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70 % de ménages... sont éligibles au parc social !

Le gouvernement vient d’annoncer qu’un projet de loi sur le logement sera présenté au Parlement avant l’été « comportant notamment une évolution de la loi SRU ». Dans sa déclaration de politique générale, le Premier Ministre avait déclaré vouloir créer un choc d’offres en matière de logement incluant une redéfinition de la loi SRU, précisant que les maires pourront notamment reprendre la main sur les attributions de logements sociaux et les logements intermédiaires seront désormais inclus dans le pourcentage de logements SRU tout en maintenant un % de logements « très sociaux ».

 70 % de ménages éligibles au parc social 

C’est dans ce contexte que l’Ancols a publié un rapport très complet sur l’éligibilité au parc social. Le constat de départ est frappant : parmi les 28 millions de ménages résidents en France métropolitaine, environ 20 millions, soit 70 %, sont éligibles au parc social, c’est-à-dire qu’ils ont des revenus inférieurs aux plafonds de ressources les plus élevés, les plafonds PLS (Figure 1 et voir annexe pour les plafonds). Ils sont 54 % à avoir des ressources inférieures aux plafonds PLUS (15 millions de ménages), et 24 % aux plafonds PLAI (7 millions). 11 % des ménages ont quant à eux des revenus inférieurs à 50 % des plafonds PLAI (3 millions).

Pour rappel, dans le parc social français, chaque logement a un niveau de loyer et un plafond de ressources pour accéder dépendant de la façon dont il a été financé. Les PLAI permettent de financer des logements à destination des locataires les plus modestes, tandis que les PLUS sont associés à des plafonds de ressources supérieurs aux PLAI. Enfin, les logements financés par des PLS ont les plafonds les plus élevés. Une 4ème catégorie est considérée dans cette étude, à savoir les ménages dont le revenu fiscal de référence (RFR) est inférieur à la moitié des plafonds PLAI.

Si on regarde dans le détail, les ménages éligibles uniquement aux logements PLS, c’est-à-dire ceux dont les ressources sont supérieures aux PLUS, représentent 17 % des ménages résidents (4,7 millions), alors que les logements PLS représentent seulement 7 % du parc social (0,3 million). Attention toutefois, le parc de logements PLS n’est pas réservé uniquement à ce public, mais bien à l’ensemble des ménages éligibles, les plafonds de ressources constituant un maximum. Les ménages dont les ressources sont comprises entre les plafonds PLAI et PLUS pèsent pour 29 % des ménages résidents, soit 8,2 millions de ménages. Ils ont ainsi accès aux logements soumis aux plafonds PLUS et PLS, soit 93 % du parc (4,6 millions), tandis que les 7,0 millions de ménages sous les plafonds PLAI ont accès à l’ensemble du parc.

Les 70 % de ménages éligibles au parc social sont pour moitié composés de propriétaires occupants (soit 35 % de l’ensemble des ménages), et pour moitié de locataires des parcs privé et social (respectivement 21 % et 14 %, correspondant à 9,8 millions de ménages). 

Répartition des ménages éligibles par section du parc et statut d’occupation 

Bien que minoritaires, les propriétaires occupants représentent 19 % des ménages les plus modestes et 29 % des ménages éligibles au PLAI. Comme le rappelle l’Ancols, on peut remettre en question l’éligibilité au parc social des propriétaires occupants et d’ailleurs, la loi prévoit qu’un ménage propriétaire dont le logement est « adapté à ses besoins et capacités ou susceptible de générer des revenus suffisants pour accéder à un logement du parc privé peut constituer un motif de refus pour l'obtention d'un logement social », mais ces derniers y ont de fait moins recours, relativisant ainsi la part des ménages propriétaires potentiellement intéressés par le logement social. 

Assez logiquement, la part des ménages vivant actuellement dans le parc social est plus élevée parmi les ménages les plus modestes éligibles au parc social. Cette part diminue dès lors que les ressources augmentent. Notons enfin que le parc locatif privé accueille une part non négligeable de ménages modestes : 38 % des ménages dont les revenus sont inférieurs au PLAI sont locataires du parc privé, soit 9 % de l’ensemble des ménages (soit 2,6 millions). Et même 44% pour les ménages dont les revenus sont inférieurs à 50% des plafonds PLAI. Tous ces éléments reposent la question de la vocation du parc social : comment concilier 70% d’éligibilité lorsque le parc social ne peut accueillir « que » 15 % des ménages. Comment concilier parc social et généraliste pour préserver la mixité sociale avec un tel niveau d’éligibilité ? 

