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Évaluation de l'économie informelle en France

Le sondage Opinion Way pour la Fondation iFRAP effectué en octobre dernier sur un échantillon de 2.215 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, montre que 24% des Français connaissent au moins un travailleur dissimulé, il y aurait donc au moins 12 millions de personnes qui pratiqueraient régulièrement ou occasionnellement du travail dissimulé. 13%, plus de 6 millions de personnes, déclarent avoir eu recours au travail dissimulé depuis le début de cette année pour principalement le ménage, le bricolage, jardinage… 9% des Français, près de 5 millions déclarent avoir fraudé la TVA depuis janvier dernier.

Ce sondage confirme les résultats de celui effectué par le CREDOC en juin 2015 qui montrait, par ailleurs, que 53% des travailleurs dissimulés sont des salariés ou exercent pour leur propre compte, 21% sont demandeurs d’emploi, 18,2% sont étudiants et 7,8% sont retraités ou personnes au foyer. Cette étude montre aussi la tolérance des Français face à différents types de fraudes :

A partir de ces constats il semble intéressant de tenter d’évaluer les montants de l’ensemble des pratiques qui échappent à la comptabilité nationale, « parce qu’elles sont souterraines, illégales, informelles ou qu’elles relèvent de la production des ménages pour leur usage propre, ou encore parce que le dispositif de collecte des données de base présente des carences […] On dit qu’elles constituent l’économie non observée (ENO) et on parle de mesure de l’ENO pour désigner le fait de les intégrer dans les comptes nationaux ». (Manuel sur la mesure de l’économie non observée, OCDE)

L’économie non observée peut donc se décomposer de la façon suivante :

La production souterraine regroupe les activités productives en elles-mêmes légales, mais délibérément cachées aux autorités publiques afin de ne pas payer d'impôts (IRPP, IS, TVA...) et de cotisations sociales, ou de se soustraire à des obligations réglementaires (ex: durée du travail, salaire minimum...)

La production du secteur informel porte sur les activités productives d'auto-entrepreneurs qui ne sont pas inscrits dans les registres publics, qui produisent des biens et services en vue principalement se créer des emplois et des revenus. L’économie informelle est très présente dans les pays en voie de développement.

La production illégale est constituée des activités productives interdites par la loi (production et trafic de stupéfiants, proxénétisme, contre-façon, recel, corruption...) ou bien dont la légalité est subordonnée à une autorisation préalable (exercice illégal de la médecine).

La production des ménages pour usage final propre : consommation de biens agricoles produits directement par les ménages, construction par les ménages de leur propre habitation...

La production non observée du fait de déficiences du système de collecte.

Par nature, mesurer l’invisible est un défi. D’une manière générale deux grands types de méthodes existent pour évaluer l’économie non observée : les méthodes directes et les méthodes indirectes.

Les premières regroupent les techniques d’analyse des écarts dans l’équilibre des comptes nationaux suivant les sources de collecte. Les instituts statistiques nationaux conformément aux recommandations du Système Européen de Comptabilité (SEC) ; du Système de Comptabilité Nationale des Nations Unies (SNC) ; incluent dans les mesures du PIB une estimation de cette économie non observée.

Les sources d’économie non observées conduisent à 7 catégories :

Un premier groupe est composé des producteurs pour lesquels les instituts de statistiques n’ont pas de données, il comprend :

D’une part, les personnes physiques ou morales qui ne se sont pas enregistrées :

Non enregistrées (N1) alors qu’ils avaient obligation de le faire ;

Les producteurs qui sont dans des activités illégales ou qui exercent des activités légales sans en avoir le droit (N2) ;

Enfin, les producteurs qui n’ont pas d’obligation d’enregistrement, l’auto production des ménages, (N3) ;

D’autre part, les producteurs enregistrés : qui ne déclarent rien (N4) ou que le système statistique ne recense pas (N5).

Un second groupe se compose des producteurs présents dans les recensements statistiques mais pour lesquels il y a, soit des erreurs dans les déclarations (N6), soit des dysfonctionnements du système statistique (N7).

L’INSEE en France estime ce montant à entre 3 et 4% du PIB (3,4% en 2010). Les enquêtes de l’OCDE (2012) sont plus proches de 7% du PIB : production souterraine 2,6% ; production illégale 0,03% ; production informelle : 0,8% ; entreprises statistiquement absentes : 3,3% ; Total : 6,7%. La même enquête annonce 17,5%, pour l’Italie.

Le tableau suivant donne des résultats de ces méthodes pour un échantillon de pays.

Tableau 1 : Economie non observée par type en % du PIB et (en parts) année 2011-2012

Source: Gyomai and van de Ven (2014, p. 6).

Ces grandes différences d’estimation sont liées en partie aux comportements des agents économiques mais aussi aux modes d’évaluation différents et à des différences dans le périmètre de mesure. Les Instituts statistiques nationaux privilégient des méthodes d’évaluation raisonnables fondées sur les contrôles fiscaux ou sociaux, sur des extrapolations à l’ensemble des entreprises, sur des recoupements entre des niveaux théoriques et les niveaux constatés (TVA).

Parmi les méthodes directes on trouve aussi des enquêtes sur échantillon, soit des échantillons représentatifs de la population soit des échantillons de dirigeants d’entreprises.

Les méthodes indirectes, également appelées approches par « indicateurs », sont principalement de nature macroéconomique. Celles-ci reposent en partie sur : l'écart entre les statistiques nationales sur les dépenses et les revenus ; l'écart entre la main-d'œuvre officielle et réelle ; l'approche par la consommation électrique ; l'approche de la transaction monétaire ; et l'approche de la demande de monnaie ; l’approche à indicateurs multiples et causes multiples (MIMIC) : Cette méthode considère explicitement plusieurs causes, ainsi que les effets multiples, de l'économie souterraine. La méthodologie utilise des associations entre les causes observables et les effets d'une variable non observée, en l'occurrence l'économie souterraine, pour estimer la variable elle-même.

Ces méthodes donnent des résultats généralement supérieurs aux méthodes directes. De plus, elles peuvent donner lieu à des doubles comptes comme le montre le graphique suivant qui donne les résultats pour 31 pays avant correction des doubles comptes série 1 en bleu et après en jaune. La méthode utilisée est MIMIC ajusté.

Estimation de l’économie non observée méthode MIMIC année 2017[1]

Ces ajustements permettent de rapprocher les résultats issus des méthodes directes d’estimation et des méthodes indirectes.

A l’issue de cette revue consacrée à l’économie non observée, peut-on évaluer son niveau pour la France ? Les différentes estimations sont d’environ 4% du PIB pour l’INSEE, 7% par les méthodes directes, entre 8 et 14% pour les méthodes indirectes. On passe donc du simple au double suivant la méthode retenue. Si on retient une estimation aux alentours de 10%, l’économie non observée en France serait de 290 d’euros environ de valeur ajoutée échappant à tout prélèvement à la fin de cette année.


[1] IMF Working Paper WP/18/17