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CDD : le bonus-malus, une mauvaise idée

Voici resurgir le serpent de mer, avec une déclaration du ministre de l’Economie sur la même lancée que précédemment mais plus nettement encore. Avec aussi une prise de position de notre prix Nobel, Jean Tirole, dans le même sens. La menace devient plus précise au fur et à mesure que le temps passe et qu’une entente au niveau des branches entre les partenaires sociaux paraît s’éloigner, avec l’opposition farouche du patronat. Le ministre évoque à la fois l’imposition d’une indemnité de licenciement et celle d’un malus pour les employeurs qui « abusent » du recours au CDD. A notre sens, le problème est mal posé et le ministre a tort de crier à l’abus et de brandir la menace de la pénalisation. Le CDD est nécessaire, et s’il coûte trop cher à l’Unedic, ce sont les règles d’indemnisation qu’il faut changer, pas le recours au contrat !

D’abord les faits

Les motifs du recours aux CDD.

Voici ce que conclut un rapport de la DARES (direction des études du ministère du travail) datée d’octobre 2017 : « Lorsque l’on interroge les établissements sur les motifs qui déterminent leur choix de recruter en CDD plutôt qu’en CDI, près de sept sur dix indiquent que leur besoin était limité dans le temps, un motif attendu compte tenu de la législation sur le CDD. Mais le recours au CDD est aussi pour plus de six établissements sur dix le moyen de tester les compétences du salarié avant de le recruter durablement. Enfin, plus de la moitié des établissements optent pour le CDD plutôt que pour le CDI afin de limiter les risques en cas de ralentissement de leur activité, notamment dans le secteur de la construction. Un peu moins de la moitié des établissements ayant recruté en CDD invoquent le poids de la réglementation du CDI – coût financier d’un licenciement, formalités en cas de rupture ou incertitude liée aux recours juridiques. Ce sont les établissements de moins de 10 salariés qui indiquent le plus souvent recruter en CDD pour éviter cette réglementation (55 % contre 33 % de ceux de 10 salariés ou plus). Les établissements dotés d’un service des ressources humaines mentionnent moins fréquemment les contraintes réglementaires du CDI pour expliquer leur recours au CDD. »

Ainsi voit-on que les trois motifs prioritaires de recours aux CDD doivent pouvoir être considérés comme légitimes. Le premier est celui voulu par la loi, le test des connaissances vient remédier à la rigidité de la période d’essai, et tenir compte du souci de limiter les risques permet les embauches. Eviter le poids de la réglementation des CDI n’est invoqué qu’en quatrième position, par 45% des employeurs.

Les secteurs qui ont le plus recours aux CDD.

Ce tableau, aussi issu de la DARES et repris par l’Unedic, montre que les CDD les plus courts (quelques jours) sont la spécialité des secteurs des arts et spectacles, de la santé et du secteur médico-social et de l’édition –audiovisuel-diffusion. Le gouvernement est-il certain de vouloir considérer ces secteurs, particulièrement sensibles, comme « abusant » du recours aux CDD, et les pénaliser en premier lieu ?

D’autre part le recours aux CDD est aussi la spécialité du secteur public, dont les abus sont bien connus, même si une réglementation est intervenue pour donner aux salariés ayant enchaîné pendant six années des CDD successifs (durée triple de celle du secteur privé) l’option de contracter un CDI. D’abord balayer devant sa porte…

Parler d’imposer un bonus-malus dans ces conditions paraît hors de propos. C’est d’abord mettre les employeurs – une fois de plus- dans une situation de fautif qui doit être sanctionné, alors qu’il agit dans l’intérêt respectable de l’entreprise. C’est ensuite vouloir discriminer entre le recours « abusif »  et le recours légitime au CDD. Tâche impossible. Il est injustifié de trancher à la hache et de désigner des secteurs où a priori tous les recours seraient légitimes par opposition à ceux où ils ne le seraient pas, surtout que comme on l’a vu les secteurs où le recours est le plus important ne sont pas ceux où opèrent de puissants groupes. En réalité, s’il est exact que des abus sont commis, le jugement doit s’effectuer au cas par cas, en fonction de la nature du poste, des nécessités de l’employeur, de sa fragilité, etc.

C’est pourquoi imposer un jugement extérieur en vue d’une pénalisation extérieure n’est pas la solution. On se retrouve en fait pris dans le même piège que celui de la cause réelle et sérieuse du licenciement : à vouloir la faire apprécier par des juges qui n’en ont pas la compétence, on crée une très grande incertitude pour l’employeur, incertitude qui a été la raison de la forfaitisation de l’indemnité pour rupture abusive du contrat de travail (approuvée d’ailleurs par Jean Tirole)… et qui peut aussi être le motif du recours au CDD (que le même n’approuve pas…).

Plutôt s’attaquer aux avantages exorbitants que pénaliser

Le contrat unique, prôné par ceux qui voudraient créer une situation intermédiaire entre le CDD et le CDI, n’est pas une solution crédible. A partir du moment où l’on se refuse à légiférer sur la cause réelle et sérieuse du licenciement – et la forfaitisation de l’indemnité réparatrice n’est qu’un pis-aller,  on ne parviendra jamais à définir un juste milieu, qui ne déplaise ni aux partisans du CDI universel parce qu’il est trop souple, ni aux usagers occasionnels du CDD parce qu’il est trop rigide.

Quant au contrat à acquisition progressive de droits, il ne répond pas non plus au problème, car la durée du contrat n’est pas un paramètre concluant.

A l’origine des abus commis dans le recours aux CDD, il importe simplement de se demander pourquoi ces CDD sont recherchés, à la fois par les salariés, ne l’oublions pas, et par les employeurs. C’est parce que la succession des CDD courts et très courts permet de s’approprier des avantages indus de l’indemnisation du chômage. La France est en effet extrêmement généreuse, plus que partout ailleurs, quant aux conditions ouvrant droit à cette indemnisation et à son montant.

Il en est ainsi en particulier du « ratio d’éligibilité » (rapport entre durée minimum d’affiliation et période de calcul), qui est 0,14 en France (4/28) comparé à 0,5 dans la moyenne européenne, où la durée minimale d’affiliation est comprise entre 6 et 18 mois. Quant au « taux de transformation », il est de 1 en France (1 jour indemnisé pour 1 un jour travaillé), soit deux fois la moyenne européenne. Il y a d’autre part des situations où les revenus de remplacement se rapprochent des revenus du travail, voire leur sont supérieurs. Ces anomalies ont d’ailleurs été relevées par la Cour des comptes.

Il est ainsi évident que ces points sur lesquels la France est anormalement généreuse ont pour conséquence une incitation importante à pratiquer la permittence, et à accumuler des droits injustifiés mais légaux. Plutôt que de pénaliser les employeurs qui recourent aux CDD, quelquefois à la demande des salariés, il ne serait pas très difficile d’adapter les règles et de supprimer ou fortement réduire les incitations en cause, tout en évitant d’introduire une inégalité dans le traitement des titulaires des CDI et des CDD.