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Le nombre de millionnaires et de milliardaires baisse plus en France qu'en Europe

Plusieurs rapports s’intéressant aux performances patrimoniales et financières des plus aisés, viennent de paraître : le World Wealth Report 2023 publié par Capgemini, le Wealth Report 2023 de Knight Frank, et le Billionaire Census 2023 de Wealth-X (Altrata). Or ce qui ressort de ces différents rapports, nonobstant leurs différences méthodologiques c’est que les plus aisés ont significativement souffert des suites de la 1ère année de guerre en Ukraine et des contremesures économiques qui l’ont accompagnées. La France ne fait pas exception, ce que l’on vérifie non seulement s’agissant des millionnaires (-7,6%), des multimillionnaires (-12,4%) mais aussi des milliardaires (-4,4%). Si la France veut se réindustrialiser et refaire son retard, il importe de ne pas bousculer un écosystème économique déjà bien impacté par le contexte géopolitique et monétaire actuel.

Un repli de la population mondiale des millionnaires de -3,3% et leur richesse de -3,6%  en 2022

D’après le rapport de Capgemini, la population la plus fortunée (soit disposant d’une fortune nette supérieure à 1 million de dollars) a diminué de -3,3% au niveau mondial et de -3,6% en termes de fortune. Un repli qui n’était pas intervenu depuis 2018. Entre 2021 et 2022 la richesse mondiale a fondu de 3.000 milliards $, tandis qu’entre 2017 et 2018, le repli n’avait été que de 2.100 milliards $.

 

HNWI Financial Wealth in USD trillions

  
 

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Var 2022-21

Var 2022-21

North America

16,6

18

19,8

19,6

21,7

24,3

27,7

25,6

-2,1

-7,4%

Asia-Pacific

17,4

18,8

21,6

20,6

22,2

24

25,3

24,7

-0,6

-2,7%

Europe

13,6

14,7

15,9

15,4

16,7

17,5

18,8

18,2

-0,6

-3,2%

Middle East

2,3

2,4

2,5

2,6

2,9

3,2

3,4

3,4

0

1,5%

Latin America

7,4

8

8,7

8,4

8,8

8,8

9

9,2

0,2

2,1%

Africa

1,4

1,5

1,7

1,6

1,7

1,7

1,8

1,9

0,1

1,6%

Total

58,7

63,5

70,2

68,1

74,0

79,6

86,0

83,0

-3

-3,6%

Source : Capgemini Research Institute for financial Services Analysis, 2023.

Sur le plan financier, après l’Amérique du Nord, le repli est aussi important en Europe qu’en Asie-Pacifique avec -600 milliards $, soit un repli de 3,2%. Le « reste du monde » voit au contraire sa richesse s’accroître notamment le Moyen-Orient (+1,5%), l’Amérique Latine (+2,1%) et l’Afrique (+1,6%).

 

HNWI population in millions

  
 

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Var 2022-21

Var 2022-21

North America

4,8

5,2

5,7

5,7

6,3

7

7,9

7,4

-0,5

-6,9%

Asia-Pacific

5,1

5,5

6,2

6,1

6,5

6,9

7,2

7,1

-0,1

-2,0%

Europe

4,2

4,5

4,8

4,8

5,2

5,4

5,7

5,6

-0,1

-2,0%

Middle East

0,6

0,6

0,7

0,7

0,8

0,8

0,9

0,9

0

2,8%

Latin America

0,5

0,6

0,6

0,6

0,6

0,6

0,6

0,6

0

4,7%

Africa

0,2

0,2

0,2

0,2

0,2

0,2

0,2

0,2

0

4,3%

Total

15,4

16,5

18,1

18,0

19,6

20,8

22,5

21,7

-0,7

-3,3%

Source : Capgemini Research Institute for financial Services Analysis, 2023.

