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L'historique des crises de la dette

Sous l’Ancien Régime et jusqu’à la révolution de 1789, les crises de la dette en Europe étaient principalement causées par les dépenses de guerre, financées par l’emprunt, atteignant des niveaux extraordinaires et contraignant ces pays à de forts niveaux d’endettement à la fin des conflits. Par la suite, les crises économiques se surajoutèrent aux guerres progressivement mondiales, comme facteurs explicatifs des variations des dettes souveraines. A cet égard, le tracking record de la France est globalement mauvais jusqu'en 1945, puis à nouveau en forte dégradation depuis 1974, sous l'effet des chocs pétroliers, puis de la crise des subprimes en 2008-2009, et enfin de la crise du Covid en 2020.

Période médiévale : à partir du 13ème siècle le roi ne peut plus progressivement "vivre du sien"

Durant la période médiévale, Saint-Louis (1226-1270) est surnommé par l’historien Jacques Le Goff, « premier roi de l’endettement ». Le souverain en effet ne peut plus "vivre du sien" (c'est-à-dire des produits de son domaine royal) et doit demander sans cesse des subsides et contributions extérieures. La sortie de crise toute trouvée sera l’expulsion des créanciers (juifs en l’occurrence). Philippe Le Bel (1285-1314) aura recours au même procédé, consistant à s’en prendre aux créanciers et à recourir à la technique dite des « dons de joyeux avènement » afin de désendetter la couronne, de concert avec des manipulations monétaires constantes. C’est l’insuffisance de ces artifices qui conduit à la réunion des premiers états généraux du Royaume de France en 1302, puis en 1314, afin de financer la guerre des Flandres. Entre 1302 et 1484, ces derniers se réunissent une trentaine de fois, dont la moitié environ pour des raisons financières.

La Renaissance marque un recours constant à l'endettement public et aux défauts à répétition

Les Temps Modernes voient le Trésor Royal de France faire défaut plus qu’aucun autre en Europe. Les économistes Reinhart et Rogoff[1] ont comptabilisé 8 défauts entre le XVIème siècle et la Révolution française : 1558 (sous Henri II à la suite de la crise financière de la monarchie espagnole de Philippe II), 1624, 1648, 1661, puis 1701, 1715, 1770 et 1788. Cette fréquence espacée de quarante ans en moyenne des défauts royaux, s’explique par la situation quasiment constamment déficitaire des finances de la couronne.

Sous Louis XIV, la poursuite incessante des guerres (1 année sur 2) dont les résultats politiques et économiques sont peu conclusifs pour la France, la dette royale atteint les 3 à 4 milliards de livres soit à peu près 90% du PIB. Les services de celle-ci représentant annuellement 80 millions soit 2% de l’encours de dette (et largement financés par des rentes perpétuelles (dont celles sur l’hôtel de ville de Paris) et par l’affermage de certains impôts), soit peu ou prou 1,8% du PIB.

La première crise d’endettement généralisé intervient lors de la guerre de Succession d’Espagne, qui s’est déroulée de 1701 à 1714, et a vu s’affronter plusieurs puissances européennes, dont la France, la Grande-Bretagne, l’Espagne, la Prusse, les Provinces-Unies et l’Autriche. Ces pays ont contracté de nombreux emprunts et la hausse des taux d’endettement a fini par les précipiter au sein de la première crise européenne de la dette sous l’Ancien Régime (1708-1711)1.

Focus sur la crise de la dette en France sous l’Ancien Régime

En 1748, année qui signe la fin de la guerre de Succession d’Autriche, la France se retrouve avec une nouvelle crise fiscale qui nécessitera l’intervention de Machault d’Arnouville, contrôleur général des finances. Il met en place une première Caisse d’amortissement, prolonge l’impôt de guerre et a recours à l’emprunt pour financer la dette. C’est donc bien le retour des guerres qui a précipité la crise, en effet depuis 1726, le cardinal Fleury, principal conseiller du roi, interdit jusqu’à sa mort (1743) tout déficit public. Auparavant, la Banqueroute de Law aura eu un effet paradoxal : premier système de monnaie de banque « centrale » testé en France (1716-1720), il runiera les petits porteurs, mais il aura permis de réduire de moitié la dette publique en 1722 (qui passe de 80-90% en 1711 à 45% environ du PIB).

