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"Taxer la rente, pas le risque" ? Chiche, et pas d'hypocrisie !

Grand est le bruit fait autour de la taxation du capital, assimilé comme au temps de Georges Marchais au « grand capital » propriétaire des entreprises spoliatrices des travailleurs etc. Il ne s'agit pas ici de nier la puissance des grandes entreprises, mais de souligner à quel point est fallacieuse et hypocrite l'importance donnée pour des raisons fiscales aux actionnaires des sociétés dans la composition du patrimoine des Français, tant cette dernière est on peut dire ridiculement faible. Alors que 90% de ce patrimoine est composé d'actifs dont les revenus – lorsqu'ils en produisent – sont exonérés en grande partie.

Enfers et Paradis

Opposé à Emmanuel Lechypre dans la dernière émission de « On n'arrête pas l'éco » sur France Inter, l'économiste Christian Chavagneux refusait de comparer la France à son voisin immédiat la Belgique, qu'il qualifiait de « paradis fiscal ». Pareillement, l'auteur de ces lignes vit il y a quelque temps son contradicteur syndicaliste avancer, au cours d'un autre débat radiophonique consacré à la fiscalité des entreprises, que les Pays-Bas étaient aussi un « paradis fiscal ». Diable, est-ce exact ? Et avons-nous besoin de jeter l'anathème sur nos voisins (paradoxalement s'entend, le paradis n'étant pas réputé pour être une désagréable destination) pour nous justifier de griller chez Belzébuth ?

Voici, tels que publiés par l'ambassade de France en Belgique (source Eurostat), sur les chiffres concernant les prélèvements obligatoires dans l'Europe à 27.

La Belgique se signale par une imposition très élevée du travail. Voici encore les chiffres :

Christian Chavagneux faisait-il seulement allusion à l'imposition sur le capital, domaine où la Belgique serait un paradis ? Pas davantage :

Ainsi, France, Belgique et Pays-Bas se situent dans les pays les plus imposés de l'Europe à 27, et toujours nettement au-dessus de la moyenne européenne. Quant à la Suède et au Danemark, les deux pays où les prélèvements sont les plus élevés, ils doivent cette distinction au fait que l'imposition sur le travail y est très forte, mais à l'inverse l'imposition sur le capital y est plus faible que dans les trois pays que nous considérons. La France en particulier est championne de l'imposition sur le capital, si l'on exclut la Grèce, l'Espagne et Malte, trois pays qui ont des raisons de ne pas servir d'étalons… Le paradis, ce n'est donc pas forcément les autres, l'enfer non plus.

La France se distingue par des salaires assez bas, des charges patronales considérables et une imposition sur le capital financier très forte. C'est sur ce cocktail particulier qu'il faut agir, et ce n'est pas facile. Mais augmenter encore l'imposition sur le capital financier comme on vient de le faire et comme on pourrait continuer à le faire, c'est sûrement nous précipiter au fond de l'enfer.

Quant à se justifier en affirmant que nos voisins européens doivent être condamnés pour ouvrir grand la porte du paradis, ce n'est pas seulement faux (voir encadré), c'est tourner délibérément le dos à l'Europe et à toute harmonisation fiscale. Au nom finalement de la haine bien française à l'égard du capital financier. La différence avec la Belgique et les Pays-Bas ne tient pas qu'au montant global des prélèvements, elle rappelle que la fiscalité de ces pays est plus intelligente.

Ce n'est pas seulement une erreur, c'est une hypocrisie de voir dans l'imposition sur le capital financier, ou plutôt sur un certain capital financier, la solution à nos maux. Tel que calculé pour 2007 par le Conseil des Prélèvements Obligatoires de la Cour des comptes, le patrimoine des ménages français se décompose ainsi (les chiffres sont approximatifs compte tenu des difficultés du calcul d'après le CPO) :

Patrimoine total 9 400 Mds€
Dont patrimoine non financier 5 700 Mds€ dont immobilier
Dont patrimoine financier 3 760 Mds€ dont assurance-vie 30%, actions et OPCVM 35%, dépôts et c. courants 35%
Revenus du patrimoine 115 Mds€
Dont revenus fonciers 28 Mds€
Dont revenus des capitaux mobiliers et plus-values 38 Mds€

Ainsi donc, on mesure la part extrêmement faible des capitaux mobiliers investis en actions dans la fortune des Français (et de leurs revenus) : environ 10% de cette fortune au total, qui se décomposent en 3% pour les actions cotées, 20% pour les actions non cotées et 12% pour celles détenues par les OPCVM. Les actions cotées détenues directement représentent ainsi…1% du patrimoine total ! (Ces proportions sont doubles aux USA).

Que les Français se rendent au moins compte que les revenus du capital de nos entreprises, qui représentent la part de risque du patrimoine, sont taxés à des taux atteignant la spoliation, auxquels s'ajoute l'ISF, alors que le restant, la vraie "rente", soit 90% du patrimoine total est composé, soit d'immobilier qui ne rapporte pas de revenus réels ou est en partie exonéré d'ISF, soit de capitaux mobiliers dont les revenus sont, soit totalement exonérés de toute taxation (l'épargne populaire investie en livrets, dont on se propose obligeamment de doubler le plafond : 417 Mds € en 2011), soit faiblement taxés, comme l'assurance-vie (plus de 1.300 Mds d'encours) dont la fiscalité au titre de l'IR n'est après 8 années de détention que de 7,5% (comparé à un taux allant de 45 à 49% pour les plus-values sur actions !!), outre les prélèvements sociaux au taux de 15,5% .

Sait-on pourquoi il en est ainsi, en dehors de la sollicitude inchangée envers les fameux rentiers, ces fidèles électeurs ? Parce que 54% des capitaux mobiliers français sont investis dans la dette publique par l'intermédiaire des OPCVM et de l'assurance-vie en particulier ! Tiens donc…

Et on ne pourrait pas taxer ces rentes ? Ce serait une révolution ? Mais nous vivons une révolution, et il est parfaitement coupable de spolier ceux, très minoritaires, qui prennent le risque entrepreneurial et sont les seuls pourvoyeurs d'emplois, en exonérant les autres, beaux et bons « rentiers » ; et il est tout autant risible de penser combler le tonneau des Danaïdes des dépenses avec la spoliation des premiers. Cela ne serait quand même pas possible ? Eh bien, il n'y a vraiment pas d'autre choix cette fois que de diminuer les dépenses publiques ! Sinon, l'hiver sera encore plus long pour la cigale.