S’agissant de la population des millionnaires, celle-ci est en repli de -3,3%, dont -2% en Europe, contre une baisse beaucoup plus sensible en Amérique du Nord (-6,9%) entre 2021 et 2022.

En revanche on vérifie que plus la richesse augmente, plus les chocs économiques sont rudes. Les Ultra-High net worth individuals (UHNWI) dont la fortune nette est supérieure à 30 millions $ soit 210.000 individus dans ce classement, possédant 34% de l’ensemble de la richesse des millionnaires, voient leur population mondiale baisser de -4,6% et leur patrimoine net se replier de -3,7%. Les VHNWI (Very High net worth individuals) dont la fortune débute à 5 millions $ jusqu’à 30 millions $, leur population (1,997 millions) baisse de -3,8% tout comme leur fortune nette (soit quasiment autant que les UHNWI bien que détenant un patrimoine de 22,7% de la strate des millionnaires. Enfin les millionnaires et pluri-millionnaires jusqu’à 5 millions $ voient leur population baisser de -3,3% (à 19,52 millions) et leur fortune nette de -3,4%.

Les plus aisés tentent de maîtriser leurs pertes via des réallocations d’actifs, soit précisément -6 points (23%) sur les placements financiers et -3 points (15%) sur leurs revenus par une augmentation des sommes détenues en cash et équivalents, soit +10 points (à 34%).

En revanche, la strate directement inférieure avec une fortune comprise entre 250.000 $ et 1 million $, ne cesse d’augmenter (non seulement ensemencée à la base, et recueillant les « déchus » de la strate supérieure), ce qui pourrait concourir pour les années suivantes à constituer le naissain des futurs millionnaires et pluri-millionnaires. Capgemini note l’augmentation de leur population de 2,3% entre 2021 et 2022, pour atteindre 53,8 millions.

Les millionnaires français sont les plus touchés des grands pays européens

Pour avoir une estimation par pays, il faut se reporter au rapport publié par le cabinet Knight Frank.

 

HNWI population (US$ 1M+)

% Change

UHNWI population (US$ 30M+)

% Change

Territoire/Pays

2017

2021

2022

2017-2022

2021-2022

2017

2021

2022

2017-2022

2021-2022

Europe

15 516 396

19 792 054

18 929 626

22,0%

-4,40%

123 870

170 443

155 996

25,90%

-8,50%

France

2 668 266

3 445 938

3 182 601

19,30%

-7,60%

19 445

27 120

23 768

22,20%

-12,40%

Germany

2 737 844

3 611 536

3 379 431

23,40%

-6,40%

19 952

28 423

25 238

26,50%

-11,20%

Italy

2 101 406

2 167 723

2 040 284

-2,90%

-5,90%

15 314

17 060

16 490

7,70%

-3,30%

UK

2 427 283

2 966 507

2 857 827

17,70%

-3,70%

17 689

23 347

21 342

20,70%

-8,60%

Source : Knight Frank, Wealth Report, Databank 2023.

La France au sein des grands pays européens est la plus touchée par le contexte économique dans sa population de millionnaires comme d’ultra-millionnaires (>30 M$). Ainsi la population des millionnaires français (en dollar) baisse de près de 7,6% entre 2021 et 2022, et pour les ultra-millionnaires de -12,4%. Et alors même que le ticket d’entrée dans les 1% les plus riches en termes de fortune reste parmi les plus élevés du monde (6ème ex aequo) à partir d’une fortune nette de 3,5 millions $. L’Allemagne sur ces deux segments ne voit sa population de millionnaires baisser que de -6,4% et -11,2% respectivement, le Royaume-Uni de -3,7% et de -8,6%[1].