La Guerre de Sept Ans (1756-1763) a plongé de nombreux pays européens au sein d’une grave crise financière, touchant autant les perdants que ceux sortis victorieux du conflit. Ainsi, la Grande-Bretagne tentera de réduire sa dette en augmentant les taxes sur son empire colonial ; la France choisira de contracter de nouveaux emprunts, puis d’augmenter les impôts, faisant face à de multiples banqueroutes2 ; l’Autriche préfèrera réduire ses dépenses militaires en diminuant ses effectifs de soldats ; et la Prusse imposera de nouvelles taxes. En France, la banqueroute consécutive à 1771 propulse l’abbé Terray, dernier contrôleur général des finances de louis XV sur le devant de la scène. Celui-ci conclut un peu à l’emporte-pièce que « les gouvernements devraient faire défaut au moins une fois tous les siècles pour restaurer les grands équilibres financiers de l’Etat. » Il théorise le défaut… alors même qu’il applique une cure d’austérité aux finances publiques royales. Son impopularité le fait remplacer par Turgot (2 ans), puis Necker qui présente pour la 1ère fois des comptes publics en 1781.

Une troisième crise majeure s’est produite sous l’Ancien Régime, à l’issue de la guerre d’Indépendance américaine (1775-1783), qui provoque une grave crise de la dette pour les Britanniques et les Français (1 milliard de livres finance quasi-exclusivement l’emprunt). La dette royale française tutoie les 100% du PIB, tandis que 41% des dépenses de l’Etat sont absorbées par le service de la dette.

La Révolution et l'Empire restaurent difficilement les finances publiques héritées de l'Ancien Régime

A cette époque, la France fait face à des déséquilibres financiers tels, que la situation s’est transformée en crise du crédit de 1787 à 1789, se soldant par la "banqueroute des deux tiers" par la loi du 9 vendémiaire de l’an VI (30 septembre 1797) : le ministre des Finances du Directoire, Dominique Ramel, fait voter une loi qui annule les deux tiers de la dette et met en place de nouveaux impôts et une réorganisation des finances)2. Il assure la suppression du papier monnaie et procède à un retour à la monnaie métallique. Le budget 1799 est équilibré et la stabilité monétaire est durablement établie via le franc « germinal » dont le poids en métal précieux sera maintenu jusqu’à la veille de la Ière Guerre Mondiale. Les conquêtes napoléoniennes font baisser le niveau de la dette publique à cause des montants importants des prises de guerre. En 1815 elle est évaluée à 15% du PIB.

Au XIXe siècle, ce ne sont plus les guerres qui sont la cause majeure de l’endettement des Etats, mais les crises économiques

La Grande Dépression (1873-1896) plonge de nombreux pays européens au bord de la faillite financière. En effet, de nombreuses banques autrichiennes font faillite, suite au krach boursier de mai 1873 résultant de l’éclatement de bulles spéculatives. Cette situation s’étend rapidement à la France et à la Prusse, qui dans les années 1870, étaient engagées dans des mouvements importants de spéculation immobilière et boursière. S’ensuit un manque de liquidités, une perte de confiance dans les institutions bancaires, de nombreuses faillites d’entreprises et une surproduction de matériel ferroviaire, provoquant une crise économique ressentie jusqu’aux Etats-Unis. Pour la France, entre 1815 et 1890 la dette publique passe de 15% à 90% du PIB, notamment à cause de l’indemnité due à l’Allemagne suite à la guerre de 1870-1871, qui est financée par l’emprunt (5 milliards de francs or). Mais si la hausse de l’endettement est constante sur la période, le niveau des dépenses publiques reste stable entre 10 et 13% du PIB de 1815 à 1914. Ce sont donc bien les crises économiques plus que militaires qui détériorent le niveau de l’endettement public.

Au XXème siècle, guerres mondiales et crises en alternance

Au sortir de la 1ère guerre mondiale, la France voit son endettement passer de 75% en 1914 à 150% en 1918. Désormais, s’agissant des dépenses publiques, la loi de Wagner s’applique avec ses effets cliquets interdisant tout retour au niveau d’avant-guerre. Elles s’élèvent désormais non plus à 15% du PIB mais à 30% (du fait du coût des reconstructions et du paiement des pensions d’invalidité, ainsi que de la montée des dépenses d’intervention économique et d’enseignement).

