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Le nombre de millionnaires baisse de 10% en France

On parle ici des "Ultra High Net Worth Individuals" dont la fortune nette dépasse les 30 millions d’euros

La question de la profitabilité des entreprises du CAC40 dans un contexte économique de plus en plus difficile et anxiogène (inflation et crise énergétique, risques géopolitiques, dépréciation de l’euro), avec la possibilité d’encaissement des dividendes records en 2021 (57,6 milliards d’euros + 22,4 milliards de rachats d’actions) et sans doute en 2022 (des bénéfices de 72,8 milliards sont d’ores-et-déjà annoncés au 1er semestre 2022, soit (+23,2% par rapport au 1er semestre 2021)), a provoqué l’émergence à l’Assemblée nationale de propositions de taxation de supposés « superprofits » réalisés par les plus grosses entreprises cotées en Bourse en France. Pour autant, outre des difficultés techniques réelles (voir ici et ) indépendamment de leur opportunité politique, beaucoup reste à faire sur la baisse de la fiscalité sur le capital et les blocages réglementaires permettant l’implantation d’usines. Pourtant les éléments les plus récents en matière de variation de la démographie des plus fortunés (UHNWIs ou Ultra High Net Worth Individuals – dont la fortune nette dépasse les 30 millions d’euros) montrent que celle-ci est à la baisse en France, comme dans la plupart des pays occidentaux développés, mais dans des proportions plus fortes qu’ailleurs - le nombre de « fortunés » baisse de -10% (3ème place derrière les USA et le Japon). Ainsi, bien que les dividendes augmentent, cette embellie n’est pas le signe d’une santé financière insolente des plus « favorisés », supposés insensibles à la situation économique présente, bien au contraire. Des baisses importantes de fortune sont enregistrées, liées à la santé du tissu économique lui-même (risques de faillites, baisse de profitabilité, etc.)

La composition des plus riches selon les statistiques de Wealth-X

La firme Wealth-X (Altrata), vient de publier un rapport intitulé World Ultra Wealth Report 2022[1], permettant de porter un regard précis sur la population des plus aisés dont la fortune nette dépasse les 30 millions d’euros. En juin 2022, la population des millionnaires (HNWI) en dollars regroupe au niveau mondial près de 34,2 millions d’individus détenant une fortune nette de 134 401 milliards $. Cependant la répartition au sein de ce segment est extrêmement hétérogène :

  • La tranche de 1 à 5 millions $ représente près de 30,2 millions d’individus (88,3%) et 42,1% de la fortune des millionnaires (soit 56.593 milliards $) ;
  • La tranche de 5 à 30 millions $ (Very High Net Worth individuals) représente près de 3,615 millions d’individus (10,57%) et 26,8% de la fortune des millionnaires (soit 35.984 milliards $) ;
  • Enfin la tranche de 30 millions $ et plus, représente 392.410 individus au niveau mondial (1,2%), et 31,13% de la fortune des millionnaires (soit 41.824 milliards $) ; parmi elle on trouve évidemment la population des milliardaires[2] (soit 3.311 individus, représentant 27,4% de la richesse totale des UHNWI, soit 11.753 milliards $).

 

Les UHNWI en France voient leur population baisser de 10% au 1er semestre 2022

Pour la France, celle-ci au premier semestre 2022 avait sur son territoire 12.150 personnes détenant une fortune égale ou supérieure à 30 millions d’euros[3]. Or on constate une baisse en six mois de 10% de cette population. C’est la 3ème plus mauvaise performance derrière celle du Japon (-13,3% de la population des UHNWI) et des Etats-Unis (-10,3%). D’après ce classement (et hors Russie et états de la CEI), la France se classe à la 8ème place pour sa population de UHNWI, et en matière de fortunes nettes cumulées, à la 5ème place devant le Royaume-Uni. Evidemment, à compter d’une fortune de 30 millions d’euros, celle-ci est majoritairement investie en capital financier et dans les entreprises. C’est donc la France des investisseurs qui est particulièrement touchée.

