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Politique fiscale conjugale et familiale : le benchmark européen

Il est de coutume d’évoquer le fait que les dispositifs des quotients conjugal et familial n’ont pas d’équivalent chez nos voisins européens. Nous proposons donc une comparaison européenne afin d’affiner cette constatation liminaire. Cette comparaison permet de constater que les pays, notamment le Royaume-Uni et les Pays-Bas, dans lesquels il n'y a pas de conjugalisation de l'impôt, ont des niveaux de niches fiscales très élevées. 

La politique fiscale conjugale : deux dispositifs alternatifs au quotient se dégagent

La technique du doublement du tarif du barème applicable : En Allemagne, la situation conjugale du contribuable est prise en compte par l’intermédiaire du barème familial appelé Splittingtarif qui consiste à multiplier par deux les tranches de barème assujettis aux taux progressifs de l’IR. 

En Irlande, le barème qui ne connaît que deux taux (20% et 40%) est adapté pour les couples mariés avec une augmentation des tranches qui passent à 20% jusqu’à 51.000 euros (40% au-delà) pour les couples mariés mais avec un seul revenu, et 20% jusqu’à 84.000 euros pour les couples disposant de deux revenus. Les couples mariés bénéficient également d’un abattement général spécifique de 3.750 euros. 

La Suisse conjugalise également son impôt sur le revenu. Les revenus du couple sont additionnés, avec adaptation du barème (18 tranches dont un taux 0) là encore puisque le taux appliqué à leur revenu imposable est celui alors qui correspond à 50% de ce dernier. Cette approche pourrait cesser à compter de l’imposition pour 2025 (voir encadré infra sur les réformes en cours). Le Conseil fédéral voulant parvenir à une individualisation complète des impôts mais avec un avantage fiscal pour les familles (1 milliard de francs)

En Espagne également l’imposition n’est pas individualisée pour les couples mariés, avec la possibilité d’effectuer une déclaration commune de revenue pour les personnes physiques. Cette « conjugalisation » permet lorsque les revenus du couple sont très disparates voir nul pour l’un d’entre eux de bénéficier d’une réduction d’impôt jusqu’à 3.400 euros.  La déclaration commune en Espagne emporte par ailleurs d’autres conséquences comme des déductions fiscales spécifiques dont les couples en union libre ne peuvent bénéficier : la possibilité de cotiser au régime de retraite de son conjoint associé à une réduction supplémentaire jusqu’à 1000 euros/an. Le bénéfice lorsqu’il membre du couple est handicapé d’une déduction fiscale de 1.200 euros/an. Ainsi qu’une déduction « pour résidence habituelle ».

Il existe par ailleurs en Espagne une prise en compte d’une part non imposable à l’IR qui tient compte de la composition du foyer familial. Il s’agit du Minimum personnel et familial. La composante « personnelle » du minimum est de 5.500 euros/an/contribuable qui correspond à une imposition à taux zéro à l’IR et qui est conjugalisée. Elle est majorée de 1.150 euros pour les contribuables de +65 ans puis de 1.400 euros pour les +75 ans. 

La technique de l’individualisation intégrale de l’impôt : Au Royaume-Uni, l’imposition des revenus du couple est totalement individualisée. Chaque imposition séparée bénéficiant d’un crédit d’impôt général (General tax credit) de 12.750 £. Mais lorsqu’un membre du couple perçoit des revenus inférieurs à cette décote, il peut faire bénéficier son conjoint imposable d’une fraction de celle-ci égale à 250£/an si et seulement ses revenus n’excèdent pas 50.000 £ en Angleterre et 43.450 £ en Ecosse. Il existe par ailleurs pour les couples dont l’un des membres est né avant le 6 avril 1935 une disposition résiduelle consistant en une réduction d’impôt appelée Married Couple Allowance comprise entre 401£ et 1.037,5£/an. Cette réduction touchant soit le mari si le mariage a eu lieu avant e 5 décembre 2005 et sur l’impôt individuel le plus élevé au-delà. 

Aux Pays-Bas la taxation à l’IR des revenus est également totalement individualisée, mais il existe pour les personnes vivant maritalement la possibilité de s’enregistrer auprès de l’administration fiscale en tant que Tax Partners. Cet enregistrement leur permet d’optimiser leur situation fiscale avec certains avantages liés : maximiser les déductions fiscales liées aux hypothèques rechargeables, les dépenses médicales, les frais de scolarité, maximaliser l’usage de l’abattement général sur l’impôt sur le revenu. Pour les couples, l’abattement général est de 2.837€ par contribuable en dessous de l’âge de départ à la retraite[1]. A partir de l’âge de départ à la retraite l’abattement sur la 1ère tranche de revenu est le même mais le calcul ensuite est un peu moins généreux[2]. Ces abattements cessent lorsque les revenus excèdent 68.507 euros. 

