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La vérité sur le « quoi qu’il en coûte »

Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, vient d’indiquer que le coût jusqu’à présent des mesures de soutien aux particuliers et aux entreprises représentait 240 milliards d’euros. Et qu’il était désormais temps, avec une croissance de 6% et un chômage stabilisé à 8%, de réduire la voilure. En clair, le « quoi qu’il en coûte » doit désormais cesser, notamment le fonds de solidarité qui devrait disparaître à compter du 30 septembre. 

En réalité cette présentation est assez trompeuse :

- Elle mélange des mesures ayant des effets sur le déficit public et d’autres mesures qui n’en ont pas nécessairement comme les PGE. Sauf en cas de sinistralité, puisqu'en cas de défaillance de l'entreprise, la garantie de l'Etat sera appelée.
- Elle ne prend pas en compte un certain nombre de mesures d’urgence qui constituent pour partie des dépenses pérennes (Santé) et d’autres temporaires (aides aux travailleurs indépendants/professions libérales, dépenses accidentelles et imprévisibles, etc.) ;
- Elle ne met pas en évidence des mesures de soutien pour certains secteurs particulièrement touchés par la crise sanitaire et par le Pass sanitaire (hôtellerie-restauration, tourisme, culture (dont cinéma, théâtres), etc. et qui vont continuer à « peser » sur les comptes publics.

Analyse du chiffrage de l’annonce de la fin du « quoi qu’il en coûte »

Le 30 août, le ministre de l’Economie a annoncé le montant jusqu’ici consommé par le « quoi qu’il en coûte » : 240 milliards d’euros. Ce montant qui peut sembler très important, pèse en réalité beaucoup moins qu’il n’y paraît sur les comptes publics. Sa répartition serait la suivante :

Coût des mesures relatives au "quoi qu'il en coûte"

 

2020

2021Montants 2020/2021
Total181,258,8240
En direction des salariés et des entreprises51,228,880
dont fonds de solidarité15,919,135
dont prise en charge de l'activité partielle27,47,635
dont exonérations de charges7,92,110
Prêts accordés ou garantis par l'Etat13030160
dont PGE garantis par l'Etat1309,3139,3
dont autres (prêts et reprises de dettes)020,720,7

Sources : Minefi, Assemblée nationale[1], calculs Fondation iFRAP août 2021

Très concrètement, il apparaît que sur les 240 milliards d’euros, 75,5% ont en réalité été consommés dès 2020, et près de 66,6% constitués de prêts sans incidence directe sur le solde public. En  respectant le périmètre consommé[2], le « quoi qu’il en coûte » représente 28,8 milliards d’euros en 2021 sous la forme de crédits budgétaires ou d’exonérations de charges et 30 milliards en prêts accordés par l’Etat, dont sans doute près de 20,7 milliards d’euros sous la forme de prêts directs convertibles en fonds propres[3] et de 9,3 milliards de PGE (prêts garantis par l’Etat). En conséquence les mesures d’urgence « pures » impactant le déficit public ne représentent que 80 milliards sur les 240 milliards affichés, soit 33,3% du volume des mesures affichées.

Une curieuse façon de comptabiliser les mesures d’urgence :

Comme on l’a vu plus haut les « 240 milliards » apparaissent quelque peu gonflés, puisqu’aux 80 milliards en direction des salariés et des entreprises, s’y ajoutent les prêts garantis par l’Etat pour 139,3 milliards d’euros et « autres prêts » à hauteur de 20,7 milliards d’euros.

Il convient par ailleurs de rapprocher ces montants de ceux actuellement votés (et non nécessairement consommés) dans le cadre des comptes exécutés en 2020 et de la loi de finances rectificative n°2021-953 du 19 juillet 2021.

