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France recouvrement : quelles économies à la clé ?

DGFiP, DGDDI et ACOSS vont fusionner d'ici 2030

C’est le 31 juillet 2019 que très discrètement le rapport d’Alexandre GARDETTE relatif à la réforme du recouvrement fiscal et social a été remis au Ministre de l’action et des comptes publics et à la Ministre des solidarités et de la Santé. Son objectif : constituer un diagnostic prospectif sur la capacité de l’Etat à « fusionner » le recouvrement de la DGFiP, de la DGDDI (douanes) et de l’ACOSS (sécurité sociale), dans le droit fil des propositions de la mission CAP 2022. Or d’amblée le rapport « douche » les ambitions politiques affichées. Non la mise en place d’un organisme unique en charge du recouvrement sur le modèle italien par exemple (Equitalia), ne sera pas pour 2022. Dans le meilleur des cas, il s’agira d’un déploiement à envisager pour 2030. Et les économies à dégager dans tout cela ? Elles semblent bien réelles mais difficiles à évaluer. L'objectif de 3000 suppressions d'agents pour 150 millions d'économies est faible. Si une externalisation au privé des fonctions métiers était plus poussée (huissiers) on pourrait sans doute monter à 15.000, soit 750 millions d'économies à la clé (et 200 millions de recettes supplémentaires/an). Une perspective plus en ligne avec l'évaluation initiale CAP 2022 de 1 milliard d'euros d'économies.

Commencer par faire converger le recouvrement entre DGFiP et DGDDI

C’était déjà le cas en loi de finances 2019[1], le texte avait prévu le transfert intégral (gestion, recouvrement et contrôle) de 4 taxes (boissons non alcooliques en 2019, TGAP (en 2020) et sa « composante déchet » en 2021, ainsi que la TVA sur le pétrole la même année. La mission Gardette propose le transfert de 11 autres taxes (sur 14), d’ici 2024 pour un montant brut de 36 milliards d’euros. A l’issue du processus dont l’aspect programmatique pourrait être mis en lumière dès le PLF 2020, 3 taxes « métiers » de la douane resteraient dans son giron : les droits de douane (cœur de métier), la TICPE (taxe intérieure à la consommation sur les produits énergétiques) et la TVA à l’importation due par les non assujettis.

Il y aurait donc mise en place d’une bascule préparatoire de la matière imposable vers la DGFiP avant de procéder à une « unification » du recouvrement forcé puis à terme du recouvrement au sein même de cette dernière.

Parallèlement devrait être menée une mission d’évaluation (qui est encore en cours) de la recentralisation du recouvrement de la fiscalité affectée aux opérateurs (53 organismes concernés), dont seulement 2 ont pu être audités par la mission à la date de livraison du rapport en juillet. Il s’agit des 4 taxes liquidées auprès de la DGAC (taxe de l’aviation civile, taxe de solidarité sur les billets d’avion, taxe d’aéroport et taxe sur les nuisances sonores aériennes) ; ainsi que les trois taxes affectées au CNC (TSA (taxe sur les salles de cinéma) ; TST (taxe sur les services de télévision) ; TSV (taxe sur les ventes de vidéos (même si elle est recouvrée par la DGFiP). Bien entendu les organismes concernés n’ont pas souhaité ces transferts. Cependant dans les deux cas, le rapporteur de la mission conclut que les transferts de taxe à la DGFiP ne présentent pas de difficulté technique.

Deuxième axe : mise en place d’un portail commun pour les usagers

Si le recouvrement dont être fusionné (back office), il est proposé de travailler d’abord sur le front office, via la mise en place d’un portail dédié. Le projet pourrait concerner d’abord les usagers professionnels (entreprises, travailleurs indépendants, micro-entrepreneurs) avec un livrable en 2022 mais aurait « vocation à l’être ultérieurement aux particuliers dans un second temps ». La mise en place d’un tel portail supposerait « la capacité d’articuler les systèmes d’information des trois administrations », ce qui devrait aboutir à un rapprochement des SI (systèmes informatiques) existants par les trois administrations (DGFiP, douanes, ACOSS) et d’en faire converger les logiques et les objectifs (unification de l’interface homme/machine ; unification de l’authentification (via FranceConnect et ProConnect), et les services (déclarations en ligne, paiement, consultation de documents)), donc allant bien au-delà du recouvrement forcé en soi pour s’attacher plus largement aux questions de déclaration.