En Italie, les revenus du couple sont taxés séparément à l’IRPP en proportion de leurs revenus d’activité respectifs. Lorsque les enfants à charge génèrent des revenus ils sont attribués à l’un ou l’autre parent. Il n’y a pas d’abattement ni de décote dans l’entrée du barème. 

La Belgique applique comme la France un quotient conjugal

En Belgique le quotient conjugal s’élève au maximum à 11.450 euros (en 2023, sur les revenus 2022) et à 12.550 euros en 2024 sur les revenus 2023. Il s’ajoute à la quotité exemptée d’impôt qui s’élève à 10.570 euros pour 2024 (identique pour l’ensemble des contribuables). La progressivité est ensuite assez forte et basé que quatre taux (25% dès le 1er euro après quotient + abattement) puis 40%, 45% et enfin 50%[3].  

La Suisse envisage la mise en place d’un système totalement individualisé

Une proposition fédérale et une votation populaire proposent une individualisation intégrale de l’IR pour 2025. Les couples mariés seront imposés comme les couples non mariés, avec deux déclarations séparées. Le barème fiscal sera ajusté avec des taux d’imposition réduits sur les bas et moyens revenus. La progressivité sera donc atténuée pour les couples disposant de revenus comparables. 

Politique fiscale familiale, là encore, deux tendances s’opposent

S’agissant cette fois de la prise en compte de la famille dans le calcul de l’IR des personnes physiques, on constate deux approches, celle des abattements fiscaux et des crédits d’impôts spécifiques et ceux des crédits d’impôts universels et globaux en remplacement des subventions et allocations existantes.

La technique des crédits d’impôts spécifiques/abattements : L’Allemagne dispose d’abattement fiscaux pour enfant à charge (Kinderfreibeträge) qui s’élève en 2023 à 8.952 €/an/enfant pour un couple marié. Ces dispositions s’applique aux enfants à charge jusqu’à 18 ans porté à 21 ans s’il est en recherche d’emploi, jusqu’à 25 ans s’il poursuit des études et quel que soit l’âge en cas d’infirmité.  En outre les enfants à charge ouvrent droit à la déductibilité des 2/3 de leurs frais de garde jusqu’à 4000€/an/enfant jusqu’à 14 ans et 25 ans s’ils souffrent d’infirmité. Mais aussi la déductibilité des frais de scolarité dans les écoles privées jusqu’à 5.000€/enfant/an même si l’école se trouve dans l’UE et hors d’Allemagne. Attention cependant, les abattements fiscaux sont corrélés aux allocations familiales (kindergeld) et ne peuvent être cumulés. A l’occasion de la déclaration fiscale, c’est l’administration fiscale qui choisi le plus favorable des deux systèmes (par réintégration des allocations dans le revenu si l’abattement est plus favorable ou au contraire par annulation de l’abattement). A noter que l’octroi des kindergeld n’est pas automatique et qu’elles doivent être demandées pour être effectivement versées. L’arbitrage de l’administration fiscale étant « théorique[4] ».

Aux Pays-Bas les parents qui travaillent peuvent demander le bénéfice d’un crédit d’impôt combiné lorsqu’ils élèvent de jeunes enfants. Il ouvre droit à des réduction d’impôt sur le revenu et sur les cotisations de sécurité sociale. L’enfant doit être âgé de moins de 12 ans.  Le montant du crédit est imputé sur le parent ayant les revenus les plus faibles. Il s’agit d’une mesure permettant d’encourager le travail des parents ayant des enfants à charge. Deux cas de figure se présentent :

  • Si la personne responsable n’atteint pas l’âge de départ à la retraite en 2024, elle ne bénéficie d’aucune remise jusqu’à 6.074€ puis d’un abattement de 11,45% sur les revenus compris entre 6.074€ et 31.838€. Puis lorsque les revenus excèdent ce montant, la somme devient forfaitaire, soit 2.950€.
  • Si la personne responsable atteint l’âge de départ à la retraite, les tranches restent les mêmes mais à la tranche intermédiaire la déduction n’est plus que de 5,9% et au-delà de 31.838€ de 1.521€.

En Belgique il n’y a pas non plus de quotient familial, mais des abattements pour enfant à charge, entendu comme les enfants, mais aussi les petits-enfants et les arrière-petits-enfants ou tout autre enfant dont les contribuables sont responsables légaux. Le montant total des abattements fiscaux n’est pas plafonné : 1 enfant à charge 1.850€, 2 enfants à charge 4.760€, 3 enfants 10.660€, 4 enfants 17.250€ plus 6.580€ par enfant supplémentaire ensuite. 

