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Urgence et relance : le match France/Allemagne

La France, figurant parmi les pays européens les plus touchés par la crise économique et sanitaire du Covid-19, a dévoilé son plan de relance “France relance” en septembre 2020. Il s’agit d’un des premiers pays à l’avoir fait. Pourtant, peu de crédits ont été débloqués et le calendrier des mesures prévoit l’allocation des ressources majoritairement pour 2021. Le plan de relance français est-il véritablement efficace, notamment si on le compare à celui de nos voisins outre-Rhin ? En tout cas son déploiement semble beaucoup plus lent ce qui oblige à compenser par un plan d'urgence et de soutien massif, ce dont n'a pas besoin l'Allemagne.

La France bien plus atteinte par la crise et la récession que l’Allemagne

Pour rappel, les prévisions de la croissance française pour le troisième trimestre 2020 sont très pessimistes, le pays étant un des plus atteints économiquement. Comme nous l’avons montré dans une précédente analyse[1], la France devrait connaître une baisse du PIB de -11% en 2020 (“seulement”-9,4 selon la Commission européenne[2]), soit un des taux les plus élevés de la zone Euro, derrière l’Espagne et l’Italie. En comparaison, l’Allemagne n’enregistre qu’une baisse de -5,6% de son PIB.

La consommation des prêts garantis aux entreprises: un indice de la fragilité des entreprises hexagonales (40% des PGE en France contre 4,8% en Allemagne):

Deux types de mesures ont été adoptées par le Parlement français pour remédier aux effets de la crise :

  • Les mesures avec effet immédiat sur le déficit public[3]. Juste avant le reconfinement, elles ont été estimées à 64,5 milliards d’euros en Projet de Loi des Finances (PLF) 2021 (+7 milliards par rapport au Projet de Loi des Finances Rectificatif -PLFR- 3). Elles ont ensuite été réévaluées à la hausse de +20,9 milliards soit 85,5 milliards d’euros[4].
  • Les mesures sans effet immédiat sur le déficit public, comportant les Prêts Garantis par l’Etat (PGE). Elles ont été estimées à 403,5 milliards d’euros en PLF 2021. L’enveloppe des garanties d’Etat pour les prêts est restée inchangée, fixée à 300 milliards d’euros.

Les prêts garantis par l’Etat se définissent comme des prêts octroyés à une entreprise ou un professionnel par sa banque habituelle, en dépit de la situation économique actuelle, grâce à la garantie qu’apporte l’Etat sur une partie très significative du prêt[5]. Ces derniers permettent aux entreprises de pallier à leurs besoins de trésorerie.

En France, 40% de l’enveloppe consacrée aux prêts garantis par l’Etat a d’ores et déjà été consommée[6], soit 120 milliards d’euros. Il s’agit d’un des montants les plus élevés d’Europe. A titre comparatif, en Allemagne, seuls 36 milliards - sur un total de 756 - ont été utilisés.

Le plan de relance allemand plus efficace que son équivalent français partiellement compensé par le niveau du plan d'urgence:

Deux plans similaires sur leurs montants mais aux contenus opposés :

ALLEMAGNE

130 milliards d’€
Principaux axes : relance de la consommation (baisse de la TVA, primes).

 25 milliards € pour les petites et moyennes entreprises.

FRANCE

100 milliards d’€

Principaux axes : transition écologique, souveraineté et compétitivité économique, cohésion sociale et territoriale.

Un plan de relance à 100 milliards d’euros a été annoncé par le premier ministre Jean Castex en septembre dernier. D’un montant quatre fois supérieur à celui instauré en 2008 pour pallier à la crise des subprimes, il s’attaque à la reconstruction de l'économie et à la transition écologique. Une conception radicalement opposée à celle de nos voisins outre-Rhin. En effet, l’Allemagne a instauré un plan de 130 milliards d’euros, soit 3,8% du PIB du pays (environ le même taux qu’en France) et principalement axé sur la consommation. Sont prévues une baisse conséquente de la TVA et l’instauration de diverses primes (à l’enfant, voiture électrique, rénovation thermique).

 

en 2020

en 2021

 

Mesures de soutien

Plan de relance

Mesures de soutien

Plan de relance

Allemagne

2,5

2,2

0,7

1,4

France

3,8

0,4*

0,1

1,6

Source : d’après Sénat (PLFR IV). Les mesures de soutien sont réajustées pour tenir compte du PLFR (4), de +20,9 milliards d’euros soit 0,9 pont de PIB, passant de 2,9 à 3,9 point de PIB[7]. *0,4 et non 0,2 point comme présenté par le Sénat en faisant l’hypothèse d’un décaissement accéléré du Plan de relance passant de 7,9 milliards à près de 15 milliards d’euros[8].