La mise en place d’un tel portail unifié (tous P.O.) devrait permettre d’inciter les administrations collectrices à participer au chantier et à s’inscrire dans une dynamique de partage et de convergence.  Pour piloter ce chantier au niveau stratégique et technique la mission propose sa transformation en une mission interministérielle dénommée « France Recouvrement », ainsi que la création d’une structure ad hoc dédiée chargée des aspects maîtrise d’ouvrage et intégration[2], prenant la forme d’un SCN – un service à compétence nationale – financé par « transfert depuis les programmes budgétaires concernés » des administrations participantes.

La « mise en commun » du recouvrement forcé proprement dite

La mission propose un scénario « socle » conduisant à l’unification dans chaque sphère (fiscale/sociale) du recouvrement forcé, avec harmonisation des procédures, puis la « la mise en commun du seul recouvrement forcé au sein d’une « filiale » commune. » Cependant, en raison d’indicateurs de performance particulièrement divergents entre les structures fiscales et sociales, « la faisabilité et la pertinence de ce scenario n’ont pu être démontrées à ce stade » : d’abord parce que les résultats sont difficilement comparables (ce qui suppose une harmonisation plus poussée des indicateurs à proposer dans le prochain PLF[3]), ensuite parce que les structures et les procès juridiques sont divergents : la fonction de recouvrement est éclatée à la DGFiP, « alors que les créances recouvrées par les URSSAF présentent une plus grande homogénéité », les recouvrements forcés sont « régionaux » pour l’ACOSS, mais regroupés en PRS (pôles de recouvrement spécialisés[4]) à la DGFiP. La lutte contre le travail illégal (LCTI) est traité différemment dans la sphère fiscale comme sociale de celui des autres créances et compartimentés dans des organisations dédiées. Les URSSAF « n’utilisent que rarement la procédure d’opposition à tiers détenteur, mais procèdent à un grand nombre d’assignations collectives, à l’inverse de la DGFiP ». Par ailleurs les ACOSS utilisent beaucoup plus le recouvrement forcé via des huissiers privés (externalisation) - dont les services sont refacturés en majoration aux débiteurs - alors que les créances fiscales de la DGFiP ne le sont que via les huissiers des finances publiques (fonctionnaires). Enfin les effectifs des URSSAF sont constitués de contractuels de droit privé (13.100 ETP) tandis que les agents de la DGFIP sont de droit public (titulaires ou contractuels, soit 104.000 et 17.000 pour la DGDDI).

Face à ces difficultés, la mission estime qu’une « fusion » du recouvrement forcé ne pourrait intervenir avant 2030. Cependant une « convergence » entre administrations serait possible avec la mise en place d’une « application commune de recouvrement forcé » baptisée « ROCSP » au sein de la DGFiP. Cette démarche permettrait d’y associer l’ACOSS et la DGDDI « en comité de pilotage », tout en développant ainsi un outil « modulaire » et extensible par « briques » aux autres entités intéressées, tout en le développant en priorité « au recouvrement forcé des produits fiscaux des seuls professionnels » puis de l’étendre « aux particuliers et à l’ensemble des produits relevant de la DGFiP ». Le développement de l’outil pourrait être pleinement opérationnel (pour la seule DGFiP) d’ici 2025. Ensuite « cette brique commune autour du recouvrement forcé » pourrait être étendue avec succès à la DGDDI et à l’ACOSS en 2027, constituant « ainsi une étape décisive dans une trajectoire à plus long terme, visant à unifier le recouvrement fiscal et social. »

Pour quel gain et avec quels financements ?

La mission commence par indiquer que le gain de 1 milliard d’euros évoqué par CAP 2022 « était « empirique », essentiellement basé sur les économies pérennes du non remplacement des fonctionnaires des finances publiques dont les emplois seront supprimés d’ici la fin du quinquennat ». Il ne s’agissait donc que d’un affichage et non des gains escomptés d’une véritable synergie entre les administrations concernées.

Pour autant, la mutualisation des systèmes d’information pourrait permettre des gains importants d’une ampleur au moins comparable :

Il ressort que le stock de créances basculé en recouvrement forcé et non apurées représentent 1,14 million de créances pour 34,9 milliards d’euros. Les entreprises représentent 16% du total de ces créances pour un coût de 13,3 milliards d’euros. Il apparaît par ailleurs que à la DGFiP 24,6% des entreprises concernées sont communes avec l’ACOSS (29,3% du point de vue de l’ACOSS et représentent pour cette dernière 48,9% des montants restant à recouvrer). Le nombre de défaillants communs est donc particulièrement significatif et pour des montants très importants.

