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Services publics à tarifs variables : la tendance qui monte

La tarification des services publics en fonction des revenus est une notion apparue sous le gouvernement Jospin en 1998 dans la loi relative à la lutte contre les exclusions. Cette dernière a autorisé la modulation des tarifs des services publics administratifs à caractère facultatif, cela en fonction du revenu des usagers et de la composition du foyer. Cela va des tarifs des services sociaux (crèches, cantines scolaires, centres de loisirs, activités périscolaires) aux services culturels (musées, théâtres, conservatoires).

Un calcul basé sur le quotient familial

L’ampleur de la modulation reste toutefois encadrée par l’obligation de fixer le tarif le plus élevé à un niveau inférieur au coût de fonctionnement par usager du service. Sans calcul de quotient familial, le tarif maximum est appliqué.

A titre d’exemple, les tarifs des cantines scolaires diffèrent en fonction du quotient familial des ménages, un quotient qui incorpore à la fois le revenu et la situation familiale (nombre d’enfants à charge, statut marital, etc.)

Le calcul du quotient familial diffère légèrement entre locataire et propriétaire[1] :

  • Pour les locataires :
    • revenu imposable/12 + (allocations familiales, rentes) – loyer = X
    • X/nombre de parts fiscales = quotient familial
  • Pour les propriétaires :
    • revenu imposable/12 + (allocations familiales, rentes)  - montant forfaitaire = X
    • X/nombre de parts fiscales = quotient familial

Pour illustrer ce système de tarification figure ci-dessous les tarifs des cantines scolaires en fonction du quotient familial, ainsi que ceux des conservatoires de la ville de Paris :

Source : Caisse des Ecoles de Paris 18ème. Les Tarifs de la Cantine : https://www.cde18.fr/les-tarifs-de-la-cantine/

Source : Paris, Conservatoires. https://conservatoires.paris.fr/p/27-inscriptions#tarifs-135

La tarification proportionnelle au revenu s’applique particulièrement aux services publics « Enfance Jeunesse ». L’ensemble des temps extra-scolaires et des temps périscolaires répondent à la nouvelle politique tarifaire ayant pour objectif d’assurer l’adéquation des tranches de quotient familial avec la réalité socio-économique de la population.

Dans cet objectif a été établi le « taux d’effort », un taux calculé en divisant le prix payé par l’usager par son quotient familial afin d’évaluer le poids que représente le coût du service payé par rapport aux ressources de l’usager. En fonction du quotient familial de chaque usager est donc calculé un prix individualisé, ayant pour conséquence la suppression du mécanisme de tarification par tranche et ce faisant des effets de seuil. La participation des usagers est progressive en fonction de leurs revenus : le taux d’effort des ménages plus modestes sera plus faible que celui des ménages plus aisés. Différentes grilles tarifaires s’appliquent pour différents services :

 

Il n’y a plus de seuil apparent, mais des bornes de prix fixées par des prix plancher et des prix plafond définis en accord avec le quotient familial :

  • Si le tarif effort calculé est inférieur au plancher, alors le tarif trimestriel est égal au plancher ;
  • Si le tarif effort calculé est supérieur au plafond, alors le tarif trimestriel est égal au plafond ;
  • Si le tarif effort calculé est compris entre le plancher et le plafond, alors le tarif trimestriel est égal au tarif effort.

Comme il peut être constaté à la vue des différentes grilles tarifaires ci-dessus, ces tarifications progressives touchent aussi bien certains services scolaires que les domaines culturels. Ces différentiations tarifaires se fondent sur un motif d’intérêt général. Les services publics administratifs locaux ont pour objectif de « rétablir le lien social », autorisant ainsi une différentiation tarifaire pour les crèches, cantines scolaires, centres de loisirs ou écoles de musique.

Les cartes de vie quotidienne

La création de cartes de vie quotidienne (CVQ) (ou citoyenne) découle de ce nouveau principe de tarification. L’intérêt est que les identifiants de l’usager et ses caractéristiques ne sont inscrites qu’une seule fois, ce qui lui évite de devoir constamment prouver son identité ou son revenu de référence. Les CVQ s’adressent aux familles pour faciliter la gestion des démarches administratives et offre un moyen de paiement simplifié pour les prestations des services publics[2].

