Actualité

Assurance maladie obligatoire : arrêter la progression du monopole

Avec la création de la Complémentaire santé solidaire, la pénétration de la CNAM dans le champ des complémentaires santé va se poursuivre : les 3 millions de personnes déjà gérées pourront passer à 10 millions, avant une extension probable à d’autres populations. Un progrès réel pour ces personnes, mais une menace d’aggravation des problèmes de notre système de santé avec le renforcement de l’emprise de la CNAM.

C’est l’occasion de mettre de l’ordre dans le système atypique d’assurances maladie français : puisque la CNAM va massivement fournir une complémentaire santé, les complémentaires santé doivent pouvoir fournir l’assurance maladie obligatoire.   

Complémentaire santé solidaire : possible dans les cas suivants

La Complémentaire santé solidaire remplace la CMU-C (Couverture maladie universelle complémentaire) et l’ACS (Aide à la complémentaire santé).

  • les ménages, sous conditions de ressources ;
  • les mineurs de moins de 16 ans qui relèvent de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) par l'intermédiaire de ces deux organismes ;
  • les mineurs de plus de 16 ans ayant rompu leurs liens familiaux ;
  • les personnes de 18 à 25 ans ne vivant plus sous le même toit que leurs parents, ayant rempli une déclaration fiscale séparée (ou s'engageant sur l'honneur et par écrit à le faire l'année suivante) et ne percevant pas de pension alimentaire donnant lieu à déduction fiscale ;
  • les adultes personnes de 18 à 25 ans, vivant sous le même toit que leurs parents, s'ils sont eux-mêmes parents ou s'ils vont le devenir ;
  • les étudiants isolés, bénéficiant des aides annuelles d'urgence versées par les Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) sur le Fonds national d'aide d'urgence (FNAU) ;
  • les conjoints séparés.

En France, l’assurance maladie est très atypique, avec ses deux piliers importants[1], l’assurance maladie obligatoire (CNAM) et les assurance maladie volontaires (Complémentaires santé). Leurs rôles sont séparés mais leurs domaines d’intervention se recouvrent à 90%, cette duplication entrainant de sérieux inconvénients et de petits arrangements mis en place depuis longtemps en faveur de certaines populations « particulières ».

Inconvénients

Surcoût : la prise en charge de la plupart des soins par les deux niveaux d’assurance augmente les coûts administratifs des assureurs, des professionnels de santé et des assurés. A titre d’exemple, la consultation de médecine générale à 25 euros ou l’acte infirmier à 3,15 euros, sont pris en charge par trois intervenants :  

 

Prix

CNAM

Complémentaire

Assuré

Consultation généraliste

25 €

16,5 €

7,5 €

1 €

Acte
infirmier (AMI)

3,15 €

1,89 €

0,76 €

0,5 €

Note de lecture : en supposant que les frais de gestion sont de 0,2 € par consultation pour la CNAM comme pour une complémentaire, ils représentent 1,2 % pour la CNAM et 2,7 % pour la complémentaire.[2]

Irresponsabilité & Passivité : en situation de monopole, l’assurance maladie obligatoire se comporte en payeur rapide, mais pas en conseiller compétent vis-à-vis de ses assurés[3], ni en acheteur avisé vis-à-vis des fournisseurs de soins. Les données dont dispose la CNAM auraient dû lui permettre, depuis des décennies, de ne plus prendre en charge les soins dans des établissements trop dangereux ou, à qualité égale, plus coûteux. Et de ne plus rembourser des produits qui se révèlent nuisibles, surtout quand ils sont prescrits massivement hors du périmètre prévu par l’autorisation de mise sur le marché, comme le Mediator ou la Dépakine. Et c’est avec vingt ans de retard sur des pays étrangers que des outils, comme la chirurgie ambulatoire, la télémédecine, ou le dossier médical informatisé (toujours inutile en 2019) sont mis en œuvre, alors qu’ils sont capables d’améliorer les prises en charge tout en réduisant les coûts.

De leur côté, les complémentaires santé sont empêchées. N’ayant pas le droit de savoir, même avec l’autorisation de ceux de leurs adhérents qui souhaiteraient être aidés, de quelles maladies souffrent leurs clients, ni les soins qui leur sont prodigués, ni les résultats des traitements, il leur est très difficile de conseiller les clients et d’évaluer la qualité des fournisseurs. Un soutien pourtant spécialement utile dans le domaine de la santé où l’assuré et le malade sont spécialement démunis dans un domaine particulièrement important pour eux. Ne pouvant fournir que des services de base (compléter la prise en charge financière de la CNAM), le rôle de base des complémentaires santé est réduit, ce qui fait qu’elles sont encore très nombreuses, et peu puissantes : 450 complémentaires se partagent 14% des dépenses de santé, alors que la seule CNAM en finance 76%. Certaines complémentaires santé cherchent pourtant par tous les moyens à être plus utiles à leurs clients (conseils, tarifs négociés sur les lunettes, télémédecine…) mais sont freinées par les contraintes légales.   

