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Assurance chômage des indépendants : des expériences décevantes à l’étranger

L’assurance chômage des travailleurs indépendants est un gros os à ronger dans le menu des partenaires sociaux, au point que ces derniers se sont refusés à émettre les propositions que l’Etat leur demandait d’établir. Ils n’en ont pas moins averti avec une belle unanimité qu’ils n’admettraient pas une couverture au rabais pour les indépendants. Pendant le même temps, les auto-entrepreneurs n’ont pas manqué de se saisir du sujet en exprimant leur enthousiasme à la perspective de jouir des mêmes droits que les salariés et en particulier de l’assurance chômage : un sondage réalisé par OpinionWay et cité par Les Echos montrait que la mise en place de cette assurance rencontrait l’approbation de 78% des sondés. L’Etat joue ici à l’apprenti sorcier, qui va se trouver débordé par son invention et devoir se préparer à affronter la déception de ceux à qui on a manifestement trop promis.

L’IGAS a réalisé en octobre de l’année dernière, à la demande de l’Etat, un rapport sur le sujet de 482 pages (excusez du peu !), qui a le mérite d’analyser dans le détail les solutions envisageables, mais aussi la caractéristique de ne pas avoir abordé la question du financement… Une annexe très intéressante est consacrée à l’étude des systèmes existants dans huit pays proches du nôtre. Annexe plutôt décevante sur les résultats, et qui est très loin de fournir des modèles où la couverture chômage des indépendants remplirait les conditions exigées par les partenaires sociaux français.

Nous présentons ci-dessous, pays par pays et de façon simplifiée, les principales caractéristiques de la couverture chômage des travailleurs indépendants.

Pays

Obligatoire

Financement

Fait générateur

Comparaison avec le régime salarié

Obligation de recherche d’emplois

Allemagne

Non

Cotisation 3%

Moins de 15 heures/semaine

Egalité

ND

Autriche

Non

Cotisation 6%

Arrêt volontaire

Egalité

Oui

Belgique

Oui

Cotisations

Faillite

Variable

ND

Danemark

Non

Mixte ND

Faillite

Egalité

Oui

Espagne

Non

Cotisation entre 2,2 et 4%

Faillite

Moins

Oui, avec plan

Italie

Oui

Cotisation 0,51%

Réservé aux travailleurs subordonnés

Moins

Oui, avec plan

Luxembourg

Oui

Solidarité nationale

Cessation

Moins

ND

Portugal

Oui

Cotisations

CA – 60%

Moins

Oui, avec plan

Suède

Non

Mixte 0,1%

Liquidation obligatoire

Moins

Oui, avec rapports

Commentaires

1. La question essentielle est celle du caractère obligatoire ou non de la couverture chômage. Or dans la majorité des pays cette couverture est facultative, et variable en fonction du souhait des travailleurs. La question se déplace alors sur l’appréciation du succès de la couverture offerte à ces derniers. L’IGAS a cherché à le savoir, et a obtenu des réponses partielles intéressantes : le recours à la couverture est quasiment nul, que ce soit d’ailleurs lorsque le régime est facultatif ou obligatoire : en Autriche, où le régime est facultatif, il y a eu 813 personnes indemnisées sur les années 2009 à 2015, en Belgique (régime obligatoire), 600 en 2014 sur 1.149 demandes, en Espagne (régime facultatif) 0,1% des travailleurs non salariés, et au Portugal (régime obligatoire) 602, soit 0,1% de ces travailleurs en 2016. Le cas de l’Italie est à mettre à part. La couverture ne concerne en effet que les travailleurs dits « parasubordonnés », titulaires de contrats « co-co-co » (collaboration coordonnée et continue), qui se rapprochent des travailleurs « indépendants économiquement dépendants », que nous évoquerons plus loin. Le nombre de ces travailleurs indemnisés est plus important en Italie qu’ailleurs (12.850), ce qui est logiquement explicable par leur état de dépendance relative.

On remarquera que le caractère facultatif de la couverture chômage va de pair avec celui de la couverture sécurité sociale dans son ensemble. En effet, alors qu’en France la couverture des différents risques par le RSI est obligatoire, les autres pays appliquent des systèmes souples, où la couverture n’est obligatoire que pour certains risques ou minimale (en Allemagne, seul le risque santé est obligatoire), et où le travailleur a la liberté de s’affilier pour le complément, et de le faire auprès de prestataires  qui sont en concurrence et que le travailleur choisit librement.

2. En France, les cotisations chômage des salariés se montent à 6,45% du salaire. Dans les autres pays analysés, les cotisations sont toujours plus faibles qu’en France, et le risque chômage pour les indépendants est inférieur de moitié au moins comme on le voit sur le tableau, à l’exception de l’Autriche (6%), où le risque n’est toutefois couvert que de façon facultative. Il est évident que les indépendants français se refuseraient à acquitter les mêmes cotisations que les salariés pour l’addition des deux parts employeur et salarié.

Au Luxembourg, c’est la solidarité nationale qui finance le risque, et le système est mixte au Danemark et en Suède. Mais le PIB par habitant y est trois fois plus important que la France dans le premier pays, et plus d’un tiers dans les deux autres…

3. Les conditions de la couverture du risque sont partout moins favorables que celles applicables aux salariés français, et majoritairement moins favorables aussi que celles applicables à leurs propres salariés.

