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Le cumul des aides nationales et locales peut dépasser le smic...

... pour une famille monoparentale avec 1 enfant de moins de 3 ans

Il y a presqu’un an (mai 2021), l’INSEE a réalisé une étude permettant d’offrir un visage plus exact de la redistribution en France, précisant que « la redistribution est deux fois plus ample en intégrant les services publics ». En particulier cette étude permet de rajouter à l’évaluation classique du revenu disponible, soit la « redistribution en espèce », les transferts sociaux en nature (santé, éducation, action sociale, logement) permettant de dégager un « revenu disponible ajusté », ainsi que les services publics (police, justice etc.) pour déboucher sur le revenu national net après transferts. Résultat, les écarts de revenu net avant transferts de 1 à 13 entre les 10% des plus pauvres et les 10% des plus riches sont réduits par la solidarité nationale non plus de 1 à 7, mais de 1 à 3. Par ailleurs, une étude récente de l’INSEE parue dans Economie et statistiques le 25 avril 2022, propose un état des lieux des droits connexes et des aides sociales locales, qui montrent à la fois leur importance et leur hétérogénéité. Un constat s’impose : il est nécessaire de les « normaliser » et de les recentrer. En effet, rien que pour l’action sociale locale, les écarts de générosité entre les dispositifs territoriaux vont de 1 à 6. Par ailleurs, les revenus mensuels issus de la solidarité – nationaux et locaux - sont particulièrement massifs : pour une famille monoparentale avec 1 enfant de moins de 3 ans, ils varient de 1.571 euros/mois pour une famille sans revenu, 1.294,1 euros/mois pour la même famille avec ½ SMIC (609,5 euros en 2020) à 1.013,5 euros/mois avec 1 SMIC (1.219 euros en 2020). Par ailleurs pour une famille avec 3 enfants, selon les mêmes revenus d’activité, là encore la dégressivité est assez faible jusqu’à 1 SMIC : 2.308 euros/mois (sans revenu), 2.042 euros/mois pour ½ SMIC et 1.866,4 euros/mois pour 1 SMIC. Il semble donc nécessaire d’harmoniser les barèmes entre les territoires et avec les dispositifs de solidarité nationale sur des bases comparables et objectives.

L’importance des droits connexes et de l’action sociale sur les revenus

La prise en compte des redistributions en nature et du concours des services publics en direction des plus modestes, modifie radicalement l’appréhension de la pauvreté résiduelle par rapport à une approche focalisée sur la redistribution monétaire… et dans des proportions très importantes.

En particulier il apparaît que la distribution du revenu national après redistribution élargie, via l’importance de l’impact des transferts publics non monétaires et des services publics, mais aussi par l’intermédiaire de leur financement via les impôts indirects et les taxes sur la consommation (jamais pris en compte dans l’approche usuelle), modifie du tout au tout le niveau de redistribution[1]. Celui-ci passe par unité de consommation (UC) de +3.870 euros via les transferts monétaires, pour le 1er décile, à +17.890 euros, soit une multiplication des transferts par 4,6. Par ailleurs, alors que les bénéfices des transferts monétaires cessent en moyenne dès le 4ème décile dans le cadre de la redistribution usuelle, l’estimation de la redistribution élargie fait cesser le bénéfice de l’ensemble des transferts (monétaires, en nature et dépenses collectives) uniquement à partir du 7ème décile. Enfin, les écarts interdéciles entre les revenus inférieurs à D1 et ceux supérieurs à D9 en sortent littéralement bouleversés.

Source : INSEE (2021), tableur associé, onglet n°7 et retraitement Fondation iFRAP avril 2022.

Il apparaît en particulier que « les 10% les plus aisés en niveau de vie reçoivent 133.100 [en arrondissant ndlr[2]] contre 10.500 pour les plus modestes », si l’on prend la définition du revenu élargi avant transferts. Le rapport est de 1/13 environ. Après redistribution « élargie », le revenu national net des plus pauvres (RNN) s’établit à 28.370 euros, contre 87.030 pour les plus riches. L’écart se réduit de 1 à 3. Ce qui montre l’extrême redistributivité du système.

Le rapprochement avec l’approche de redistribution usuelle, est compliquée par le fait que tant les transferts que les recettes sont différentes par rapport à la présentation des transferts en mode « élargi » : Ainsi la redistribution en espèce inclut en termes de financement les impôts sur les revenus et le patrimoine ainsi que les cotisations sociales. Au contraire la redistribution élargie rajoute les transferts en nature et les dépenses de consommation collectives mais également en recettes les taxes sur les produits et la production (dont la TVA).

Transferts publics et leur financement en parts du revenu national 1949-2019.

