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Fraudes dans la branche famille : des résultats 2024 en demi-teinte

La Caisse nationale des affaires familiales (CNAF) vient de publier le bilan de la fraude dans la branche famille s’agissant du régime général. Le montant de la fraude détectée est en augmentation de près de 20% en 2024 par rapport à l’année précédente avec un montant de 449 millions d’euros. Un montant encore très éloigné de la fraude estimée de la branche famille qui est de 4,9 milliards d’euros par an (dont 1,5 milliard de fraude annuelle au RSA). Les données sont cependant encore assez modestes. On ne connait pas par exemple la mise à jour de la fraude estimée qui a lieu tous les 2 ans ni le taux de recouvrement à 48 mois des indus frauduleux. Il faudra pour cela attendre le rapport de certification des comptes de la Sécurité sociale publié par la Cour des comptes à la mi-mai. En revanche, la mise en perspective des principaux indicateurs invite à rester circonspect sur l’amélioration de la lutte contre la fraude au sein de la branche famille et la « réduction » de l’écart entre la fraude estimée et la fraude détectée

La fraude détectée en hausse de 20% en 2024 par rapport à l’année précédente :

En 2024, la fraude détectée aux prestations délivrées par les CAF a représenté 449 M€ contre 374 M€ en 2023 (+20,1%). Par ailleurs ce volume répond à une augmentation de la détection du nombre de fraudes relativement modeste de +0,3%[1].

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Sources : CNAF (2025) et les années précédentes.

Il en résulte que c’est le montant moyen du préjudice qui augmente, puisqu’il atteint 9.158 euros en moyenne en 2024 contre seulement 7.654 euros en 2023, soit une augmentation de +19,6%. On est donc fondé à penser que le ciblage des contrôles s’améliore. Ils sont par contre de moins en moins nombreux (et donc de plus en plus qualitatifs) comme le montre ce graphique sur moyenne période :

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Source : CAF (2025) et années précédentes.

Entre 2018 et 2024, le nombre de contrôles est passé de 38,5 millions à 31,5 millions, soit une baisse de 18,2%. Si l’on décompose ces contrôles, nous trouvons :

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Source : Bilan de lutte contre la fraude, CAF, années afférentes [2] .

On assiste en particulier à une baisse (-5,5%) des contrôles automatisés, liés aux échanges d’information entre les CAF, la DGFiP et d’autres organismes sociaux (France Travail, etc.). Mais surtout à un effondrement du contrôle sur pièces (-50%) et du contrôle sur place (-41,2%) en 2024 par rapport à 2018. En particulier en 2020, les contrôles sur place lors des confinements ont totalement été stoppés, si bien que leur reprise dès 2021 et par la suite ne parviennent pas à atteindre leur niveau de 2018 (170.000).

Des contrôles moins nombreux, mais plus qualitatifs, avec la montée en puissance du SNLFE :

Depuis 2021, la CNAF a décidé de renforcer sa lutte contre la fraude à forts enjeux. Elle a ainsi créé le SNLFE (Service national de lutte contre la fraude à enjeux), composé de 30 contrôleurs aux profils variés[3]. La Cour précise que « le soutien apporté par le SNLFE a permis aux CAF de détecter 21 M€ d’indus, frauduleux ou non, en 2022 ». La CNAF elle fait état de « contrôles signalés ou suivis par le SNLFE » ayant permis de détecter pour près de 15,5% de l’ensemble des fraudes identifiées en 2021 (48 millions d’euros), environ 11,5% de ces mêmes fraudes en 2022 (40,3 M€), et pour près de 37% de ces mêmes fraudes en 2024 (166,1 M€). On assiste donc véritablement à une montée en puissance de la fraude à forts enjeux… ce qui explique en partie l’augmentation du montant moyen des fraudes identifiées. 

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Source : CAF et rapport MICAF 2023

Entre 2021 et 2024, la proportion de fraudes détectées ou suivies par le SNFLE est passée de 15,5% à 37% du montant total des préjudices frauduleux détectés. Depuis 2023, « les sources principales de suspicion de fraude sont les dossiers issus du Service National de Lutte contre la Fraude à Enjeux. » En 2023, le travail du SNLFE représentait 25% des contrôles, à égalité avec ceux issus du datamining (25%), les contrôles de ressources annuels (RAC annuels) ne représentant que 19% des contrôles. En 2024 le SNLFE « a recruté de nouveaux contrôleurs nationaux spécialisés ». Il est désormais constitué de 43 collaborateurs, dont 33 contrôleurs spécialisés aux profils variés (Caf, URSSAF, Impôts, gendarmerie, etc.), ainsi que des data scientistes et des experts juridiques permettant de renforcer la judiciarisation des poursuites. Depuis 2024 ils disposent désormais de prérogatives de police judiciaire et menée des cyber enquêtes. Il en résulte une augmentation du montant des fraudes détectées portées par le service de +38,8% en 2024 par rapport à l’année précédente. 

