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Agriculture : le projet de loi n'améliore pas la compétitivité de la France

Un pur exercice de technologie administrativo-enarchique

Tout le monde s'accorde sur la nécessité d'améliorer la compétitivité du secteur agricole en France. C'est l'objectif prioritaire que prétend se fixer le projet de loi sur la modernisation agricole qui entre en discussion au Parlement. Ce noble dessein débouche sur un remarquable exercice de technologie administrativo-enarchique… et un voile intégral posé sur l'une des principales causes du déclin français de l'agriculture.

Un é(pou)ventail de nouvelles interdictions et rigidités administratives

Exemples tirés du projet de loi :
- Obligation d'un contrat écrit établi entre les producteurs agricoles et les « premiers acheteurs », avec clauses obligatoires et sanctions pénales à la clé (amende administrative allant jusqu'à soixante quinze mille euros par an) [1].
- Encadrement de la publicité hors des lieux de vente mentionnant une réduction de prix ou un prix promotionnel pour les fruits et légumes frais.
- Obligation d'un contrat écrit fixant le prix, désormais obligatoire avant l'annonce du prix hors du lieu de vente, sauf dans le cas des ventes au déballage.
- Encadrement de la pratique du prix après-vente ou différé de facturation pour les fruits et légumes frais.
- Obligation générale de détention d'un bon de commande, qui accompagne la marchandise et formalise la commande des produits livrés.
- Obligation d'assurance des producteurs contre les aléas climatiques.

Question simple : en quoi ces nouvelles obligations administratives pesantes, et bien sûr ces nouveaux coûts imposés (on songe surtout à l'assurance obligatoire auprès d'opérateurs privés) sont-ils susceptibles d'améliorer la compétitivité des producteurs agricoles ?

Nous voici avec un nouvel exemple de cette incorrigible technocratie qui pense régler les problèmes à coup de réglementations et de sanctions pénales, et qui applique au surplus son système dans un secteur où le moins qu'on puisse en dire est que la paparasserie n'y domine traditionnellement pas (imaginez le petit producteur de fruits et légumes censé signer dix pages de clauses plus ou moins obligatoires afin de pouvoir vendre sa production de pommes au grossiste) !

On ne s'attaque pas aux vraies causes, à savoir les coûts de production

La profession agricole est-elle en demande des dispositions de la future loi ? On peut en douter fortement. L'IFIP (Institut du porc) a par exemple publié en mars 2008 un document sur la filière porcine face à la concurrence, document qui a le mérite de passer en revue les différentes causes de surcoûts de la filière française. Cela va de la complexité de la réglementation française (toujours elle !), du régime des autorisations, des contraintes d'environnement, du coût du système public d'équarrissage, des contraintes de nourrissement ou de transport des produits d'alimentation, jusqu'à la concurrence des pays tiers. Il faut y ajouter encore le morcellement des exploitations françaises et leur dispersion, et l'absence d'industrialisation en général, ce que l'IFIP ne mentionne d'ailleurs pas. Mais à aucun moment on ne voit cet institut évoquer les nouvelles réglementations actuellement proposées.

Une cause essentielle reste le coût de la main-d'œuvre, et le cas de la filière porcine (pendant que la production de porc augmente de 15 % sur dix ans en Allemagne, elle chute de 4 % en France), s'applique aussi à l'ensemble du secteur agricole. Et voilà pourquoi on achète en France des mirabelles allemandes ou pourquoi un élevage allemand de 200 truies rapporte, dit la profession, 40.000 € de plus qu'un même élevage français.

L'Allemagne, qui ne connaît pas de salaire minimum, tout au moins dans le secteur agricole, permet d'engager pendant une durée maximale de trois mois des travailleurs étrangers aux conditions du pays d'origine. Et elle emploie en majorité des travailleurs saisonniers provenant de pays non membres de l'UE, alors qu'en France cette proportion est très faible [2].

Voilà le véritable problème, certes difficile à régler. Mais le sujet est tabou. Il s'agit d'un casus belli majeur avec les syndicats français qui veulent à tout prix empêcher la concurrence jugée déloyale des travailleurs étrangers. Et notre ministre de l'agriculture, Bruno Lemaire, n'en souffle pas mot dans son interview publié par les Echos le 29 juin. Il y qualifie sa réforme de « véritable révolution, destinée à défendre un modèle français fondé sur des exploitations de taille raisonnable, le maintien de l'emploi, la présence de notre agriculture sur tout le territoire, la qualité et la diversité des produits. » Et d'ajouter : « J'espère bien convaincre les autres pays membres de l'UE de s'inspirer de l'exemple français ».

Nous y revoilà, au « modèle-français-que-le-monde-entier-nous-envie ». Le ministre croit-il sérieusement convaincre nos partenaires européens des vertus d'un tel modèle, fondé sur l'éparpillement de petites exploitations disparaissant sous le poids des charges et des règlementations improductives ?

Ce sujet nous met en face d'un concentré des maux français. D'abord la croyance que les remèdes à un problème donné se trouvent systématiquement dans l'ajout d'une couche supplémentaire de réglementation, même quand cela confine à l'absurdité et va à l'encontre du but poursuivi. Et même quand cela aboutira, on l'imagine sans effort, à augmenter le corps des inspecteurs de la DGCCRF chargés de sillonner les campagnes pour dresser procès-verbal en cas de non respect de l'obligation du contrat écrit – et à payer le coût de ces inspecteurs ! Ensuite la difficulté à s'attaquer au véritable problème en présence d'un risque de conflit avec le monde syndical : n'est-ce pas pratiquer la politique de l'autruche que de vouloir préserver l'emploi du travailleur français au prix de la disparition des entreprises du secteur susceptible de lui fournir cet emploi ? Enfin, l'illusion de croire au ralliement général des peuples de l'Europe subjugués par le génie français, tels les grognards de Bonaparte au pont d'Arcole…

[1] Montant déjà énorme et qui peut être porté au double en cas de récidive. D'autre part, il n'y a pas de seuil prévu pour son application, excepté que « l'amende est proportionnée à la gravité des faits constatés, notamment au nombre et au volume des ventes réalisées en infraction ».

[2] Cette question est différente de celle soulevée par la fameuse directive Bolkestein et de la polémique dite de « l'ouvrier polonais », qui concerne la circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Europe. Rappelons d'ailleurs que cette directive dans son état final exclut expressément de son champ d'application les rapports nés du droit du travail, et donc les conditions de rémunération.