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Le surendettement perpétuel de la France enchaîne les générations futures

À croire certains commentateurs, la dette publique ne serait désormais plus un problème. Le gouvernement assume d’ailleurs cette position. La France vogue ainsi vers une dette publique représentant 115 % du PIB cette année si on en croit la nouvelle loi de finances rectificative 2020. Ce sera sans doute beaucoup plus.

Certes, dans cette période de crise d’une extrême gravité, tout doit être fait pour sauver nos entreprises et nos emplois. Devoir s’endetter davantage est un choix qui ne se discute pas.

Mais le gouvernement est-il fondé à soutenir que cet endettement exponentiel ne pose aucune difficulté ? Le problème tient à la dette publique déjà énorme emmagasinée ces dernières années, ainsi qu’à ses implications demain, qui ne doivent pas être mésestimées. Indépendamment de la crise actuelle, 599 milliards de dette publique arriveront à échéance d’ici à 2023.

Si l’on en croit les prévisions du FMI, à la fin de l’année, en Allemagne, la dette publique ne représentera pas entre 115 et 120 % du PIB comme en France, mais seulement 68 % du PIB. Et ce en raison des efforts de gestion publique réalisés ces dernières années outre-Rhin : réforme du modèle social, report de l’âge de départ à la retraite à 67 ans, équilibre de leurs comptes publics et sociaux avec le fameux « schwarz Nul l» (objectif zéro déficit).

Grâce à ce zéro déficit, les Allemands ont pu, pour répondre à la crise née du Covid-19, dégainer un « bazooka », selon leur propre expression : un plan de soutien à l’économie équivalant à 4,9 % du PIB, soit 160 milliards. Le nôtre, en coût évalué pour l’État, ne représentera « que » 2,3 % du PIB, soit 52 milliards. Le plan de soutien français risque aussi d’être moins efficace : la garantie de l’État n’est pas à 100 % pour les crédits aux PME comme en Allemagne ; des charges et impôts aujourd’hui reportés pourront être annulés en Allemagne si c’est nécessaire. Sans doute beaucoup moins en France.

Pendant que les Pays-Bas diminuaient leur ratio d’endettement public de 20 points de PIB entre 2014 et 2019, l’Allemagne de 16 points et l’Autriche de 15, la France augmentait le sien de 3 points de PIB. La conséquence est évidente : notre pays affronte aujourd’hui la crise avec plus de difficultés que nos partenaires du nord de la zone euro.

De surcroît, l’incapacité passée des gouvernements français à contenir l’accroissement permanent de l’endettement public fait douter de notre capacité à inverser la tendance en période de sortie de crise. Les impôts en France sont les plus élevés du monde. Augmenter les impôts en 2021 ne sera donc pas une option. En outre, le rendement fiscal ne serait pas au rendez-vous. Mais à défaut d’une baisse rapide du taux d’endettement public, la dette deviendra un non-choix structurel, le synonyme de notre incapacité à réduire les dépenses, de notre perte définitive de souveraineté financière.

Certains commentateurs avancent que grâce à la politique de la BCE, la dette n’est plus un problème car elle rachète les dettes publiques et donc finance à l’infini nos déficits. L’argument ressemble à la méthode Coué. Si on n’a pas de masques, c’est qu’ils ne servent à rien. Si on a trop de dette publique, ce n’est pas un risque. Un peu comme le bon cholestérol… C’est oublier que la BCE ne conduira pas des achats de dette souveraine pour l’éternité. Nos partenaires européens ne le permettront pas, pas plus que les traités européens que nous avons nous-mêmes signés.

La France va devoir lever sur les marchés plus de 300 milliards d’euros cette année, soit près de 15 % de son PIB qui est le seuil utilisé par le FMI pour identifier la zone à risque pour le refinancement des États. Le timide désendettement de 2019 (-0,3 point de PIB) semble maintenant bien ridicule. Cette nouvelle dette publique se traduira par une augmentation de 40 milliards d’euros des émissions de dettes à moyen-long terme, mais aussi par une augmentation des encours à très court terme (un an), pour plus de 50 milliards d’euros. Ce qui expose l’État à un risque de refinancement plus rapproché, et à une situation très tendue si les taux augmentent dans les mois et années qui viennent.

Il faut donc réfuter le sophisme qui voudrait qu’une dette perpétuelle soit anodine, car cela reviendrait à enchaîner encore plus les générations futures à notre incurie.

En premier lieu, il nous faut allonger la maturité de la dette française, pour ne pas aggraver la charge de la dette. La proportion des titres à 30 ans et plus représente environ 10 % des encours. Il faudra augmenter cette proportion et aller encore plus loin dans la politique d’émission à très long terme, jusqu’à des maturités de 50, voire 80 ans ou plus.

En second lieu, il faudra endiguer la création de dette à l’avenir en adoptant le mécanisme de frein à l’endettement en vigueur en Allemagne, et qui lui permet de mieux gérer la crise aujourd’hui.

Nous ne couperons pas au concours Lépine des dépenses de relance dans les mois qui viennent. On va nous promettre des mesures exceptionnelles d’investissements d’avenir qui se transformeront immanquablement en dépenses pérennes de fonctionnement. En 2022, lors de l’élection présidentielle, lorsque l’alarme des comptes aura sonné, nous assisterons à la saison 2 du concours : le festival des idées les plus folles pour augmenter les impôts.

Cette voie nous conduirait au piège du surendettement perpétuel et à l’impasse d’une charge toujours plus pesante des intérêts de la dette sur notre budget. C’est la voie du déclin irrémédiable. Une autre voie sera possible, celle qu’ont adoptée les pays du Nord : désendettement en période de croissance, bonne gestion des finances publiques, allongement de la durée de travail, baisse des impôts sur le capital et sur les entreprises pour de la croissance bénéficiant à tous.