Le cabinet Knight Frank apporte des précisions supplémentaires à notre publication précédente sur Paris[2] : Paris est la destination la 8ème plus chère du monde avec 43 m² achetés pour 1 million de $, contre 17 m² à Monaco (1ère place) et 34 m² à Londres. Beaucoup plus chère que Berlin (70 m²). Par ailleurs les ventes immobilières pour des biens de luxe (>10 M$+) voir d’ultra-luxe (>25 M$+) est beaucoup plus faible qu’ailleurs : 23 ventes en 2022 sur le 1er segment et 6 sur le second, contre 223 sur le 1er et 43 sur le 2nd à Londres et 244 et 43 respectivement pour New York[3].

Et des milliardaires qui ne sont pas non plus épargnés en 2022

Wealth-X (Altrata) vient de publier son Billionaire Census 2023[4], nous permettant d’affiner les statistiques relatives aux fortunes les plus importantes. Au niveau mondiale la population des plus riches à partir des VHNWI dont la fortune atteint ou excède les 5 millions $, la répartition est la suivante :

On notera que la répartition proposée est très voisine de celle calculée par Capgemini (si on inclut dans les UHNWI les milliardaires, qui ici sont distingués). Les milliardaires sont en effet distingués selon 5 classes : 1 à 2 milliards $, 2 à 5 milliards, 5 à 10 milliards, 10 à 50 milliards et 50 milliards et plus. Le rapport montre en particulier que l’ensemble de la population de milliardaires est en baisse, à cause du contexte économique actuel. Ainsi les milliardaires dont la richesse atteint ou dépasse les 50 milliards $ sont moins nombreux en 2022 qu’en 2021 (-23,2%), idem pour la strate immédiatement inférieure (-9,2%). En revanche la strate comprise entre 5 et 10 milliards $ se maintient quasiment inchangée (-1%).

En 2022 la France arrive 11ème au classement des pays par nombre de milliardaires avec 65 individus (soit un repli de -4,4% quant à sa population par rapport à 2021), pour une fortune cumulée de 266 milliards $ (soit -9,3%). Le Royaume-Uni (4ème) en possède bien davantage soit près du double mais avec une fortune globale plus faible (114 pour 256 milliards $)[5]. L’Allemagne arrive toujours 3ème derrière la Chine et les Etats-Unis, avec 173 milliardaires en dollar, pour une fortune estimée à 555 milliards[6].

Par rapport au Royaume-Uni, la France à près de deux fois moins de milliardaire pour une richesse comparable (et légèrement supérieure), mais ces derniers sont en revanche globalement plus de deux fois moins riches que leurs homologues allemands qui sont par ailleurs près de 3 fois plus nombreux.

Enfin Paris arrive au 15ème rang comme ville disposant du plus grand nombre de milliardaires soit 32, soit -1 depuis 2021. Rappelons que Paris est désormais classée 13ème pour sa population d’UHNWI (5.235 individus).

Non les centimillionaires et les milliardaires ne paient pas signifiativement moins d’impôt

Dans une note récente, l’IPP (Institut des politiques publiques) s’est interrogé sur le montant d’impôts payés par les milliardaires en France. Et là scoop, au sein des 0,1% des foyers les plus aisés le taux d’imposition global deviendrait régressif 46%, puis 26% pour les 0,0002% les plus fortunés. Les taux effectifs à l’IR diminueraient pour atteindre 2% du revenu économique gobal pour le top 0,001%... Une information hautement scandaleuse… mais qui a fait l’objet subrepticement de plusieurs tours de passe-passe :

- Les revenus pris en considération sont ceux de l’année 2016… imposés en 2017 à l’IR (la réforme du PAS s’effectuant en 2019). A l’époque et jusqu’en 2018, les revenus de capitaux mobiliers (sauf exceptions) étaient taxées au barème de l’IR. Le PFU ne sera introduit qu’en loi de finances pour 2018 par le 1er gouvernement d’Emmanuel Macron. Les détenteurs de revenus mobiliers avaient adaptés leurs comportements et les bénéfices non distribuaient grossissaient en attendant des jours meilleurs.

