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La France est-elle sortie début juin de la procédure pour déficit excessif ? Eh bien non !

Dans le microcosme parisien, il se répète que la France serait « sortie » de la procédure pour déficit excessif (PDE) pour laquelle elle est inscrite depuis le rétablissement des contraintes du pacte de stabilité et de croissance (PSC). La Commission européenne dans le cadre de ses recommandations aux pays de l’Union l’en aurait sortie discrètement le 4 juin 2025… Bien entendu tout cela est faux, et pire, cela a des conséquences sur la sélection des instruments avec lesquels la Banque Centrale européenne (BCE) viendrait à notre secours en cas de crise de la dette… Explications :

La procédure pour déficit visant la France est en suspens, mais n’est pas suspendue :

Dans le cadre du PSC rénové, la France tout comme d’autres pays entrants dans la procédure pour déficit excessif (rétablie pour elle en juillet 2024) ont dû justifier de ses efforts à Bruxelles[1] et en particulier produire un rapport annuel d’avancement (RAA) permettant aux services de la commission de vérifier que la trajectoire publiée dans le cadre du PSMT avait bien été respectée. 

Comme l’a déclaré le commissaire européen Valdis Dombrovskis « la procédure pour déficit excessif est en suspens pour la France, mais nous constatons quelques petits dérapages. Nous attendons de voir comment ils évoluent. » Cette annonce a été réalisée en marge de la présentation par la Commission de ses recommandations annuelles aux états membres dans le cadre du Semestre européen[2].

Pour la France, cet allègement de la procédure – mais sans sortie – qui se traduit par l’absence pour le moment de mesures correctives additionnelles pour la seule année en cours – est situé au paragraphe 18 du rapport d’observation concernant notre pays[3]. On peut y lire : 

§18 : « D’après les prévisions du printemps 2025 de la Commission, en France, les dépenses nettes devraient augmenter de 0,9% en 2025 et de 4,1% en cumulé, sur 2024 et 2025. D’après ces mêmes prévisions, la croissance des dépenses nettes de la France en 2025 devrait être supérieure au taux de croissance maximal recommandé établi par la trajectoire de correction, ce qui correspond à un écart de 0,1% du PIB en termes annuels. L’écart prévu ne dépasse pas le seuil d’écart de 0,3% du PIB au-delà duquel il serait fortement présumé que l’action n’est pas efficace. Si l’on examine conjointement les années 2024 et 2025, le taux de croissance cumulé des dépenses nettes devrait être inférieur au taux de croissance maximal recommandé. Par conséquent, la procédure concernant les déficits excessifs pour la France est suspendue. Dans le même temps, la France est invitée à se tenir prête à prendre des mesures supplémentaires pour se conformer à la trajectoire de correction. Une évaluation plus complète sera effectuée lorsque les données réelles seront disponibles. »

Par ailleurs § 20 « (…) Compte tenu des informations fournies par la France dans son rapport d’avancement annuel, la Commission constate que les réformes et les investissements sous-tendant une prolongation qui étaient attendus pour le 30 avril 2025 ont été mis en œuvre (…) qui ont permis de réaliser des économies légèrement inférieures à celles qui étaient prévues. »

Il ne s’agit donc pas d’une « sortie de la France » de la procédure de déficit excessif, mais de l’absence de mesures correctives supplémentaires – qui contenues par principe au sein de la procédure – sont pour le moment suspendues.

Lorsqu’on lit en anglais le § 18, celui-ci indique que « Therefore, the excessive deficit procedure for France is held in abeyance. » Ce qui signifie d’après les éclairages d’un haut fonctionnaire européen que « Nous n’utilisons le terme anglais « in abeyance », qui signifie que l’État membre est en bonne voie pour réduire son déficit budgétaire conformément à la trajectoire décidée par le Conseil sur recommandation de la Commission » ni plus ni moins. Ainsi les mesures correctrices complémentaires sont mises en attente, sans que le pays sorte de la procédure du moment que la trajectoire prévisionnelle de ses finances publiques est globalement respectée – et l’on sait désormais qu’elle se fonde sur une trajectoire de dépense primaire nette s’étendant à l’ensemble des APU (administrations publiques). 

En conséquence la France ne bascule pas dans les règles du volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance, mais reste encore dans le cadre du volet correctif du Pacte, sans mesures additionnelles de correction à date puisque sa trajectoire est globalement respectée

Quelles conséquences en tirer sur l’assistance de la BCE en cas de difficultés financières ?

En cas de difficultés financières touchant la France (crise de confiance des investisseurs dans la dette publique, augmentation des spreads par rapport aux autres grands pays de la zone euro, etc.), la BCE pourrait venir à son soutien. Elle a pour cela deux instruments connus :

  • L’OMT (outright Monetary Transactions): outil annoncé en 2012. L’OMT permet l’achat d’obligations d’État, mais il est conditionné à l’acceptation par le pays bénéficiaire d’un programme d’ajustement macroéconomique strict. L’OMT n’a pas ailleurs jamais été utilisé. Il peut être utilisé si le pays concerné est déjà en procédure pour déficit excessif (PDE).

  • Le TPI (Transaction Protection Instrument) : n’a lui non plus jamais été utilisé. Il est conçu pour contrer les dynamiques de marchés désordonnées et injustifiées menaçant la transmission efficace de la politique monétaire dans la zone euro. Son activation permet à la BCE d’acheter des obligations d’État de pays spécifiques sur les marchés secondaires si des écarts de taux d’intérêt injustifiés apparaissent mettant en péril la stabilité financière de la zone euro. Son activation est soumise à conditions, notamment le respect par le pays concerné du cadre budgétaire de l’Union européenne, ce qui suppose que le pays « aidé » ne se trouve pas en PDE, mais dans le volet préventif du PSC et respecte ses obligations.

On comprend alors aisément que le TPI est jugé plus « flexible » que l’OMT qui proposerait au pays concerné des mesures correctrices plus drastiques en raison de sa situation financière déjà dégradée. C’est la raison pour laquelle certains analystes économiques ont sauté sur l’occasion de la déclaration de la Commission pour affirmer que si pour la France, la procédure pour déficit excessif étant « suspendue », celle-ci bénéficierait éventuellement en pareilles circonstances du TPI. Il n’en est rien, car nous ne nous retrouvons toujours pas dans le volet préventif du Pacte. La France restant au sein du volet correctif la BCE ne pourrait déclencher à son endroit que l’OMT – ce qui placerait notre pays de facto – dans une situation similaire à celle d’un monitoring par le FMI, sauf qu’il s’agirait d’une mise sous tutelle renforcée sur le plan économique et budgétaire de la BCE et de la Commission européenne. D’où le fait pour les pouvoirs publics français de prendre note du satisfecit actuel de la Commission et de son attente de voir les légères déviations par rapport à la trajectoire de référence être résorbées rapidement en exécution. 


[1] https://www.lefigaro.fr/conjoncture/budget-la-commission-europeenne-suspend-la-procedure-pour-deficit-excessif-qui-vise-la-france-20250604 

[2] https://commission.europa.eu/publications/2025-european-semester-country-specific-recommendations-commission-recommendations_en ainsi que https://commission.europa.eu/publications/2025-european-semester-spring-package_en

[3] https://commission.europa.eu/document/download/0f34cbce-7b7d-4617-902e-bab8259d7d80_fr?filename=COM_2025_210_1_FR_ACT_part1_v2%20%281%29.pdf#page=7