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Pour renforcer l’ISF, Bercy veut élargir l’abus de droit

Le plafonnement de l’ISF attaqué. Le Conseil constitutionnel a décidé qu’un impôt payé tous les ans ne pouvait pas prélever la presque totalité des revenus d’un contribuable, sinon il devenait confiscatoire ; c’est cette décision qui a imposé le plafonnement du total des impôts directs d’Etat (IRPP, prélèvements sociaux et ISF) à un maximum de 75% des revenus encaissés l’année précédente. En cas de dépassement, l’ISF est réduit.

Pour l’administration, le « bénéfice » du plafonnement est un avantage pour le contribuable (et qui a pour elle symétriquement un coût, évalué à 1,077 milliard d'euros en 2015) ; mais pour l’économie, c’est une désincitation à créer des richesses nouvelles puisque le contribuable « plafonné » constate que toute création de richesse supplémentaire, qu’elle résulte de salaire, de bénéfice d’entreprise ou de plus-values, subira une première tranche de taxation à 75% tant que le revenu ainsi accru ne dépassera pas 75% du total IRPP plus  CSG/CRDS, etc. plus ISF. Ainsi, pour un contribuable assujetti à un ISF élevé, le meilleur moyen de baisser ses impôts est d’éviter que ses investissements ne rapportent !

Le plafonnement de l’ISF est pour Bercy une « niche fiscale » dont il faut limiter l’usage pour augmenter la recette. La décision du Conseil constitutionnel empêche l’administration de la plafonner ou de la « raboter » en jouant sur le pourcentage ; reste à en limiter l’effet par des mesures présentées comme « anti-abus » et c’est l’objet de l’article 4 du projet de loi de finances pour 2017 :

« les revenus distribués à une société passible de l’impôt sur les sociétés contrôlée par le redevable sont réintégrés dans le calcul prévu à l’alinéa précédent (c’est-à-dire le calcul du revenu dont le total des impositions ne doit pas dépasser 75%) si l’existence de cette société et le choix d’y recourir ont pour objet principal d’éluder tout ou partie de l’ISF, en bénéficiant d’un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de ce même alinéa. Seule est réintégrée la part des revenus distribués correspondant à une diminution artificielle des revenus....

Le litige est soumis aux dispositions des 2ème, 3ème et 4ème alinéas de l’article L 64 du livre des procédures fiscales (LPF) ».

Le prélude à une inquisition fiscale

Cet article, apparemment moralisateur et anodin, prépare une véritable inquisition fiscale des contribuables plafonnés en 2017 :

  • l’exposé des motifs vise « des stratégies fiscales abusives » de contribuables dont « le train de vie courant peut alors être assuré par l’utilisation des liquidités ou de l’épargne disponible, ou encore en ayant recours à l’emprunt » ;
  • « la mesure devrait avoir un rendement de 50M€ (50.000.000€) dès 2017 » ;
  • l’article  L 64 du LPF est relatif à l’abus de droit fiscal qui peut entraîner des pénalités de 40 à 80% en plus des droits éludés ; seuls les 3 derniers alinéas sont visés et pas le 1er aux termes duquel l’abus de droit résulte du fait que les actes incriminés, bien que légaux, « n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales » ; cela veut dire que, dans le cas du plafonnement de l’ISF, il suffit qu’échapper à l’impôt qui soit seulement « l’objet principal » et non plus « l’objet unique » de l’opération contestée par le fisc pour que l’abus de droit puisse être invoqué !

Ce projet d’article montre une fois de plus que l’ISF est un mauvais impôt puisque, pour mieux l’appliquer, les services fiscaux en viennent à demander le droit de pénaliser des opérations conformes à la lettre du droit fiscal et ayant un objet économique si elles entraînent trop de réduction d’impôt ! 

Il reste l’espoir que le Conseil constitutionnel ne laisse pas passer une mesure qui frise l’arbitraire. Le Conseil a déjà censuré il y a quelques années une disposition ayant le même objet (intégrer dans les revenus du contribuable servant au calcul du plafonnement les revenus non distribués des holdings qu’il contrôle) et il pourrait ne pas accepter que l’administration utilise la procédure de l’abus de droit pour contourner une de ses décisions.