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Il faut voter d'urgence la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 !

A ce stade, la France n'a pas de loi de programmation des finances publiques 2023-2027 car cette dernière n'a pas été votée en décembre dernier. A cause de cela, Bercy n'a pas pu faire la demande de 11 milliards du plan de relance européen auquel nous pouvons prétendre pour 2022.

En juillet, une mouture de la loi de programmation sera discutée au Parlement et elle intégrera les acquis du programme de stabilité 2023-2027 transmis à la Commission européenne fin avril et ajusté des derniers éléments comptables connus et publiés par l’INSEE fin mai à partir des comptes de la nation 2022. Gageons que cette loi sera votée car il nous faut récupérer, non seulement les 11 milliards du plan de relance européen pour 2022 mais aussi les 7 milliards pour 2023. 

  • D’une part, l’absence d’adoption en 2022 de toute LPFP 2023-2027 prive le Haut Conseil des finances publique d’une trajectoire d’ensemble à jour des comptes des administrations publiques, ce qui nuit à son pouvoir de contrôle des lois financières et de programmation sectorielles dont il est saisi ;
  • D’autre part cette absence d’adoption inhibe tous les versements européens permettant de cofinancer le plan de relance français. Il s’agit des dispositifs de conditionnalités permettant de préserver l’intégrité financière de l’UE[1]. Ce qui peut soit ralentir les décaissements des fonds relatifs au plan de relance France Relance de 100 milliards d’euros, soit aggraver le déficit public par défaut de cofinancements européens.

En définitive la non-adoption dans les temps du projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027 aboutit à creuser le déficit budgétaire 2022 de près de 3,7 milliards d’euros supplémentaires même si l’opération est neutre en comptabilité nationale… pour le moment. Si rien n’était fait, la règle d’imputation automatique des recettes européennes en face des dépenses de relance serait remise en cause, produisant des difficultés majeures sur l’équilibre actuel des comptes 2022 et probablement sur ceux de 2023-2027, et donc sur la trajectoire de la dette publique à ces échéances.

L’absence de cofinancement européens pour 2022 priverait la France de 11 milliards d’euros

Comme l’a souligné récemment le quotidien Les Echos[2], « la France n’a toujours pas touché les 11 milliards du plan de relance européen voté pendant la crise Covid auxquels le pays peut prétendre au titre de 2022. » Et pour cause, « Bercy a préféré ne pas faire la demande pour le moment : le vote d’une loi de programmation faisait partie des conditions pour toucher cet argent » et « il y avait donc un risque sensible que la Commission européenne refuse de verser les fonds » en l’absence de toute LPFP. Cette situation de blocage est cumulative : on attend 7 milliards pour 2023 et 10 milliards pour la période 2024-2026.

Du côté européens ces crédits ne sont pas annulés. Le budget européen est pluriannuel et court sur la période 2021-2027[3], si bien que ces crédits sont pour le moment reportés. Quels en sont les effets sur les finances publiques en 2022 ?

Un trou de 3,7 milliards d’euros pour 2022 sur le solde budgétaire de l’Etat

La France a fait le choix de ne pas ralentir l’engagement de son plan de relance France 2030, y compris en 2022 et hors perception des cofinancements de l’UE pour l’année 2022. Très concrètement pour l’année 2021, la France a touché 5,1 milliards[4] qui lui ont été versé en août, suivi d’un premier décaissement annoncé par la Présidente de la Commission européenne de 7,4 milliards d’euros le 26 janvier 2022[5]. L’engagement des dépenses permettant la libération des différentes tranches prévues. De fait l’engagement des crédits du Plan de relance a atteint en août 2022 près de 89,4% de l’enveloppe initiale.

Transferts européens envers la France par année, en Mds €

 

2021

2022

2023

2024

2025

2026

Total

Montant initial

des tranches à décaisser

 

8,5

14,6

7,9

3,8

4,5

39,4

Décaissements (A)

5,1

7,4

 12,7

 6,9

 3,3

 4

12,5

En comptabilité nationale (B)

13,7

11,1

7

3

3

2,9

27,0

Ecarts (B)-(A)

-8,6

-3,7

5,7 

 3,9

 0,3

 1,1

 -12,3

Source : 1er rapport du comité de suivi du Plan France relance, (octobre 2021), p.62[6] NB : en gris les sommes prévisionnelles, qui ne sont pas intégrées à la colonne des totaux à droite.