Faut-il recentrer le parc social sur les locataires les plus modestes ? 

La réponse à cette question n’est pas univoque selon le territoire. Si on prend en compte l’ensemble des ménages éligibles au parc social, leur part est plus élevée dans les zones détendues : respectivement 61 % pour la zone A bis (Paris) et 74 % pour la zone C de ménages éligibles ce qui représente environ 1,4 million de ménages éligibles au parc social en zone Abis et 6,8 millions en zone C, zone la plus étendue et la plus peuplée. 

Toutefois, si on restreint l’analyse aux seuls locataires, le constat s’inverse : parmi l’ensemble des ménages résidents en zone Abis, 45 % sont éligibles au parc social et locataires contre 25 % en zone C. La zone C a une proportion plus faible de ménages très pauvres (12 % de ménages dont les ressources sont inférieures à la moitié du PLAI) contre 20% pour la zone A et Abis. La proportion de ménages locataires de classe moyenne (entre les plafonds PLAI et PLUS) est de 70% en zone C et 47% en zone A et A bis. Attention, toutefois les plafonds de ressources retenus varient selon les zones et peuvent faire bouger les limites entre catégories de ménages : on rentre plus vite dans la catégorie classe moyenne en province qu’en Île-de-France !

Quels enseignements en tirer ?

D’abord territorialiser : les éléments montrent que le besoin de logements est variable selon le territoire et le parc de logements existants. En fonction de la tension locale du marché de l’immobilier, il pourra être nécessaire d’encourager l’accession, y compris l’accession sociale (PTZ, PAS), dans d’autres régions de construire du logement intermédiaire car cela pourra permettre de créer un vrai parcours résidentiel pour des personnes dans le parc locatif social qui n’ont pas de revenus/apports suffisants pour accéder à la propriété. Enfin, cela passe aussi par des politiques locales de rénovation de logements vacants ou encore d’assouplissement de la loi ZAN avec révision des règles d’urbanisme pour permettre de construire plus.

Deuxième enseignement : le parc locatif privé accueille un nombre important de ménages modestes (2,6 millions de ménages aux ressources PLAI soit 35% des locataires). Ce parc joue donc un rôle essentiel et il est nécessaire de le ménager et même de l’encourager au regard de sa contribution à l’accueil et à la mobilité des ménages. Or, les revenus locatifs sont fortement taxés en France, la taxe foncière pénalise les bailleurs privés. Et les réglementations environnementales vont conduire les propriétaires à devoir engager de lourds travaux pour pouvoir continuer à louer leur bien depuis la mise en application de la loi Climat et Résilience. Il faut donc engager une réflexion sur la fiscalité des revenus locatifs pour attirer plus de bailleurs et sur une simplification (normes, relation bailleurs/locataires).

Niveau des taux marginaux supérieurs d’imposition des revenus locatifs (2023)

AutricheDanemarkFranceAllemagneRoyaume-UniPays-BasSuèdeItalie
55%54%53%45%45%33%30%30%

Dernier enseignement : le rapport de l’Ancols pose la question du parc locatif social. Un chiffre est particulièrement édifiant : le nombre de ménages modestes (revenus correspondants aux PLAI) est supérieur au total des logements sociaux disponibles. Le constat de départ à savoir que 70% des ménages sont éligibles aux logements sociaux montre qu’il n’est pas possible de donner satisfaction à l’ensemble des ménages éligibles sauf à doubler le nombre de logements sociaux alors que la France figure déjà parmi les pays qui en compte le plus. Poser cette question sans remettre en cause la mixité pour éviter de constituer des ghettos suppose sans doute de construire des logements dans les zones les plus carencées mais aussi de réduire le pourcentage de logements sociaux là où ils sont trop concentrés (certaines villes comptent des % hors normes de HLM : Grand Quevilly 63%, Bagneux 57 %, Creil 54%, etc.), de permettre aussi des parcours résidentiels avec une adaptation des logements à la composition familiale et aux revenus. Rappelons-nous que pour un logement PLUS à Paris, le loyer plafond est de 7€ le m² contre 30€ en moyenne sur le marché libre. Cela signifie que l’aide sociale conférée par le logement social équivaut chaque année à 11 000 € par ménage bénéficiaire. Et si on rapporte cela aux ressources plafonds c’est une aide équivalente 18% des revenus d’une famille avec 2 enfants. Il paraît donc justifié de réexaminer régulièrement les conditions du bénéfice de chaque logement social.


Annexes :