La France est le seul pays ayant mis en place ce système qui offre un accès différencié aux services proposés par certaines communes. Ainsi, dans les communes de Parthenay, la CVQ est utilisée à la crèche, à la cantine, à la garderie, aux centres de loisirs et dans les médiathèques.

Fin 2018, le système de tarification en fonction du revenu a été soumis à l’étude pour les maisons de retraite[3]. Les maisons d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) coûtent aux familles 2.000 euros mensuels toutes aides supprimées. La Mutualité française a formulé 21 propositions parmi  lesquelles elle suggère la mise en place d’une tarification progressive des Ehpad en fonction des revenus. Si cela demeure une piste de travail qui s’inscrit dans un programme d’aide aux personnes dépendantes qui devrait déboucher sur une nouvelle loi et une nouvelle protection sociale, il est possible de s’interroger sur l’utilité de ce nouveau système tarifaire qui accompagnerait déjà un soutien de la Mutualité aux 4,3 millions d’aidants familiaux et aux 1,3 million de personnes dépendantes pour essayer de préserver leur autonomie. Pour reprendre les mots de Thierry Beaudet, président de la Mutualité, qui souhaite « mobiliser la solidarité nationale » : instaurer une différenciation des tarifs des Ehpad en fonction du revenu ne semble pas nécessairement être la solution la plus efficace, sous peine d’accentuer le clivage.

Qu’en est-t-il en Europe ?

La tarification progressive des services publics administratifs se retrouve dans certains pays d’Europe, notamment avec la tarification des crèches. En Belgique et en Suisse, les forfaits des structures d’accueil pour petite enfance sont calculés en accord avec les revenus annuels net des ménages. En ce qui concerne la tarification des repas scolaires, celle-ci diffère d’un pays à l’autre. A tarif fixe en Belgique et en Suisse[4], les ménages qui rencontrent des difficultés financières peuvent cependant bénéficier de réductions ou de repas gratuits en remplissant un formulaire pour le Service des Ecoles Primaires et Secondaires. Un système similaire est en place au Royaume-Uni, où les repas sont même complètement gratuits pendant les trois premières années d’école. Le gouvernement finance à hauteur de 2,30£ par jour par élève pour les repas gratuits suite à la décision du gouvernement en 2014 d’offrir le repas à tous les élèves peu importe la situation financière des parents. D’autres pays, comme la Suède ont adopté la gratuité complète des cantines scolaires[5].

Si ces systèmes d’aides au financement des repas scolaires ressemblent au système de différenciation française des tarifs basés sur le quotient familial, il subsiste toutefois une distinction importante. Les cantines Belges, Suisses et Anglaises offrent des aides aux ménages défavorisés, tandis que les cantines Françaises sont tarifées progressivement en fonction de différents niveaux de revenu, impliquant que les ménages les plus aisés doivent nécessairement se soumettre à des tarifs plus élevés.

De plus, cette similarité en matière de système tarifaire reste cantonnée à certains secteurs et ne s’est pas étendu dans le domaine culturel comme en France. S’il existe une grille tarifaire pour le conservatoire de Genève, celle-ci est définie par tranche d’âge et non de revenu[6]. Il n’existe pas non plus de tarifs différenciés pour les organismes publics artistiques et culturels en Belgique ou au Royaume-Uni. La persistance en France d’une tarification proportionnelle aux revenus dans différents secteurs peut paraître excessive, voire excéder les limites de la solidarité nationale.


[1] Aide Sociale. Calcul du Quotient Familial. https://www.aide-sociale.fr/quotient-familial-caf/

[2] Communauté de communes de Parthenay-Gâtine. http://www.cc-parthenay-gatine.fr/ccpg/viepratique/cvq/Pages/La-Carte-de-Vie-Quotidienne.aspx

[3] Le Figaro. Maisons de retraites : la tarification en fonction des revenus à l’étude. http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2019/01/22/20002-20190122ARTFIG00140-maisons-de-retraite-la-tarification-en-fonction-des-revenus-a-l-etude.php

[4] Site officiel de la ville de Lausanne. Repas scolaires. http://www.lausanne.ch/thematiques/scolarite-lausanne/journee-ecolier/repas-scolaires.html

[5] Cnesco. Contribution sur la restauration scolaire. http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2017/10/171002_Restauration_scolaire_VF.pdf

[6] Conservatoire de musique de Genève. http://www.cmg.ch/inscription_et_tarifs_instruments_et_chant