Haro sur l’héritage des plus riches, une vraie mauvaise idée !

Alors qu’Oxfam relance le débat sur la fiscalité des « super-héritages », qualifiés de « jackpot fiscal », les données de l'étude montrent une tout autre réalité. À l’échelle mondiale, 70 % des milliardaires sont des self-made, contre seulement 30 % d’héritiers. En France, seuls 48 % des milliardaires sont des héritiers, et leur fortune croît nettement moins vite que celle de leurs voisins européens (+4,4 % contre +16,4 % en Allemagne). En comparaison les héritiers représentent 72% des milliardaires en Allemagne, 58% en Italie, 57% en Suède et 56% en Espagne. La France est donc plutôt bien placée pour ses milliardaires de première génération comparativement aux autres pays d'Europe (hors Suisse, avec seulement 44% d'héritiers ou l'Irlande avec 25% d'héritiers). Par ailleurs, l'Europe de l'Ouest est la zone géographique où le turn-over des milliardaires (entrées/sorties) est le plus important. Dans ce contexte, alourdir une fiscalité de l’héritage déjà complexe et coûteuse en France voire même au niveau européen risquerait surtout de précipiter le départ d’une population très mobile.
Les statistiques d’UBS montrent que la New Money est toujours plus importante que la « old money » dans la structuration des fortunes des milliardaires :
Sur le plan mondial, le rapport d’UBS Billionaire Ambitions Report 2024, s’intéresse comme l’année précédente à la question générationnelle de l’accession au statut de milliardaire. Devient-on milliardaire en héritant ou en constituant soi-même sa propre fortune (self-made). Les statistiques fournies par la banque en 2024[1] au niveau global montrent que le nombre d’héritiers accédant au statut de milliardaire (en $) est toujours inférieur à celui des self-made de première génération.
Source : UBS (2023 et 2024)
Même si pour la première fois la fortune des nouveaux entrants héritiers a dépassé très légèrement en 2023 celle des nouveaux milliardaires self-made (de +10,1 Milliards en flux) :
Si l’on augmente la focale et que l’on regarde le stock de milliardaires et non plus le flux, sur une population de milliardaires identifiée de 2.686 individus au niveau mondial, 1.877 étaient des entrepreneurs de 1re génération (self-made) contre 805 héritiers, soit un ratio de près de 70%. Une proportion très proche de celle que l’on connaissait déjà il y a 8 ans (en 2017 pour l’année 2016) et en 2010[2] :

Une Europe distancée par rapport aux autres zones géographiques et l’Asie depuis 2016 :
Si l’on regarde maintenant les statistiques par zones géographiques (zone Amériques, zone Europe-Moyen-Orient-Afrique, zone Asie-Pacifique), la zone européenne élargie (EMEA) semble largement à l’écart en termes de croissance du patrimoine de ses milliardaires. Le rapport 2024 d’UBS en donne la répartition suivante entre 2015 et 2024 :
Sources : UBS (2024)
En base 100 en 2015, l’évolution de la zone EMEA est de 187,9 en 2024 contre 232,6 pour la zone Amériques et 240,9 pour la zone Asie-Pacifique :

À court terme, l’Europe entre 2022 et 2023 a vu la fortune de ses milliardaires ne croître que de 27,1%, puis de seulement 16,1% entre 2023 et 2024. Tout au contraire, l’Afrique MO a vu une croissance de ses milliardaires de 39,4% entre 2022 et 2023 puis de 21,5% entre 2023 et 2024. La croissance de la fortune des milliardaires européens est toutefois plus forte que celle de leurs homologues d’Asie sur l’ensemble de la période, mais plus basse que celle des milliardaires du continent américain entre 2023 et 2024.

La situation des milliardaires français par rapport à leurs homologues européens :
Au sein de l’Europe, la situation des milliardaires français est atypique : en 2024 la France comptait 46 milliardaires soit environ 9,3% de l’ensemble des milliardaires européens, mais leur fortune représentait 21,1% de l’ensemble du total des fortunes. La France se caractérise donc par une population de milliardaires plutôt faible, mais leur fortune est plus importante, environ 12,5 Md$ en moyenne en 2024 contre 4,7 Md$ en moyenne en Allemagne et 5,1 Md$ au Royaume-Uni.