Une limitation des « erreurs de versement » via la solidarité à la source en devenir :

Le principe de la « solidarité à la source » a été mis en place par généralisation d’une expérimentation réalisée dans 4 départements s’agissant de la prime d’activité (PA) et du RSA, à compter du 1er mars 2025. Désormais, les formulaires sont préremplis par les services des CAF directement à partir des éléments communiqués via la DSN et figurant sur les fiches de paies (revenu social de référence) ou les organismes allocataires pour les revenus de remplacement (chômage, indemnités journalières, pensions d’invalidités ou de retraites, etc…). Il est encore trop tôt pour juger bien évidemment de l’effet positif de la réforme en matière d’erreurs de versements, mais le montant des versements à tort est aujourd’hui en constante augmentation (+40% entre 2024 et 2019).

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Sources : CAF, rapports annuels.

On constatera par ailleurs que les erreurs bien que globalement en augmentation explosent plutôt en faveur des allocataires (+60% d’erreurs en montant) avec 480 M€ en 2024 contre 300 M€ en 2019, alors que les indus augmentent de seulement +33,3% passant de 900 M€ en 2019 à près de 1,2 Md€ en 2024. La solidarité à la source devrait diminuer les montants des versements à tort et permettre une réallocation des 700 enquêteurs vers la détection des fraudes en limitant les risques d’erreurs.

 

La détection des fraudes au sein de la branche famille toujours bien inférieure à leur estimation :

Il est encore trop tôt pour donner une estimation de la fraude aux allocations de la branche famille pour 2024 dans la mesure où cette estimation n’est disponible que via une enquête publiée tous les deux ans. Nous en aurons un aperçu lors de la publication de la certification des comptes de la Sécurité sociale en 2024 mi-mai 2025. Tout comme le montant des encaissements à 48 mois des redressements effectués par les CAF.

Cependant, comme nous l’avions déjà mis en avant en juin dernier[4], les montants détectés restent très en dessous de la fraude estimée. On parle actuellement de 9% de fraude détectée (en 2020 comme en 2022). Si ce chiffre restait inchangé, le montant de la fraude estimée pourrait atteindre en 2024 près de 4,9 milliards d’euros. Moins toutefois si ce ratio était s’appréciait montrant que les efforts mis sur le contrôle mordent davantage sur la fraude estimée que deux ans auparavant

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Source : CAF, Cour des comptes, Fondation iFRAP mai 2025

Conclusion

Bien que les premiers chiffres publiés et peu détaillés à ce stade sont en augmentation significative par rapport à l’année précédente, la détection de la fraude aux prestations versées par les CAF en 2024 reste encore très loin d’atteindre une intensité suffisante pour représenter une fraction importante de la fraude estimée dans cette même branche. 

Les contrôles, dont le nombre est en constante baisse, sont cependant de plus en plus ciblés et productifs. Reste que le datamining et les contrôles automatiques doivent encore monter en puissance parallèlement à la baisse du volume des « erreurs » afin de pouvoir concentrer l’essentiel des forces de contrôle en direction de la fraude à enjeux. C’est le principal attendu de la mise en place de la solidarité à la source – qui doit servir de sécurisation des revenus à prendre en compte dans le calcul des allocations. Mais ce déploiement n’intervenant qu’à compter de mars 2025, il reporte à l’année prochaine la perception de ses premiers effets sur la baisse des indus (trop versés) et des rappels à l’endroit des allocataires. Nous rappelons à cet égard 3 propositions afin d’améliorer l’efficacité des contrôles :

  • Permettre aux contrôleurs de la CAF et tout spécialement au SNLFE de pouvoir utiliser les réseaux sociaux de façon à détecter les fraudes (au train de vie, à la résidence, à la situation maritale, voir au travail dissimulé), et autoriser l’intelligence artificielle pour traiter cette masse de données ;

  • Autoriser la création d’aviseurs sociaux sur le modèle des aviseurs fiscaux ;

  • Améliorer les mécanismes de suspension des allocations et minima versés par les CAF en cas de condamnation pénale ou de fraudes sociales et fiscales intervenant en amont ou de travail dissimulé.


[1] Les dossiers de Presse 2023 et 2024 donnaient le même chiffre du nombre de fraudes détectées, celui-ci a cependant été corrigé dans le rapport MICAF 2024, résultats 2023 p.28 https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/micaf/bilans/bilan-micaf-2023.pdf

[2] Mais aussi pour 2018, https://www.banquedesterritoires.fr/pres-de-50-des-dossiers-de-rsa-comportent-un-trop-percu

[3] Cour des comptes, rapport sur la Sécurité sociale, mai 2023, p.229. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20230524-Ralfss-2023-7-lutte-contre-fraudes-aux-prestations-sociales.pdf

[4] https://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/fraude-sociale-39-milliards-par-pour-la-branche-famille