La non-adoption de la première version de la LPFP 2023-2027 a donc paralysé une partie des versements prévus dès 2022 et pour un montant substantiel (de 3,7 milliards d’euros pour 2022 et pour 7 milliards d’euros en 2023 pour le moment). Mais le rythme d’engagement des crédits du plan de relance n’a pas ralenti pour atteindre les montants suivant en août 2022 :

Volet

Enveloppe initiale

France

2030

Engagements à la fin août 2021 (Md€)

Engagements intervenus entre août 2021 et août 2022 (Md€)

Niveau d'engagement global fin août 2022

Restant à engager (Md€)

Restant à engager %

Ecologie

30

14

14,2

94,0%

1,8

6,0%

Compétitivité

34

17

14,4

92,4%

2,6

7,6%

Cohésion

36

16

13,8

82,8%

6,2

17,2%

Total

100

47

42,4

89,4%

10,6

10,6%

Source : 2ème rapport du comité de suivi du Plan France relance, (décembre 2022) et calculs Fondation iFRAP juin 2023

Par ailleurs, les montants décaissés ont également suivi un rythme proche en 2022 de celui impulsé en 2021 (soit 33,2 milliards d’euros contre 29 milliards en 2021).

Volet

Enveloppe initiale en Mds €

Décaissements à la fin août 2021 (en Md€)

Décaissements intervenus entre août 2021 et août 2022 (Md€)

Restant à décaisser (Md€)

Ecologie

30

8

7

15,0

Compétitivité

14

2

4,2

7,8

impôts de production

20

10

10

0,0

Cohésion

36

9

12

15,0

Total

100

29

33,2

37,8

Dont financés par l'UE

40

9,7*

11,1

19,2

Source : 2ème rapport du comité de suivi du Plan France relance, (décembre 2022) et calculs Fondation iFRAP juin 2023 * Le chiffre diffère de celui annoncé en exécution des lois de finances à 13,4 milliards, le différentiel 3,7 milliards s’expliquant par la recapitalisation de la SNCF (4,05 Mds €) traité comme un décaissement du plan de relance et le préfinancement de 5,1 milliards qui mord sur 2 tranches.

Enfin la couverture du plan France 2030 par les versements européens doit suivre la répartition suivante :

Volet

Enveloppe initiale

Dont financé par la FFR de l'UE (Md€)

En % de l'enveloppe initiale

Dont auto-financé par la France

En % de l'enveloppe initiale

Ecologie

30

20

66,7%

10

33,3%

Compétitivité

34

6

17,6%

28

82,4%

Cohésion

36

14

38,9%

22

61,1%

Total

100

40

40,0%

60

60,0%

Source : 1er rapport du comité de suivi du Plan France relance, (octobre 2021)

En réalité cette paralysie est asymétrique : la commission a arrêté ses versements depuis fin 2022 mais cela n’a d’incidence qu’en comptabilité budgétaire. En effet comme le précise les projets de lois de règlements du budget de l’Etat pour 2021 et 2022[7] :

Pour 2021 « les recettes enregistrées au titre du financement européen du plan France Relance, évalués à 13,7 milliards d’euros en comptabilité nationale contre 5,1 milliards d’euros en comptabilité budgétaire, soit un écart de 8,6 Md€… » s’expliquent par le fait que ces « recettes en comptabilité nationales sont en effet comptabilisées au même moment que les dépenses faisant l’objet d’un financement. Ainsi les dépenses du plan de relance financées par l’Union européenne ne jouent pas sur le déficit de l’Etat (en comptabilité nationale), alors que la comptabilité budgétaire enregistre en recettes les versements effectifs de l’Union européenne. »

Ainsi les retenues effectuées par l’UE pour non adoption du 1er PLPFP 2023-2027 a une conséquence sur le plan budgétaire mais aucune pour le moment en comptabilité nationale. Pour 2022, le Projet de loi de règlement du budget précise « les recettes enregistrées au titre du financement européen du plan France relance, estimées à 11,1 milliards d’euros en comptabilité nationale (…) [ne représentent que] 7,4 milliards en comptabilité budgétaire, soit un écart de 3,7 milliards d’euros. »

Et si le 2nd PLPFP 2023-2027 n’était pas adopté ?

Les lois de programmation des finances publiques ne sont pas des lois de finances mais des lois ordinaires à portée financière. Elles ont été introduites par la révision constitutionnelles du 23 juillet 2008 qui a modifié l’article 34 de la constitution pour y introduire cette catégorie de lois pluriannuelles qui ne remet pas en cause le principe de l’annualité budgétaire et sont inscrites au sein de la LOLF. Le Haut conseil dispose à ce titre des prérogatives spécifiques inscrites au III de l’article 61 de la LOLF modifiée (notamment sur les prévisions macroéconomiques, sur l’estimation du PIB potentiel et sur la cohérence de la programmation envisagée au regarde de l’OMT (objectif à moyen terme) retenu et des engagements européens de la France. Les LPFP ont pris de l’importance à la suite de la ratification le 22 octobre 2012 du TSCG et l’adoption de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques (LOPGFP), puis plus récemment à la suite de la modification de la LOLF par la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.