Par contre, la fortune moyenne des milliardaires français croît beaucoup moins vite que celle des autres milliardaires européens sur les deux dernières années : +4,4%, quand les Allemands voient la leur croître en moyenne de 16,4%, de 28,5% en Suisse et de 13,4% au Royaume-Uni.
Cela est en particulier dû à la faiblesse des fortunes industrielles des milliardaires français (plutôt positionnées dans le luxe, la cosmétique, les télécoms), mais aussi de leur faible présence dans le monde de la finance et quasiment aucune dans les technologies de rupture (IA, Internet, informatique, robotique, etc.). Cette troisième caractéristique étant plus globalement celle des milliardaires européens au contraire des milliardaires asiatiques ou américains.

La France présente par ailleurs une proportion de milliardaires entrepreneurs de première génération de 52% en 2024 contre 59% en 2023 (-6.6 points), mais cette tendance sans être aussi accusée qu’en France est majoritaire en Europe (8 occurrences sur 14). Le recul est plus marqué encore en Suède (-7,1 points) et surtout en Autriche (-11 points). Mais on la rencontre aussi en Italie (-4,5 points), au Royaume-Uni (-1,5 point), en Espagne (-1,4 point), et en Allemagne (-1,1 point). Les milliardaires en France vivent une vraie transition démographique, faute pour de nouveaux entrepreneurs de voir croître suffisamment vite leurs propres activités à la même vitesse ou plus vite que leurs aînés.
Dans le détail, entre 2023 et 2024, la population de milliardaires français à cru de 12 individus passant de 34 milliardaires à 46 milliardaires. Les 12 nouvelles entrées se caractérisant par l’arrivée de 4 nouveaux entrepreneurs et de 8 héritiers.
La Suisse talonne la France en valeur absolue avec l’accueil de 10 nouveaux milliardaires, dont cependant 7 entrepreneurs (self-made) contre seulement 3 héritiers. Enfin en 3e position l’Allemagne suit une dynamique identique à celle de la France, 8 nouveaux milliardaires, mais 1 nouvel entrepreneur contre 7 héritiers. L’Italie arrivée en 4e position voit sa population de milliardaire s’accroître de 6 membres, tous héritiers.
En Suisse, entre 2011 et 2022 le nombre de milliardaires français a augmenté de 57%La Suisse est devenue au fil des années un véritable havre de paix fiscal pour les milliardaires français. Les statistiques établies par le magazine Bilan et reprises par Challenges, en donnent une vision saisissante pour l'année 2022. Selon UBS, il y avait en 2022 près de 67 milliardaires en $ en Suisse. D'après les statistiques annuelles de Bilan converties en dollar, les milliardaires français résidents en Suisse étaient au nombre de 22, soit 32,8% de la population de milliardaires locale. UBS montre qu'entre 2022 et 2024 près de 18 milliardaires sont venus augmenter cette population, dont 10 milliardaires entre 2023 et 2024. En novembre 2011 le nombre de milliardaires français en dollar établis en Suisse était au nombre de 14, pour une population milliardaire résidente selon Forbes de 36 (soit 38,8%). En 11 ans le nombre de milliardaires français établis en Suisse a augmenté de 57%. |
Conclusions :
La France se caractérise par une population de milliardaires plus faible que ses homologues européens, mais avec des fortunes plus conséquentes. Leur fortune cependant s’accroît beaucoup moins vite que celle de leurs voisins continentaux hors Danemark. Faute d’un terreau d’entrepreneurs suffisamment dynamique et faisant fortune dans les nouvelles technologies de type IA ou GAFAM ou dans la finance (voire même dans d’anciens secteurs réinventés comme l’automobile électrique) – les milliardaires européens globalement et significativement français vieillissent. Si leur nombre croît encore, c’est majoritairement à raison du décès de certains d’entre eux et de l’arrivée d’héritiers aux affaires.
Cette lame de fond tranche par rapport aux autres zones géographiques, car au niveau mondial la forte croissance des fortunes chinoises (même si c’est moins vrai en 2024) et la poursuite de la dynamique existante en Amérique du Nord avec des fortunes majoritairement issues du monde de la Tech et de la finance, conduits à faire des self-made milliardaires environ 70% de la population de milliardaires contre 48,1% en Europe de l’Ouest et 52,2% en France, contre seulement 36,9% en zone Amérique et 27,2% en Asie-Pacifique.. Est-ce le bon moment à saisir pour faire « main basse » sur les fortunes héritées à l’occasion de la transition démographique qui se déploie sur le vieux continent ? Rien n’est moins sûr. Et pour plusieurs raisons :
D’une part, comme le montre UBS, les milliardaires sont une population extrêmement mobile. Et cette population a les moyens de se déplacer rapidement au niveau mondial. On peut le vérifier facilement sur la période 2015-2024. L’Europe de l’Ouest étant la zone présentant le 2d solde positif sur les 10 dernières années. Une situation qu’une politique unilatérale en France ne devrait pas dégrader, d’autant que si le solde est positif, les arrivées et les départs sont les plus conséquents (comme s’il s’agissait d’une zone de transit). La somme des arrivées et des départs représente ainsi près de 42% de la base de milliardaire en Europe de l’Ouest.