 20202021TotalAnnoncesDifférentiel
fonds de solidarité15,92641,935

6,9

prise en charge de l'activité partielle

27,4

14,7

42,1

35

7,1

éxonérations de cotisations sociales7,9

2,6

10,5100,5
Dépenses de santé1413,927,9 27,9
Trésorerie de l'Agence de services et de paiements et de Santé publique France-2,62,60 0
Aides aux travailleurs indépendants et professions libérales1,8 1,8 1,8
Prolongation des revenus de remplacement et décalage de l'entrée en vigueur de la réforme de l'assurance chômage2,168,1 8,1
Report en arrière des déficits de l'assiette fiscale de l'IS0,10,91 1
Autres mesures de soutien (primes précaires/inclusion, plans sectoriels, masques, permittents, etc.)6,42,58,9 8,9
Sinistralité PGE et BEI nette des primes-0,20,30,1 0,1
Dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles 1,51,5 1,5
Autres 11 1
Total72,872144,88064,8

Sources : Minefi, Assemblée nationale[4], calculs Fondation iFRAP août 2021

Ainsi, les dépenses de santé, par exemple, sont absentes du quoi qu’il en coûte, puisqu’il s’agit de dépenses administratives (et non directement au bénéfice des ménages et des entreprises), soit près de 27,9 milliards d’euros en deux ans. Viennent s’ajouter : la prolongation des revenus de remplacement et le décalage de l’entrée en vigueur de l’assurance chômage (8,1 milliards), les autres mesures de soutien notamment les primes aux précaires, les plans sectoriels, etc. soit 8,9 milliards d’euros, le report en arrière des déficits de l’assiette fiscale de l’IS (1 milliard d’euros), les aides aux indépendants et aux professions libérales (1,8 milliard), etc.

Les sous-consommations ou « économies » sur les mesures votées sont quant à elles de 6,9 milliards sur le fonds de solidarité et la prise en charge de l’activité partielle, soit 7,1 milliards, ce qui devrait permettre de gager les mesures exceptionnelles de prolongation d'aide aux entreprises qui seraient impactées par les restrictions sanitaires en vigueur.

Le quoi qu’il en coûte ne va pas s’arrêter pour autant :

Durant la conférence de presse du 30 août 2021, Bruno Le Maire a bien indiqué que l’ensemble des dispositifs présents seraient mis en extinction mais que des dispositifs sous-jacents ou ad hoc viendraient prendre le relai pour les entreprises et les secteurs les plus concernés[5] :

L’intégralité des mesures d’urgence actuelles sont maintenues dans les DOM jusqu’à la fin de la situation d’urgence sanitaire spécifique qu’elles vivent.
En métropole, le fonds de solidarité sera supprimé à compter du 30 septembre 2021, avec jusque-là la même dégressivité de la prise en charge des pertes qu’actuellement pour les indemnisations (40% des pertes en juin, 30% de pertes de CA en juillet, 20% en août et donc 20% également en septembre (mais avec la condition supplémentaire de réaliser au moins 15% de son CA (et donc de ne pas rester fermé)).
Par ailleurs un dispositif de prise de relai du Fonds de solidarité sera mis en place sous la forme du dispositif déjà existant « le dispositif des coûts fixes ». Alors qu’il bénéficie aujourd’hui aux entreprises dégageant plus de 1 million d’euros de CA dans les secteurs S1 et S1bis[6], à compter du 1er octobre il sera généralisé à toutes les entreprises (selon une prise en charge dégressive en fonction de la taille de l’entreprise : 90% des coûts fixes pour les entreprises < 50 salariés, 70% pour les > 50 salariés) ;
Par ailleurs des plans d’action dédiés seront mis en place pour les secteurs où les entreprises connaissent des difficultés structurelles post-crise via « les fonds dégagés pour l’accompagnement des entreprises en difficultés » : sont concernés les secteurs comme l’évènementiel, le tourisme d’affaires, les agences de voyages, le tourisme de Montagne.
Une clause de revoyure est prévue début novembre afin d’adapter les dispositifs alors en vigueur.
Enfin des décisions sont à attendre sur les PGE et leur éventuelle conversion en quasi-fonds propres…
Quant au chômage partiel sa prise en charge complète par l’Etat est passée de 100% à 85% à compter du 1er juin 2020.