Par ailleurs même si la « performance » du recouvrement n’est pas encore « comparable » entre la DGFiP et l’ACOSS, le rapport souligne qu’avec un total de P.O dépassant les 1000 milliards d’euros en valeur, la progression d’un taux de recouvrement de 0,1% permettrait de générer des recettes publiques supplémentaires de 100 millions d’euros/an.

En outre, la somme des budgets informatiques (masse salariale comprise) de la DGDDI, de la DGFI et de l’ACOSS représentaient 818 millions d’euros. Une réduction de 5% de ce budget permettrait une économie de 40 millions d’euros. Enfin les effectifs publics et privés « dédiés au recouvrement » dans ces trois sphères représentent environ 30.000 ETP. Des gains de productivité de 10% à 10 ans (2029) pourraient permettre une réduction de 3.000 ETP supplémentaires et générer des économies de 150 millions d’euros/an (indépendamment de la question relative à la rationalisation du réseau).

Enfin, l’amélioration du recouvrement via la mise en place du projet ROCSP[5] pourrait « autofinancer » le déploiement de l’ensemble des projets SI envisagés pour un coût de 1 milliard d’euros (en autorisation d’engagement) à étaler sur 10 ans. Un montant comparable aux projets COPERNIC et CHORUS. En effet l’amélioration du recouvrement via ROCSP pourrait générer des recettes supplémentaires de 80 millions d’euros en 2022, 120 millions en 2023, 160 millions en 2024 et 200 millions d’euros en rythme de croisière à compter de 2025, soit couvrir les décaissements successifs en crédits de paiements des engagements budgétés à compter de 2020.

Par ailleurs des gains supplémentaires seraient générés par le « décommissionnement » des applications anciennes (dont il ne faudrait plus assurer la maintenance applicative).

Conclusion

La fusion progressive du recouvrement forcé puis du recouvrement général, celui des professionnels puis celui des particuliers devra nécessairement excéder 2022. Des étapes intermédiaires seront visibles à plus court terme : un portail unique pour les usagers (professionnels et particuliers) pourrait être opérationnel en 2022, suivi d’une « unification du recouvrement au sein de la sphère fiscale pour 2024, la mise en place d’une application informatique unique codéveloppée avec l’ACOSS en 2027, débouchant sur un rapprochement des structures en 2030. En résumé, à compter de 2022, cette « unification » pourrait se matérialiser en « front office » via un portail unique dédié à la déclaration, simulation et paiement pour les professionnels uniquement à cette date. L’ingénierie nécessaire à réaliser la convergence entre les recettes fiscales au sein même de la sphère fiscale (DGFiP et DGDDI) empêche qu’une bascule plus rapide soit trouvée avec l’ACOSS.

Cependant, la mission GARDETTE propose de faire de cette difficulté un test, en proposant de concentrer sur la DGFiP la mise en place d’un back office du recouvrement forcé unifié (2025). Mise en place qui devra avoir son pendant organisationnel mais surtout informatique. Celui-ci pouvant être progressivement partagée avec la DGDDI et l’ACOSS. L’unification informatique du recouvrement forcé ne pouvant intervenir en « mode partagé » qu’à compter de 2027, préalable à la fusion des structures dans une « filiale commune » qu’à l’horizon 2030. Ce n’est qu’à cette aune sans doute que les « gains » en termes de taux de recouvrement (200 millions d’euros estimés/an, peut-être plus) pourront être engrangés nets des coûts de développement. Une affaire de très long terme et qui méconnaît une possible externalisation accrue du recouvrement au privé à l'instar de l'ACOSS (les frais d'huissier étant reportés sur le débiteur). L'anticipation d'un climat social potentiellement tendu n'est sans doute pas étranger à l'affaire.


[1] Voir notre note d’octobre 2018 sur le sujet, https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/budget-2019-la-bonne-idee-de-lagence-centrale-de-recouvrement

[2] Le chef de la mission interministérielle présidant son comité stratégique.

[3] Voir sur le sujet les derniers travaux de la MILOLF sur la question, http://www2.assemblee-nationale.fr/15/commissions-permanentes/commission-des-finances/secretariat/a-la-une/examen-de-l-application-de-la-lolf et plus particulièrement, http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rap-info/i2210.pdf 

[4] Mais comme le relève le rapport, les PRS ne sont en charge que des seules créances fiscales, mais toutes les autres créances dont elle à la charge ne lui sont pas confiées : amendes, recettes non fiscales, produits des impôts locaux, etc. ] Coût initial estimé à 52 millions d’euros et 6 puis 4 millions d’euros de coûts de maintenance