Si l’on veut maintenant proposer une présentation en volume monétaire par décile (milliards d’euros), la présentation devient la suivante, avec la cascade de transferts suivante :

Source : INSEE (2021), tableur associé, onglet n°2 et retraitement Fondation iFRAP avril 2022

Ainsi, les transferts monétaires sont finalement assez peu concentrés hors famille et pauvreté (qu’il s’agisse des retraites bien évidemment (salaire différé) et des dépenses d’assurance chômage (la moindre exposition étant compensée par le niveau d’indemnisation). Leur volume total est de 504,5 milliards d’euros. Les transferts en nature représentent 407,5 milliards d’euros mais nettement plus concentrés sur le bas de la distribution. C’est déjà le cas s’agissant des dépenses d’enseignement (15,7 milliards pour les revenus <D1 contre 8,8 milliards pour les revenus >D9) soit près du double en direction des foyers les plus modestes. Mais surtout l’action sociale (dont les droits connexes) et le logement sont beaucoup plus concentrés en bas de distribution (18,4 milliards <D1 contre 1,9 milliards d’euros >D9) pour un volume total en 2018 de près de 80,6 milliards d’euros. Enfin s’y rajoutent les dépenses collectives (justice, police, etc. pour 191 milliards d’euros) qui au contraire sont réparties de façon plutôt homogène entre les différents déciles avec une légère progressivité en fonction des revenus (plus de recours à la justice par exemple avec l’augmentation des revenus etc.)

Des droits connexes et des aides locales extrêmement hétérogènes selon les territoires

L’INSEE vient de publier des données très intéressantes s’agissant de la distribution des droits connexes et des aides locales sur une perspective de moyen terme[3]. Plus particulièrement, il s’agit d’un « inventaire des droits connexes et aides sociales accessibles localement aux bénéficiaires du RSA dans 20 villes françaises, dont Paris, Lyon et Marseille[4]. […] Nous mettons en évidence un mouvement d’ensemble de transformation des conditions d’attribution des aides vers une plus grande dégressivité. » L’étude est d’autant plus intéressante qu’elle reprend à méthodologie inchangée, celles réalisées en 2001 et en 2007 via une campagne réalisée en 2020.

L’intérêt de l’étude est de prendre en compte des prestations nationales légales : RSA, Prime d’activité, allocations logement, allocations familiales, PAJE (naissance + allocation de base) allocation de rentrée scolaire et complémentaire santé. Ensuite, les droits connexes nationaux : Prime de Noël, exonération de la contribution à l’audiovisuel public, réduction sociale téléphonique, tarif social de l’électricité, chèque énergie, dégrèvements de taxe d’habitation. Il y a en outre prise en compte les aides sociales locales et/ou facultatives, notamment les aides sociales des conseils départementaux (mobilité, vacances, etc.), l’action sociale des CAF, les aides des villes et des CCAS (dont la restauration scolaire, centres de loisirs, aides aux vacances, équipements municipaux) et les aides régionales (transports collectifs[5]).

Les résultats sont les suivants, elles tiennent compte de la composition du foyer familial (monoparental avec enfant de -/+ 3 ans, en couple, avec 1,2 voire 3 enfants) et du niveau des revenus (sans revenu d’activité, ½ SMIC et 1 SMIC) :

On peut mesurer très concrètement l’importance des aides connexes pour les ménages pauvres. En particulier outre les transferts légaux nationaux, les transferts connexes nationaux qui représentent en 2020 pour une personne sans revenu près de 1.432 euros soit 12,9% de ses ressources, auxquels s’ajoutent en moyenne dans les 20 villes retenues pas moins de 949 euros de droits connexes locaux (8,5%).  A l’autre bout du spectre, un couple avec 3 enfants sans activité reçoit outre les droits légaux nationaux, près de 11,8% de droits connexes nationaux (3.274 euros), ainsi que les aides locales qui les dépasse (12,8% soit 3.546 euros).

Les droits connexes sont donc très significatifs : Les aides sociales locales représentent selon la configuration familiale entre 6,5% et 12,8%. La somme des droits connexes nationaux et locaux sont compris entre 17,5% et 25% de l’ensemble de leurs revenus. Ainsi « les aides locales correspondent au minimum à la moitié des droits connexes nationaux et peuvent aller jusqu’à 110%. » Au total, l’ensemble des droits connexes nationaux et locaux ajoutent entre 21,3% et 33,3% aux prestation nationales légales et aux ménages pauvres.

Note : estimations réalisées sur base annuelle sans prendre en compte le coût des gardes d’enfants.

Il apparaît par ailleurs que le poids des prestations de droits connexes est d’autant plus élevé que la taille du ménage est importante. Par ailleurs les aides sociales locales « sont plus sensibles à la taille de la famille et à la présence d’enfants que ne le sont les prestations nationales et légales. » Les aides sociales locales sont également extrêmement hétérogènes : pour une personne seule sans emploi, les aides locales d’une moyenne de 949 euros varient en réalité de 390 euros (à Béziers) à 2.392 euros (dans le XIXème arrondissement de Paris), soit un rapport de 1 à 6. Même écart pour un couple avec 3 enfants : la moyenne des aides locales entre 0 et 1 SMIC est de 3.515 euros, avec un minimum à 1.410 euros à Pecquencourt (Nord) et un maximum là encore dans le XIXème arrondissement de Paris, soit 8.535 euros, soit un rapport de 1 à 6 là encore.