Il y a donc toujours matière à dépenser, ce que la réserve de consommation de crédits budgétés mais non consommés devrait permettre d’abonder puisqu’aucun dispositif n’est créé ex nihilo…

Conclusion

Le gouvernement affiche un périmètre du « quoi qu’il en coûte » uniquement focalisé sur les dépenses en faveur des entreprises et pas des ménages, ni des administrations publiques. Il est « dopé » à l’hélium par les prêts de l’Etat à ces mêmes entreprises ce qui permet d’en accroître le volume de 140 milliards sans effet direct sur le solde public.

Mais deux constatations s’imposent :

  • Tout d’abord le périmètre des dépenses aux entreprises stricto sensu est trop étroit sur le plan budgétaire parce qu’il faut y ajouter la prolongation des revenus de remplacement et le décalage de l’entrée en vigueur de la réforme de l’assurance chômage (+6 milliards), ainsi que les plans sectoriels (+8,9 milliards d’euros). Doivent s’y ajouter différentes mesures fiscales (carry-back pour 1 milliards d’euros). Cela représente une augmentation du périmètre des mesures aux entreprises de l’ordre de +16,9 milliards d’euros ;
  • Il faut aussi tenir compte des mesures budgétées mais non consommées au sein du périmètre gouvernemental sur les enveloppes "entreprises", soit 14 milliards d’euros.

Si l’on voulait être exhaustif, il faudrait y intégrer les mesures ménages soit 6 milliards d’euros qui elles aussi devraient avoir vocation à baisser, ainsi que les mesures santé qui s’élèvent au niveau astronomique de +27,9 milliards d’euros. Il semble cependant que prudemment le gouvernement les extourne en prévision des mois à venir… pour se concentrer exclusivement sur les entreprises non sans se ménager là encore des crédits de réserve aptes à être déployés.

 

[1] Il faut pour cela se reporter aux estimations effectuées dans le rapport de l’Assemblée nationale relatif au débat d’orientation des finances publiques 2022, p.21, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b4337_rapport-information.pdf#page=21

[2] Voir le rapport du comité de suivi et d’évaluation des mesures de soutien aux entreprises (définitif), p.50, https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs_-_rapport_final_-_comite_coeure_-_27-07-21_0.pdf#page=50

[3] Ce qui correspond bien aux prêts et reprises de dettes accessibles dans les dernières comparaisons internationales disponibles (soit 0,9 point de PIB), voir https://www.senat.fr/rap/l20-743-1/l20-743-11.pdf#page=14

[4] Il faut pour cela se reporter aux estimations effectuées dans le rapport de l’Assemblée nationale relatif au débat d’orientation des finances publiques 2022, p.21, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b4337_rapport-information.pdf#page=21

[5] Consulter, l’allocution du Ministre de l’Economie : https://minefi.hosting.augure.com/Augure_Minefi/r/ContenuEnLigne/Download?id=9073C4A2-E234-48C5-8224-377617D533CD&filename=1317%20-%20Intervention%20de%20Bruno%20Le%20Maire%20lors%20du%20point%20presse%20%C3%A0%20lissue%20de%20la%20r%C3%A9union%20sur%20laccompagnement%20des%20secteurs%20%C3%A9conomiques%20affect%C3%A9s%20par%20la%20crise%20sanitair.pdf, ou le verbatim sur Twitter https://twitter.com/Economie_Gouv/status/1432279076908290049  mais aussi, le communiqué de Presse : https://minefi.hosting.augure.com/Augure_Minefi/r/ContenuEnLigne/Download?id=1A0FA0AD-0554-4E4A-BEC1-B75C2D860D7A&filename=1315%20-%20CP%20-%20Point%20sur%20laccompagnement%20de%20lEtat%20des%20secteurs%20%C3%A9conomiques%20affect%C3%A9s%20par%20la%20crise%20sanitaire.pdf

[6] Voir la liste de ces secteurs : https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/covid19-soutien-entreprises/listes-S1-et-S1bis-1.pdf