Dépenses publiques : appliquez le principe de précaution !

Depuis 2022, l'Etat a construit ses budgets de telle manière qu'ils ne pouvaient qu'accentuer les déséquilibres. Les bâtir en 2026 sur la base d'une croissance et d'une inflation zéro pour toutes les administrations publiques est un élémentaire principe de précaution, argumente Agnès Verdier-Molinié.
Cet article a été publié le 3 juillet 2025 dans le journal Les Echos |
Nous voici devant l'iceberg du budget 2026. Un casse-têtequi a fait déjà couler beaucoup d'encre. Il y a ceux qui disent « ne faisons rien car rien ne peut passer dans la situation de blocage politique actuelle » ou encore ceux qui disent qu'il « faudrait à la France des réformes systémiques et que le rabot est stupide ». N'écoutons ni les velléitaires ni les doux rêveurs et essayons le chemin de crête. Un chemin que l'on pourrait nommer « principe de précaution ». Ce chemin existe pour réaliser les 40 milliards d'euros d'économies pour tenir les objectifs de réduction des déficits dont nous avons besoin. Au-delà de l'année blanche, cela impose de construire le budget de l'Etat et de toutes les administrations publiques comme si les sous-jacents macroéconomiques étaient croissance zéro et inflation zéro.
Cela ne serait pas du luxe quand on constate que les pensions de l'assurance vieillesse ont été indexées à 2,2 % en janvier et les minima sociaux de 1,7 % en avril, alors que l'inflation sera autour de 0,8 % cette année. Finalement, ce sont 4 milliards d'euros en plus versés en 2025 pour les retraites par rapport à l'inflation réelle. Paradoxe s'il en est, on se souvient que le précédent gouvernement a sauté sur une motion de censure liée précisément à cette sous-indexation des pensions de retraite.
Un gel des dépenses sans parti pris
Forts de cet enseignement, essayons de ne pas recommencer les mêmes erreurs. Partir sur zéro inflation en 2026 serait juste une bonne précaution. Pourquoi ? Tout simplement car cela permettrait de geler plus facilement toutes les dépenses indexées sur l'inflation sans parti pris : pensions mais aussi aides sociales sous critères de ressources et masse salariale publique, y compris en bloquant l'avancement des carrières pour un an. Rien que le gel de toutes ces dépenses peut permettre une économie entre 12 et 17 milliards d'euros pour 2026. Et ce, bien entendu, par rapport au niveau réel d'inflation constaté en exécution du budget.
Depuis 2022, nous construisons nos budgets de telle manière que nous ne pouvons avoir à la fin que des mauvaises nouvelles. En surestimant la croissance et l'inflation, nous imaginons des recettes fiscales en plus qui ne rentrent jamais dans les caisses publiques, et nous générons des dépenses qui elles sont bien réelles et dégradent encore plus nos comptes publics. Evidemment, pour respecter un zéro valeur sur l'ensemble des dépenses publiques, cela demandera de ne pas continuer à faire porter le chapeau des économies uniquement à l'Etat qui, pour l'instant, est le seul, hors opérateurs et agences, à s'être serré la ceinture en 2025. Agences, collectivités et Sécurité sociale doivent participer à l'effort pour faire des économies.
Le Premier ministre a annoncé des mesures concrètes pour trouver 40 milliards d'euros d'économies d'ici le 14 juillet. N'est-il pas temps de donner tout de suite les mauvaises nouvelles ? Au lieu d'acheter à pas cher de fausses bonnes nouvelles pour gagner du temps et nous retrouver ensuite avec une avalanche de mauvaises nouvelles ? De construire un budget minimaliste qui permette aussi de freiner les dépenses des collectivités en ne revalorisant pas la dotation globale de fonctionnement mais aussi les transferts fiscaux (FCTVA etc.) ? Et de bloquer le compteur de la dette sociale avec l'obligation de prévoir des mesures pour arrêter les fuites dans les dépenses sociales alors même qu'on anticipe le dépassement de l'objectif national de dépenses d'assurance-maladie pour 2025 ?
Faire cesser l'hypocrisie sur les dépenses
Le compteur de la dépense publique totale 2026 serait vraiment bloqué à 1.700 milliards d'euros comme en 2025. Le postulat de zéro inflation et zéro croissance permettrait aussi de faire plus de pédagogie des enjeux vis-à-vis de nos concitoyens mais aussi vis-à-vis de nos politiques. Dans les deux chambres du Parlement, les blocages aux économies sont de sortie. L'Assemblée nationale bloque sur le sujet de la revalorisation des prestations sociales quand le Sénat bloque, lui, sur les économies à faire sur les collectivités. Alors que les mêmes députés et sénateurs se disent partisans de « faire baisser les dépenses ». Ce jeu hypocrite doit cesser dans l'intérêt de tous les Français. Faut-il rappeler qu'une mise sous tutelle de la France par la BCE ou le FMI imposerait immanquablement un plan d'austérité drastique avec baisse des pensions de 15 à 20 % comme on a pu le voir ailleurs en Europe lors de crises de la dette ?
Evidemment, d'aucuns diront que cette solution du zéro inflation et zéro croissance pour construire le budget comporte des écueils. Et c'est vrai. Cela obligera à afficher un déficit public plus important. Mais en exécution, en fin d'année 2026, s'il y a plus de croissance et d'inflation que prévu, il ne peut y avoir que de bonnes nouvelles (hors charge de la dette) contrairement à ce que nous venons de vivre ces deux dernières années. Avec ce principe de précaution, nous aurions plus de chances de nous rapprocher de l'objectif de déficit public à 4,6 % l'an prochain. Cela rassurerait aussi nos financeurs de la dette publique et les agences de notation. Cela éviterait également des débats sans fin dans l'hémicycle sur les perdants et les gagnants budgétaires. Et cela donnerait moins de grain à moudre à d'éventuelles motions de censure sur les sujets sectoriels. Politiquement et budgétairement, ce serait une solution gagnante !
Agnès Verdier-Molinié est directrice de la Fondation iFRAP, auteure de « Face au mur » (Editions de l'Observatoire).