Et même cette diversité se reporte sur les barèmes locaux puisque « dans une même localité, il existe généralement autant de barèmes différents qu’il existe de prestations différentes. » Et pour une même prestation « il existe souvent autant de barèmes différents que de localités. » Sachant que globalement, Paris représente une exception : « pour chaque configuration familiale, les ménages parisiens [ayant] droit potentiellement à un niveau beaucoup plus élevé d’aides sociales locales, de l’ordre d’environ deux fois la moyenne des autres localités.[6] » Et cette situation ne relève pas uniquement de la ville mais également de la Région, notamment s’agissant de l’aide aux transports en commun. Par ailleurs cet écart entre Paris et les autres localités retenues ne fait que croître « L’écart existait déjà en 2007, mais il s’est amplifié depuis. »

Conclusion

L’importance des droits connexes nationaux et locaux dans le cadre de la réduction de la pauvreté en France est très significatif. L’adjonction de ces derniers et des prestations familiales et d’habitation expliquent largement la réduction des inégalités – transferts « élargis » - qui entre le décile inférieur à D1 et celui supérieur à D9 fait passer en réalité l’écart de revenu net de 1 à 16 à 1 à 3. Les dépenses de service public étant relativement homogènes tout comme les dépenses en nature de Santé (hors enseignement).

Il apparaît donc important que dans le cadre de la mise en place à terme d’une allocation sociale unique (RUA) même si pour le moment le processus vise à rapprocher le calcul des aides et la définition d’un revenu social de référence[7], la puissance publique projette d’y intégrer les dispositifs d’aides connexes nationales et locales. En effet, si les dispositifs sont extrêmement différenciés, ils ne sont quasiment pas comparables les uns aux autres, ni pour les bénéficiaires éventuels, ni pour les pouvoirs publics eux-mêmes dans une optique de « consolidation » par types de bénéficiaires. Il est donc très important que les organismes distributeurs s’inscrivent dans une démarche de déclaration auprès de la DGFiP de l’évaluation monétaire des prestations « en nature » dispensées. Il est en effet normal qu’à terme un euro issu de la solidarité soit imposable au même titre qu’un euro issu d’un revenu d’activité ou de remplacement, modulo le coût de la vie des différents centres urbains considérés, ce que des barèmes normalisés (via la prise en compte d’un indice des prix de l’immobilier par exemple ou du coût de la vie locale déterminé par l’INSEE) peuvent prendre en compte.


[1] Voir en particulier, INSEE, Références, avril 2021, https://www.insee.fr/fr/statistiques/5371275#onglet-1 ainsi que https://www.irdeme.org/Inegalites-des-revenus-selon-l-INSEE-tout-est-a-revoir

[2] Puisqu’il s’agit d’argent issu de revenus d’activité, il faudrait plutôt dire « perçoivent ».

[3] INSEE, Economie et statistiques n°530-31-2022, 25/04/2022. https://www.insee.fr/fr/statistiques/6328073?sommaire=6328092, en particulier, Denis Anne et Yannick L’Horty, Droits connexes et aides sociales locales : un nouvel état des lieux.

[4] 20 collectivités rassemblant 4,6 millions d’habitants. Pour une vision plus macroéconomique des territoires via les EPCI, consulter, M.Talandier, Y. Calixte, Depuis 30 ans, les crises successives font diverger les trajectoires économiques des territoires, The Conversation, 20 avril 2022, https://theconversation.com/depuis-30-ans-les-crises-successives-font-diverger-les-trajectoires-economiques-des-territoires-181358

[5] En sont exclus : les secours d’urgence, les aides des associations caritatives, les aides temporaires de retour à l’emploi (prime au retour à l’emploi, intéressement), les aides discrétionnaires sans barèmes accordées par des commissions locales, les prêts sociaux, les aides réservées à des populations particulières (personnes âgées, jeunes, en situation de handicap, d’invalidité ou de maladie), les aides spécifiques à certains équipements et besoins (par exemple le crédit d’impôt transition énergétique). L’étude ne couvre pas non plus les aides à la garde d’enfants, même si « ces aides sont localement très variables selon le mode de garde. Notons qu’il s’agit quand même d’une limitation importante puisque « L’hypothèse implicite est celle d’une garde gratuite, par exemple par un proche parent. Cette hypothèse minore le coût de l’accès à l’emploi pour les mères. »

[6] Cet écart reposant principalement sur l’aide Paris Logement et les aides aux transports en Ile-de-France.

[7] On attend encore la publication du rapport sur le sujet de M. Fabrice Langlart, https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/03/16/election-presidentielle-2022-l-idee-d-un-revenu-universel-d-activite-relancee-par-le-candidat-macron_6117728_823448.html ainsi que le rapport de Nathalie Sarles et Sylvie Talmont, Evaluation de l’adaptation des politiques de lutte contre la pauvreté au contexte de crise sanitaire, n°5055, p.109-110 et proposition n°11, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cec/l15b5055_rapport-information.pdf#page=110