  • la durée d’affiliation minimale est de 12 mois à peu près partout (4 mois en France pour les salariés) ;
  • la durée d’indemnisation est en général de 12 mois maximum, et inférieure à celle applicable aux salariés, et aussi souvent forfaitaire ;
  • les obligations de la personne indemnisée sont assez sévères. Il y a toujours une obligation de recherche d’emploi, et souvent de soumettre un plan, d’effectuer des actions déterminées, voire, comme en Suède, de remplir des rapports, ou encore de postuler à deux offres d’emploi par semaine, ce qui est considérable (cas du Danemark). On remarque sur ce sujet que les travailleurs indépendants se voient appliquer des règles similaires à celles des salariés, règles qui sont nettement plus contraignantes que celles applicables aux salariés français. Autrement dit ces règles ont a fortiori très peu de chances d’être acceptées par des indépendants français ;
  • le calcul de l’indemnisation est trop variable pour pouvoir en tirer des conclusions.

4. Le sujet du fait générateur de l’indemnisation est évidemment épineux. On constate que les règles applicables dans les autres pays sont assez strictes. Dans cinq pays, il faut une faillite ou une liquidation. En Allemagne, le travail doit descendre au-dessous de 15 heures et au Portugal c’est le chiffre d’affaires qui doit perdre 60%. Exception, l’Autriche reconnaît l’arrêt volontaire comme fait générateur, mais encore une fois l’affiliation n’est pas obligatoire, et le taux de cotisation y est très élevé.

5. La couverture des « indépendants économiquement dépendants », qui se trouvent exercer leur activité dans des conditions qui sont proches des salariés, mérite une attention particulière. Le rapport de l’IGAS évoque le cas de quatre pays. L’Italie n’accorde la couverture chômage qu’aux « parasubordonnés » comme on l’a vu. L’Allemagne et l’Espagne traitent les travailleurs en question comme des indépendants, en précisant seulement certaines modalités d’application du régime. Le Portugal présente la particularité de mettre à la charge du donneur d’ordre dont dépend à plus de 80% l’indépendant, une cotisation de 5% du revenu brut.

De façon plus générale, c’est un sujet qui agite l’Europe depuis un certain temps et qui a donné naissance au projet TRADE (le réseau européen des TIEPs, les travailleurs indépendants économiquement dépendants), développé avec le soutien financier de la Commission européenne, et dont le rapport, publié en 2014, concerne les mesures statistiques permettant de définir le groupe cible des TIEPs. Ce rapport propose de ne pas traiter les TIEPs comme de faux indépendants dont le régime devrait s’aligner sur celui des salariés, ce qui ne correspondrait d’ailleurs pas à leur désir, mais plutôt de les traiter comme une troisième catégorie à elle seule. 

Conclusion

On voit assez clairement que le projet d’une assurance chômage pour tous est extrêmement ambitieux. Il ne fonctionne pas réellement dans les pays étrangers, où très peu de travailleurs en profitent, et où il offre une couverture inférieure à celle dont bénéficient les salariés – ce à quoi les partenaires sociaux français seraient opposés. De plus, le coût de la protection est tellement élevé en France pour les salariés que les indépendants ne pourraient pas y faire face.

En tout état de cause, la solution ne peut être que de mettre en place, comme majoritairement à l’étranger, une couverture facultative et de la faire dans le cadre d’une liberté de choix du prestataire. Ce d’autant plus qu’il y a tellement de situations variées qu’une solution obligatoire et autoritaire n’a pas de sens. Les professions libérales sont très largement opposées au système, mais souscrivent à des assurances pertes d’exploitation dont ils déterminent librement les conditions. Et pourquoi vouloir résoudre le problème par des régimes obligatoires qui ne correspondent pas aux désirs des travailleurs indépendants, qui n’ont pas choisi sans raison d’exercer leur profession dans un cadre indépendant dont ils connaissaient à la fois la liberté et les risques ? Si les expériences des pays qui nous entourent se révèlent décevantes, n’est-ce pas la preuve que les indépendants auxquels s’adressent leurs régimes nationaux n’y trouvent pas leur compte ? Pourquoi alors contraindre ces indépendants ?

A la limite pourrait-on envisager la mise en place d’une couverture de base obligatoire, moyennant une cotisation vraiment modeste, en laissant au travailleur indépendant la faculté de s’affilier à une assurance complémentaire de nature privée auprès d’organismes en concurrence. Cette solution est d’ailleurs celle que nous préconisons pour l’ensemble de la couverture de sécurité sociale des travailleurs indépendants.

Enfin, le cas des TIEPs mérite à notre sens une attention particulière. Il nous semble justifié d’en faire une catégorie juridiquement distincte comme le propose le projet TRADE. Le financement pourrait comme au Portugal être assuré en partie par le donneur d’ordre unique, ou à partir du moment où le chiffre d’affaires du travailleur dépend à hauteur d’un certain pourcentage, par exemple 75%, d’un seul donneur d’ordre.