Source : Wealth-X octobre 2022

Concernant l’attractivité des villes attirant les plus fortunés, là encore s’agissant des UHNWI, Paris est classée 7ème, voyant ses effectifs fondre de -6,4% en 2022 sur six mois, avec 4.965 recensés (soit 40,8%). C’est cependant la plus faible baisse des 10 premières destinations identifiées. Londres en revanche et malgré le Brexit, voit au contraire sa population de UHNWI s’accroître de 2,6%, notamment à cause d’un environnement propice aux affaires en dépit de la conjoncture économique et d’une appréciation continue des prix de l’immobilier.

Trou d’air persistant en France s’agissant des centi-millionnaires

Si l’on s’intéresse maintenant à la strate supérieure juste avant les milliardaires, constituée par les « centi-millionnaires », le rapport de la firme Henley Global[4] relève que la France n’est même pas dans le top 10 des pays en ayant le plus (elle est 11ème, avec 380 centi-millionnaires). Cela veut donc dire qu’il n’y a pas de conditions en France permettant d’accumuler un capital net suffisant pour rapidement passer de déca-millionnaire à centi-millionnaire et in fine faire évoluer à la hausse la population de milliardaires. On voit ici ce que nous avons déjà relevé ailleurs[5], l’effet pervers de la prépondérance du capital immobilier dans la fortune des millionnaires en France au détriment du capital financier et singulièrement de l’actionnariat familial et industriel. Il existe donc une sorte de « vallée de la mort » à traverser pour devenir milliardaire en France. Ce que l’on retrouve également en matière de « Licornes » Françaises[6] (dépassant le milliard de $ de capitalisation), soit 26 en France, contre 57 au Royaume-Uni et 37 en Allemagne, pour des levées de fonds (juillet 2022 sur 1 an glissant) de 10 milliards en France contre 7,7 milliards en Allemagne (mais où l’actionnariat familial est très robuste) et 20,9 milliards au Royaume-Uni.

Source : Henley Global, octobre 2022

Conclusion

Vouloir à toute force taxer « les super-profits » en France, à supposer qu’ils existent et que nos voisins européens feraient de même, risque d’écorner une politique fiscale qui jusqu’à présent était centrée sur la volonté de limiter l’imposition du capital mobilier (suppression de l’ISF et transformation en IFI, imposition des revenus mobiliers au PFU) et de baisser les impôts de production sur fond de stabilité fiscale. Or si l’on veut « réindustrialiser la France » il faudrait déjà se préoccuper de la stabilité de la démographie des investisseurs fortunés déjà présents sur notre territoire. Or celle-ci est impactée en 2022 à compter de 30 millions d’euros nets de fortune, tandis que les centi-millionnaires sont toujours aussi peu nombreux en France. Deux points de fragilité qui risquent d’être encore aggravés dans le contexte économique actuel, avec un possible appel d’air à terme pour des investisseurs étrangers, ce qui jouerait à rebours de la réindustrialisation envisagée.


[1] World Ultra Wealth Report 2022, Wealth-X Altrata, octobre 2022 https://altrata.com/reports/world-ultra-wealth-report-2022/

[2] Voir le rapport Billionaire Census 2022, Wealth-X Altrata, 29 juin 2022 : https://altrata.com/reports/billionaire-census-2022/

[3] Possédant une fortune nette totale de 1.244 milliards $, soit 2,97%. Sur cette population, les milliardaires représentent 68 individus, disposant d’une fortune de 294 milliards $ (soit 23,6% des UHNWI français). Précisons que ce rapport ne tient pas compte de la Russie.

[4] Henley & Partners reprend les statistiques développées par New World Wealth, in The Centi-Millionaire Report, 17 octobre 2022, https://cdn.henleyglobal.com/storage/app/media/The_Centi-Millionaire_Report_221017_4_(LOW-RES).pdf

[5] Voir, Agnès Verdier-Molinié, Le vrai état de la France, éditions de l’Observatoire, 2022 p.129-131.

[6] https://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/licornes-vers-leclatement-de-la-bulle