La crise de 1929, née aux Etats-Unis suite à l’éclatement de la bulle spéculative et au krach boursier d’octobre 1929, frappe les pays européens faisant déjà face à des déséquilibres financiers. En effet, l’Allemagne connaît une contraction du crédit dès 1928 ainsi qu’un ralentissement de l’investissement (dû à un retrait des capitaux français et américains et à la mise en place de programmes de logements publics, financés par le déficit public), qui précipite le pays dans la récession en 1929. L’Italie est également touchée durement par la crise, alors qu’elle fait face à une période d’austérité imposée par le gouvernement fasciste, ainsi qu’à une chute brutale de ses exportations (en raison de prix très élevés, peu compétitifs) et une faible consommation intérieure, provoquant un recul de la production. Le pays plonge alors dans la récession, provoquant l’endettement de l’Etat italien. La crise atteint également la Belgique et le Luxembourg, réunis au sein d’une union belge-luxembourgeoise : recul de la production sidérurgique et du secteur textile, baisse de la demande, hausse du chômage, repli protectionniste, vont finalement mener au déficit budgétaire et à l’endettement de ces deux Etats. La fermeture des différents marchés européens contribue à enfoncer les pays dans la crise, en faisant chuter la production et la consommation, situation se soldant par de hauts niveaux de chômage et des déficits publics élevés. Le Danemark, la Norvège, la Suède et les Pays-Bas sont ainsi durement affectés par le repli protectionniste des économies européennes, causant la faillite de nombreuses entreprises et exploitations agricoles, ainsi que le recul de la production industrielle et la montée du chômage. L’Autriche et la Tchécoslovaquie voient également leur dette augmenter, face au manque de débouchés pour la vente de leur production industrielle3. La France qui avait vu sa monnaie en circulation multipliée par 6, ne peut restaurer la confiance que par l’introduction du franc-Poincaré de 1928 qui aboutit à une division par 5 de sa teneur en or. Par ailleurs, même avec retard, la crise de 1929 qui arrive en France en 1932 fait passer la dette publique de 80% du PIB à près de 110% en 1939. Entre temps des dévaluations interviennent en 1936 et 1938.

Suite à la Seconde Guerre Mondiale, les pays européens ont connu une crise de la dette, avec des niveaux pouvant atteindre jusqu’à 300% du PIB4. L’Allemagne, sortant perdante du conflit, fait face à un recul de sa production agricole et industrielle, ainsi qu’à d’immenses pertes humaines et un territoire à reconstruire. Il en va de même pour l’Italie qui conjugue destructions matérielles et inflation. L’Angleterre est gravement endettée auprès des Etats-Unis et de l’Amérique du Sud, tandis que la France fait face à un sévère endettement, doublé d’inflation. La France voit sa dette au sortir du conflit s’élever à 170% du PIB. Mais entre 1945 et 1948, avec une inflation de 52%, l’endettement public passe de 170% à 40% du PIB. Il y aura parallèlement 6 dévaluations sous la IVème République, tandis que l’endettement public est ramené à 30% à la fin des années 1950.

Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 ont à leur tour plongé les économies européennes dans de graves crises financières. L’Italie, particulièrement touchée, s’enfonce dans la récession. La France, la Grèce, le Portugal et l’Irlande seront les suivants à être atteints par la crise. C’est la Commission Européenne, instaurant un "mécanisme de prêt communautaire", qui a permis à l’Europe de s’en sortir à l’époque (émission de titres de dettes garantis par le reste des pays). La France, elle, est en déficit depuis 1974 et sa dette publique passe entre 1978 et 1982 de 21,2% à 25,4% du PIB[2].

Début du XXIème siècle et crises financières

La crise des subprimes de 2007-2008, ayant causé de hauts niveaux d’endettement au sein des économies européennes, a précipité celles-ci dans la crise de la dette de la zone euro en 2010, le cas de la Grèce ayant été symptomatique de l’aggravation de cette crise. La Grèce menaçait de faire défaut sur le paiement de sa dette, ce qui posait la question de son sauvetage économique, créant un vent de panique sur l’ensemble de la zone. En effet, les taux d’intérêt se sont envolés et les marchés financiers se sont trouvés déséquilibrés, notamment en raison de la perte de confiance dans le système de monnaie unique, et ont commencé à réévaluer la dette des pays en difficulté, en fonction de leur solvabilité (les PIIGS : Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne). En 2012, le mécanisme européen de stabilité est mis en place, visant à accorder des prêts aux pays en crise en contrepartie de réformes à adopter, dans le but de stabiliser les marchés financiers. A compter de 2015, les interventions de la banque centrale européenne permettent un rachat massif de dettes publiques sur les marchés secondaires (PSPP). La France aborde la période avec une dette de 64,5% du PIB. Celle-ci ne ralentira pas puisqu’elle atteindra 90,6% en 2012, 98% en 2016, 98,1% en 2019, à la veille de la crise du covid-19.


[1] Voir, Reinhard et Rogoff, Cette fois c’est différent, Pearson, 2011, https://www.amazon.com/Cette-fois-cest-diff%C3%A9rent/dp/2744064513, mais aussi, P-F Gouiffès, http://www.pfgouiffes.net/upload/files/FIPU%20avant%201974.pdf, voir également notre note sur son ouvrage paru en 2013, https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/lage-dor-des-deficits-un-vade-mecum-indispensable

[2] https://www.insee.fr/fr/statistiques/2830192#graphique-figure1_radio2