Non solidarité : alors qu’il existe une solidarité entre toutes personnes couvertes par l’assurance maladie obligatoire, la solidarité est limitée aux clients de chaque complémentaire santé. Une situation d’autant plus choquante que les complémentaires (notamment les mutuelles) sont souvent fermées, limitées aux personnes d’une même entreprise ou d’un même secteur (ex. mutuelle de l’éducation nationale ou de Total). Résultat choquant : les complémentaires individuelles (retraités, chômeurs, jeunes...) sont moins avantageuses que celles de groupes.

Petits arrangements

Complémentaires santé obligatoires : avec l’obligation pour les entreprises de contribuer à fournir une complémentaire santé à leurs salariés, le caractère facultatif des complémentaires santé a largement disparu. Seuls 6% des Français n’ont pas de complémentaire, et ce pourcentage va fortement baisser à l’avenir.

Assurances maladie obligatoires et complémentaires intégrées : la séparation entre les deux niveaux d’assurance a vite été perçue comme coûteuse et malcommode pour les assurés. Des corporations ont obtenu que leurs complémentaires santé gèrent, par délégation de la CNAM, les deux niveaux d’assurance pour leurs membres. Il s’agit notamment des fonctionnaires, des non titulaires de la fonction publique, des agriculteurs, des députés et sénateurs, des salariés de la SNCF, d’EDF/GDF, de la Chambre des députés et du Sénat, et des étudiants jusqu’en 2018. L’avantage que constitue un assureur unique explique aussi le choix massif des titulaires actuels de la CMU-C pour la complémentaire santé proposée par la CNAM.

La logique de cette méthode de délégation n’a pas été poussée à son terme puisque les mutuelles des fonctionnaires par exemple, jouent le rôle de la CNAM mais n’en assument pas la responsabilité financière, transférant automatiquement leur facture finale à la CNAM. Il serait de toute manière choquant qu’une corporation limite sa solidarité maladie à ses propres adhérents, surtout quand il s’agit d’une corporation plutôt favorisée. 

Complémentaire santé solidaire (CSS) : le remplacement de la CMU-C (Couverture maladie universelle complémentaire) et de l’ACS (Aide à la complémentaire santé) par la CSS est positive pour les personnes concernées. Mais l’entrée en force de la CNAM sur le marché des complémentaires avec la quasi certitude de disposer à terme de 10 millions de clients, change la donne. Comme pour l’assurance obligatoire de base, les coûts de gestion de cette méga-complémentaire seront inférieurs à ses concurrentes, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la qualité de sa gestion : peu de coûts de recrutements gestion commune aux deux niveaux d’assurance.              

Urgence d’une réforme structurelle

En France, les partisans d’une étatisation totale du système de santé (ex. Royaume-Uni), et ceux partisans d’un système ouvert à la concurrence (ex. Allemagne) dénoncent tout aussi fortement l’exception française actuelle. Malgré un taux de dépense de santé record en France, le mécontentement des professionnels de santé publics et privés, montre qu’il existe un problème structurel dans le système. Et le spectacle de nos Ministres de la santé et de leurs cabinets ministériels, certainement de bonne volonté et compétents, se débattre depuis des décennies dans des impasses, est pathétique. Faute de traiter les sujets au fond, leurs nombreuses réformes n’ont résolu ni les problèmes des malades, ni les problèmes des professionnels de santé, ni les problèmes financiers,

Pour la Fondaiton iFRAP, la première étape est de généraliser la prise en charge du risque santé de chaque personne par un seul assureur de son choix[4]. Comme en Allemagne ou aux Pays-Bas, la concurrence sera régulée : les assureurs devront accepter toutes les personnes qui le souhaitent (pas de sélection à l’entrée) et un mécanisme d’équilibrage des risques sera mis en place entre assureurs pour éviter les biais introduits par les techniques de recrutement. Un système :

  • plus équitable que le système des complémentaires actuelles, notamment professionnelles ;
  • plus économe que celui à deux niveaux se recouvrant ;
  • plus proche des assurés et des malades ;
  • et plus indépendant et plus compétent vis-à-vis des fournisseurs de soins. 

[1] A l’étranger, il existe aussi des complémentaires santé, mais plus limitées, ne couvrant que des extras (ex. soins ou chirurgie esthétique, chambre individuelle, accès direct aux médecins les plus réputés comme à l’hôpital français).

[2] Les complémentaires ont par ailleurs des frais de recouvrement des cotisations et de recrutement d’adhérents plus élevés.

[3] Elle se limite à des conseils (ex. vaccination contre la grippe) rudimentaires par rapport au suivi et à la prévention dont les assurés ont besoin et qui est techniquement faisable.  

[4] La seconde est de rendre les hôpitaux publics autonomes sur le modèle des hôpitaux mutualistes ou des fondations.