Comme l’ont souligné la Commission européenne et la Banque Centrale européenne, pour être efficace, un plan de relance doit répondre à la règle des “Trois T”[9]. Les mesures se doivent d’être “timely” (déployées au bon moment), “temporary” (déployées de manière temporaire afin de ne pas peser sur les comptes publics futurs) et “targeted” (efficaces et ciblées). Une triple exigence pour l’instant peu respectée par le plan de relance français…

Le gouvernement français a en effet attendu trop longtemps pour mettre en œuvre son plan de relance. La majorité des mesures ne prendront effet qu’en 2021, voire plus tardivement (voir la ventilation en infra). Encore une fois, Berlin a été plus efficace, les mesures ayant été mises en place plus tôt et prévues pour une période plus courte, de deux ans.

 

Source: commission des finances du Sénat (PLFR (4) 2020), sans impact de l'accélération des décaissements possibles dès 2020.

Le gouvernement a en outre créé une nouvelle mission budgétaire en loi de finances rectificatives (LFR I) le 23 mars 2020, intitulée « Plan d’urgence face à la crise sanitaire ». Tout d’abord dotée de 6,25 milliards d’euros, elle a été abondée de 37,2 milliards en avril (LFR 2) puis de 8,9 milliards en juillet (LFR 3), pour un total de 52,4 milliards d’euros[10]. Cette mission comprend en outre le dispositif exceptionnel de chômage partiel ainsi que le fonds de solidarité pour les entreprises. Le projet de loi des finances 4 prévoit une rallonge de 20 milliards, dont 10,9 milliards d’euros pour le fonds de solidarité et 3,2 milliards pour l’activité partielle. La mission sera maintenue pour 2021 en gage de flexibilité et en cas de détérioration de la situation économique et sanitaire

Synthèse des mesures de soutien  LFRI, II, III

PLFR IV

Mesures avec effet direct sur le solde public

Nouvelles mesures

Total

Activité partielle

30,8

3,2

34

Fonds de solidarité

8,5

10,9

19,4

Dépenses de santé (ONDAM exceptionnel)

9,8

2

11,8

Exonération de cotisations sociales

5,2

3

8,2

Prolongation des revenus de remplacement et décalage de l'entrée en vigueur de la réforme de l'assurance-chômage

1,6

0

1,6

Aide exceptionnelle aux indépendants (CPSTI)

0,9

0

0,9

Inclusion sociale et protection des personnes vulnérables (y compris prime précarité)

0,9

1,1

2

Avances remboursables aux PME

0,5

0

0,5

Report des déficits antérieurs sur l'assiette fiscale IS (carry-back)

0,4

0

0,4

Achat de masques non chirurgicaux

0,3

0,3

0,6

Sinistralité BEI

0,1

0

0,1

Crédits divers de l'Etat (crédits supplémentaires d'urgence, autres crédits LFR III)

5,6

0,4

6

Total mesures avec impact sur le solde public

64,50

20,90

85,50

Source : Commission des finances du Sénat. Note: une augmentation possible du fonds de solidarité est à prévoir avec des décaissements de 1,6 milliards par mois en soutien aux entreprises restant fermées au-delà du 28 novembre 2020. voir ici

“FRANCE RELANCE” et ses 100 milliards d’euros déployés

 

Volet “Etat”: 86 milliards d’euros

Crédits budgétaires

64

Mesures engagées dès 2020

15

Mission budgétaire “Plan de relance”

36

PIA 4

11

Autres vecteurs budgétaires

2

Baisse des impôts de production

20

Garanties

2

 

Volet “Administration de sécurité sociale”: 9 milliards d’euros

Ségur de la santé - volet « investissement public »

6

Unédic - activité partielle de longue durée

2

Cnaf - majoration de l’allocation rentrée scolaire

1

 

Volet “Hors administrations publiques”: 5 milliards d’euros

Banque des territoires

3

Bpifrance

2


[1] https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/2020-lannee-643-de-depenses-publiques

[2] https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/economy-finance/ip136_en.pdf

[3] Lorsque le solde annuel du budget des administrations publiques est négatif, on parle d’une situation de déficit public. Conséquemment, il y a plus de dépenses que de ressources.

[4] Et ce n’est pas fini car avec les annonces faites sur le calendrier du déconfinement par le Président de la République le 24 novembre 2020, et le report de l’ouverture des restaurants 20 janvier, des aides spécifiques au paiement des charges fixes (loyers etc.) seraient octroyés pour un montant estimé à 1,6 milliard d’euro supplémentaires/mois.

[5] Voir la FAQ consacrée aux PGE, sur le site du gouvernement: https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/2020/dp-covid-pret-garanti.pdf

[6] Voir la Version Provisoire du Rapport général, Tome I,  “Le budget 2021 et son contexte économique et financier”, Jean-François Husson, 5 novembre 2005.

[7] Lui-même révisé à la baisse de -10 à -11%. Soit un PIB en valeur pour 2020 de 2202,5 milliards d’euros.

[8] Et en faisant l’hypothèse d’une absence de moindre consommation pour l’année suivante.

[9] Voir la Version Provisoire du Rapport général, Tome I,  “Le budget 2021 et son contexte économique et financier”, Jean-François Husson, 5 novembre 2005.

[10] http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b3399-tiii-a46_rapport-fond