La non adoption du PLFPP (1) 2023-2027 a eu pour conséquence de forcer les pouvoirs publics à demander au Haut Conseil des finances publiques (HCFP) de comparer les lois de programmation sectorielles projetées et le programme de stabilité au projet de loi de programmation 2023-2027 et non plus à la précédente LPFP 2018-2022 désormais caduque. Une procédure exceptionnelle qui n’est bien évidemment pas contraignante juridiquement, ce qui empêche le Haut Conseil de contrôler la cohérence de la trajectoire des finances publiques et des lois de programmation sectorielles avec l’OMT auquel s’engage la France. Pour 2023 cette difficulté est partiellement contournée par le fait que la clause dérogatoire générale du Pacte de stabilité et de croissance a été activée durant la pandémie le 23 mars 2020 et devrait être désactivée en 2024. Le PSC devant à nouveau s’appliquer mais sans doute amendé suivant les propositions de la Commission[8].

Si aucune LPFP 2023-2027 n’était finalement votée d’ici 2024, une remise en causes des règles d’imputation automatique par Eurostat des recettes européennes en fonction du décaissement des dépenses du plan de relance France 2030 pourrait intervenir. Et dans ce cadre le gel des versements par la Commission devrait avoir également des incidences en comptabilité nationale. Ce qui pourrait avoir une incidence sur la dette publique elle-même : comme le relevait l’INSEE en mai 2022[9], à l’occasion de la publication des comptes nationaux « le solde des opérations de répartition rebondit très nettement (…) [et] résulte principalement du solde des revenus de propriété (…) mais aussi du financement européen du plan de relance ». Un an plus tard à lors de la publication des comptes de la nation 2023[10], l’INSEE commente « le solde des opérations de répartition se dégrade de 12,3 Md€. Cette dégradation provient du solde des revenus de propriété, plus précisément des revenus d’intérêt. Les intérêts versés aux non-résidents augmentent davantage que ceux reçus des non-résidents, en raison notamment de la forte hausse de la charge d’intérêts des administrations publiques. » En clair, le PIB en 2023 est désormais « minoré » par les opérations de flux d’intérêts sortants liés à la politique de hausse des taux d’intérêts de la BCE. Cela joue évidemment sur les comptes publics. Mais cet effet est limité en partie par le maintien des transferts de React-EU pour financer le plan de relance français, nonobstant le gel provisoire des versements, en raison des règles comptables en vigueur. Une situation qui pourrait ne pas durer et induire une révision rétrospective des comptes publics pour 2023 à minima et le niveau de dette publique… mais aussi l’ensemble de l’équilibre de financement du programme dont théoriquement l’engagement doit être achevé depuis la fin 2022 et donc interagir sur les années 2024-2027 telles que définies désormais par le Programme de stabilité 2023-2027[11]. C’est pourquoi il est urgent de voter un PLPFP (2) 2023-2027 dans les plus brefs délais. Juillet d’après le Gouvernement.


[1] Voir par exemple le règlement sur l’état de droit de l’UE, entré en vigueur au 1er janvier 2021, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020R2092 consulter sur cette question le rapport pour avis annexé au PLF 2023 tome IX à l’Assemblée nationale, de Mme Mireille CLAPOT, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_afetr/l16b0337-tix_rapport-avis

[2] R. Honoré, Le gouvernement sous pression pour faire valider sa trajectoire budgétaire, LR renâcle, 9 mai 2023 : https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/le-gouvernement-sous-pression-pour-faire-valider-sa-trajectoire-budgetaire-lr-renacle-1941599

[3] https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/the-eu-budget/long-term-eu-budget-2021-2027/#:~:text=march%C3%A9%20unique%2C%20innovation%20et%20num%C3%A9rique,22%2C7%20milliards%20d'euros

[4] https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport-evaluation-plan_france_relance-octobre.pdf#page=61

[5] https://france.representation.ec.europa.eu/informations/leurope-nous-coute-trop-cher-vraiment-2021-10-22_fr#:~:text=Dans%20le%20cadre%20du%20plan,%C3%A9t%C3%A9%20vers%C3%A9%20en%20ao%C3%BBt%202021.

[6] Attention, en comptabilité nationale la perception se fait au niveau de l’engagement et non du décaissement (hors dépenses militaires – à la livraison pour le matériel militaire). Par ailleurs la chronique intègre la chronique intégrée dans l’annexe à la proposition de décision d’exécution du Conseil relative à l’approbation de l’évaluation du plan de relance et de résilience pour la France COM/2021/351 final, voir https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:52021PC0351 et en particulier, document 2 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52021PC0351

[7] Pour 2021, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1094_projet-loi et pour 2022, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1095_projet-loi

[8] https://france.representation.ec.europa.eu/informations/la-commission-propose-de-nouvelles-regles-de-gouvernance-economique-adaptees-aux-defis-venir-2023-04-26_fr

[9] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6447881?sommaire=6438793

[10] https://www.insee.fr/fr/statistiques/7623591#graphique-figure3

[11] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2023/04/26/presentation-du-programme-de-stabilite-2023-2027