En Irlande les crédits d’impôts pour enfants à charge ne concernent que les personnes seules avec enfants ou personnes handicapées. Par contre des crédits d’impôts existent pour prendre en charge leurs frais médicaux, les frais de scolarité et les frais de garde d’enfants. 

En Suisse le montant actuel des déductions pour enfant s’élève à 6.700 francs/enfant/an et s’élèvera après la réforme en cours de l’individualisation de l’impôt à 12.000 francs/enfant/an afin de neutraliser l’augmentation de l’imposition globale induite par la « déconjugalisation ». Les couples devront déterminer quel enfant prendre en charge sur leurs déclarations respectives. 

En Espagne, l’abattement du Minimum personne et familial se double d’un minimum par descendant comme par ascendant à charge. Pour les enfants ces majorations sont de 2.400 euros pour le 1er enfant, 2.700 euros pour le second, 4.000 euros pour le 3ème, 4500 euros pour le quatrième et les suivant. Par ailleurs en cas de décès des enfants, cette sortie ne produit qu’une minoration d’abattement de 2.400 euros.

Lorsque le descendant pris en charge a moins de 3 ans, les minima sont augmentés de +2.800 euros en sus des abattements pour enfant. L’ensemble de ces éléments viennent augmenter la tranche à 0% du contribuable ou du couple lors de l’application du barème de l’IR[5].

La technique du Crédit universel : elle est déployée par exemple au Royaume-Uni où le Child Tax Credit a été basculé depuis mars 2023 au sein de l’Universal Credit. Les personnes qui disposaient déjà du Child Tax Credit reçoivent désormais l’UC sans les contraintes associées. Contrairement à celles qui en bénéficie à compter de la bascule effectuée du CTC dans l’UC.  Il existe par ailleurs un plafond d’éligibilité au dispositif qui est de 19.995£ pour le responsable légal des enfants en 2024. Le système est architecturé autour d’un dispositif cumulatif de crédits d’impôts : élément familial 545£/an + élément infantile par enfant sain +3.235£/an + éventuellement des compléments pour handicap (léger +3.905£ et sévère qui s’additionne au premier +1575£/an). 

Le système britannique est par ailleurs plafonné suivant la règle dite des deux enfants (les autres n’ont pas le droit à ces crédits sauf naissance conjointe, adoption etc.) Cette politique étant apprécié pour les naissances intervenues après le 6 avril 2017.

Il existe par ailleurs un dispositif non cumulable alternatif de déduction des frais d’entretien des enfants à charge, (Childcare Costs) du revenu imposable. Sa déductibilité augmente qui passe de 75% à 80% des coûts engagés à la faveur du déploiement de l’Universal Credit. Mais les montants déductibles sont plafonnés 950,92£/mois/1er enfant et au-delà 1.639,15£/mois/enfant. 

Le cas spécifique Italien en matière de politique fiscale familiale

En Italie, deux dispositifs conjoints sont mis en place :d’une part l’introduction en 2023 d’un Quotient familial (comme en France) par part. On divise dorénavant la somme des revenus familiaux par un coefficient égal au nombre de parts fiscales (exactement sur le même modèle que la France), avec possibilité de majoration de parts pour enfants handicapés ou personnes isolées avec enfant à charge. 

Mais aussi la mise en place à compter de mars 2022 d’un dispositif modulé à la baisse des crédits d’impôts existant pour les familles au travers d’une allocation universelle unique (Assegno Unico Universale) pour les enfants de moins de 21 ans. Cette mesure visant à contribuer au soutien des familles et à encourager la natalité. Elle intègre comme dans le modèle britannique différents éléments existant comme : le bonus bébé, les déductions pour enfant à charge, ainsi que les allocations familiales (précédemment versées sur la fiche de paie et payables uniquement aux salariés).


[1] Suivant les modalités suivantes : 1.469 € sur une 1ère tranche entre 0 et 21.034 € puis un abattement réduit de (2.837€-5.997%*(revenu taxable – 21.034€).

[2] Suivant les modalités suivantes : €1,469 – 3.093% x (taxable income from work and house – €21,043)

[3] https://www.wikifin.be/fr/impots-emploi-et-revenus/declaration-dimpots/comment-est-calcule-votre-impot

[4] Il peut donc en résulter que l’administration réintègre dans le revenu imposable des allocations qui n’ont pas été demandées si elles sont moins favorables que l’abattement… ce qui peut avoir des effets indésirables. 

[5] La progressivité n’en est pas amoindrie puisque si le montant modifié de la tranche nulle vient à excéder celui de la 1ère tranche imposable, le revenu devient taxé au taux minimal de la tranche suivante.