 750 millions d'euros de tendanciel pour tenir l'enveloppe à zéro valeur), contre une garantie s'agissant des allocations de solidarité (essentiellement APA (allocation personnalisée d'autonomie), PCH (prestation de compensation du handicap) et du RSA qui serait progressivement rebasculé sur l'État), d'un montant inverse de 2,2 milliards d'euros chaque année. Bilan, des dépenses supplémentaires pour 2014 en direction des collectivités territoriales qui seront partiellement gagées par des économies au niveau de l'État (830 millions d'euros) mais aussi par 1,3 milliard d'euros de prélèvements obligatoires supplémentaires.

[9] Voir en particulier le relevé de conclusion. En réalité, les redéploiements seront les suivants : 830 millions d'euros prélevés sur les frais de gestion des impôts locaux, 830 millions d'euros qui devront être répercutés en termes de contrainte sur le budget de l'État + relèvement de la fiscalité sur les droits de mutation de 3,8% à 4,5% ce qui devrait représenter 1,3 milliard de recettes supplémentaires (théoriques pour les départements si tous relevaient leurs droits de mutation au plafond) : http://www.gouvernement.fr/sites/de…

[10] Qui pourraient d'ailleurs paradoxalement parfois coûter plus cher : la simplification d'une disposition d'allocation peut diminuer les cas de non-recours ce qui in fine peut conduire à coûter plus cher à la puissance publique. Voir sur ce sujet le rapport "Sirugue" http://www.gouvernement.fr/sites/de…, sur la question de la fusion PPE-RSA.