Source : UBS 2023 et 2024
D’autre part, les milliardaires interrogés confirment que l’Amérique du Nord et l’Asie pacifique restent les lieux privilégiés où ils estiment réaliser leurs investissements les plus profitables dans les 12 prochains moins et dans les 5 prochaines années (à respectivement (80% et 68%) pour l’Amérique du Nord et à (25% et 45% hors Chine) pour l’Asie-Pacifique. Une fiscalisation trop importante et même coordonnée au niveau européen pourrait pousser nos milliardaires à suivre physiquement leurs investissements.
Enfin la fortune des milliardaires s’étiole vite à raison des générations : sur 805 milliardaires héritiers au niveau mondial en 2024, 542 (67,3%) sont des héritiers de 2de génération, 163 (20,2%) de 3e génération et 100 (12,4%) de 4e génération. Cela veut donc dire que même avec une optimisation fiscale maximale au niveau mondial sur ce segment, la division des patrimoines est inexorable, faisant ruisseler la richesse vers le bas. UBS donne même l’exemple de la Chine ou le Turbo-capitalisme est tellement rapide qu’entre 2015 et 2024 le nombre de milliardaires héritiers baisse en valeur absolue passant de 35 en 2015 à 33 en 2024.
Reste enfin que devenir milliardaire par héritage ne prédispose pas nécessairement à la passivité en 2023 l’étude d’UBS a montré que 57% des 53 héritiers enregistrés cette année-là avaient choisis de réorienter leur fortune dans des activités autres que celles de leurs devanciers, et tout particulièrement en Asie où 66,7% avaient choisi cette voie, suivie en cela par le continent américain à 53,3%. Au contraire en Europe, la position conservatrice est plus marquée avec 52,9% des héritiers enregistrés en 2023 poursuivant l’activité familiale contre 47,1% s’en distinguant.
[1] https://www.ubs.com/content/dam/static/noindex/wealth-management/emea/ubs-billionaire-ambitions-report-2023.pdf ainsi que https://www.ubs.com/global/en/wealthmanagement/family-office-uhnw/reports/billionaire-ambitions-report/_jcr_content/pagehead/link1.1012721374.file/PS9jb250ZW50L2RhbS9hc3NldHMvd20vc3RhdGljL25vaW5kZXgvdWJzLWJpbGxpb25haXJlLWFtYml0aW9ucy1yZXBvcnQtMjAyNC5wZGY=/ubs-billionaire-ambitions-report-2024.pdf
[2] Consulter, https://www.ubs.com/global/en/wealthmanagement/family-office-uhnw/archive.html