- De fait, en ne considérant que les revenus fiscaux, les taux d’impositions sont bien proportionnels jusqu’au 99,997 percentiles, avec un taux sommital ISF+IR+PS à 41,8%.  Les auteurs dilatent ensuite la focale pour passer du 99,998ème percentile au 99,9998ème pour parvenir à faire baisser le taux effectif global à 38,7%... soit une baisse de 3,1 point… ce qui ne fait que démontrer une légère régressivité fiscale et sociale entre les centi-millionnaires et les milliardaires.

- Aussi les auteurs décident-ils de changer de base de calcul. Plutôt que de considérer le revenu fiscal décidément trop progressif et « à la main » des plus nantis, ils décident de tenir compte du revenu économique, en constatant que « la somme des revenus fiscaux ne représentaient en France que 1000 milliards d’euros en 2016 (…) [alors que le] revenu primaire des facteurs » s’élevait à quelques 1.600 milliards d’euros. D’où la définition d’un revenu économique dont le périmètre est librement déterminé par les auteurs « nous définissons le revenu économique dont disposent les ménages comme étant l’ensemble des revenus réalisés et contrôlés effectivement par le foyer fiscal. » c’est-à-dire incluant en sus du revenu fiscal deux types de revenus non imposés à l’IR : les cotisations sociales non-contributives (pour reconstituer un revenu d’activité brut) et les bénéfices des sociétés contrôlées par les foyers fiscaux (dont ils possèdent au moins 10% des parts). Ainsi retraité le revenu des ménages n’est plus de 1000 milliards d’euros mais de 1.278 milliards. C’est sur cette base nouvelle qui comporte la reconstitution des revenus brut auxquels on ajoute la prise en compte des bénéfices non distribués des entités contrôlées que l’on parvient à montrer… que pour le 99,9998 percentile, l’impôt payé ne représenterait que 26,2%... en y incluant cette fois l’IS et les cotisations sociales … au lieu de 59% dans le contrefactuel.

Ce gendre de démonstration tient plus de la prestidigitation que du savoir économique. Elle laisse à penser qu’il existe une masse importante à taxer là où les bénéfices non distribués peuvent assumer bien d’autres usages, comme par exemple financer des apports futurs nécessaires pour les entreprises et les groupes considérés, surtout si des statégies de long terme sont à l'oeuvre. On prend une période d’examen où les profits non distribués sont maximaux (2016) ; on change ensuite le dénominateur en le gonflant de revenus non juridiquement perçus (ce qui permet d’ailleurs de neutraliser l’impôt risque : soit les risques économiques et financiers voir boursiers futurs) et des revenus bruts de certaines cotisations sociales, puis en grossissant la focale pour trouver une régressivité désormais insoutenable entre le 99,9ème percentile et 99,9998 quantile. On crie maintenant à l’injustice entre les multimillionnaires (600.000 euros de revenus/an) et les milliardaires.

Reste que le revenu servant de comparaison n’est pas juridiquement « taxable », sauf à taxer deux fois un revenu brut (aux cotisations et à l’IR) ou non distribué, ce qui ne semble pas déranger outre mesure les auteurs qui reconnaissent toutefois que l'assiette constituée par le capital des milliardaires est très mobile. A bon entendeur.

 

[1] https://content.knightfrank.com/resources/knightfrank.com/wealthreport/2023/the-wealth-report-wealth-populations-10198.pdf

[2] https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/paris-attire-de-moins-en-moins-les-plus-fortunes

[3] https://content.knightfrank.com/resources/knightfrank.com/wealthreport/the-wealth-report---apr-2023.pdf

[4] https://storage.pardot.com/311771/1685024089RMV5rwH9/Altrata_Billionaire_Census_2023.pdf

[5] Soit des évolutions de -5% s’agissant de la population et -4% s’agissant de la fortune.

[6] Et une évolution populationnelle de -1,7%, soit une quasi-stabilité pour une baisse de richesse de -7,7%.