Etat d’urgence budgétaire : où trouver les 40 milliards d'économies ?

Dimanche 13 avril, le ministre de l’Economie, Éric Lombard a affirmé que la France était en état d’urgence budgétaire. Afin de maintenir le déficit public sous la barre des 4,6% du PIB en 2026, il faudra faire un « effort supplémentaire de 40 milliards d’euros ».
Pour trouver des pistes d’économies, le Premier ministre François Bayrou a tenu une conférence sur les finances publiques en présence de ministres, parlementaires, associations et syndicats. D'ici le 14 juillet 2025, le gouvernement donnera ses pistes d'économies pour arriver à 40 milliards de baisses de dépenses l'an prochain.
En janvier dernier, la Fondation IFRAP publiait dans sa revue mensuelle une étude intitulée 110 milliards d’euros de baisse des dépenses publiques pour sauver notre économie. Cette étude prévoyait justement une économie de 41,35 Mds € dès 2026. Décryptage.
Panorama des économies pour 2026

Premier volet : les collectivités territoriales et l’administration centrale
Pacte d’efficience de la dépense publique locale - 6,14 Mds €
Avec 34 955 communes en 2023 dont plus de la moitié, de moins de 500 habitants, l’échelon local est un vaste millefeuille. En plus de cela, des structures intercommunales (SIVOM, syndicats, EPA culturels et Epic locaux) ajoutent une strate de complexité.
Sur un autre plan, les départements et les régions ont des compétences qui se chevauchent. Ainsi, chacun des deux échelons est persuadé de devoir s’occuper de la culture ou de l’environnement. Ces deux couches entrainent immanquablement des frais supplémentaires.
Les propositions sur base contractualisée :
- Commencer à fusionner les communes de moins de 500 habitants, rationaliser leurs dépenses (273 M€ ); promouvoir les communes-communautés (avec des incitations dédiées +73 M€)
- Fusionner les régions et les départements (recentralisation du RSA → allocation sociale unique, création du conseiller territorial) (625 M€)
- Baisser les dépenses de fonctionnement des communes (+ 500 habitants) et des intercommunalités via des Pactes de Cahors de 2ème génération.
- Pactes de Cahors de 2ème génération: l'ensemble des collectivités territoriales y seraient éligibles hors AIS (allocations individuelles de solidarité) et action sociale. L'ensemble des dépenses réelles sont concernées y compris d'investissement en y intégrant les budgets annexes de façon à pouvoir piloter la dépense des APUL dans leur ensemble : à la clé, 6 Mds € d'économies. En 2024 les dépenses locales ont dérivé de +7,7 Md€ sur le champ des APUL par rapport à leur programmation initiale. Entre 2024 et 2025 les dépenses des APUL devraient augmenter de +16 Md€ soit plus du double. Le processus de contractualisation devrait permettre de définir pour chaque collectivité retenue (BG dépenses réelles de fonctionnement >40 millions d'euros soit 500 collectivités) des objectifs individualisés avec les préfets et la DGCL, afin de répartir les efforts en fonction de l'historique des dépenses des collectivités concernées. L'évolution des dépenses des APUL est prévue à 3,2% dans le cadre du RAA 2025 contre une inflation à 1,4%. Les dépenses de fonctionnement de 1,8% à cause du mécanisme de lissage déjà en place pour les collectivités et de +6,6% en investissement. Réaliser un effort zéro volume reviendrait à faire décélérer la dépense en 2026 à hauteur de l'inflation anticipée soit 1,4%. Les recettes économisées, seraient capitalisée par les collectivités dans un fonds en cas de retournement conjoncturel, ou utilisé pour amortir leur endettement de façon anticipée.
Par ailleurs des mesures complémentaires seraient prises:
- Extension de l’obligation d’amortissement des biens des APUL (0,314 Md €)
- Limitation des possibilités de neutralisation budgétaire (0,42 Md €)
- Réduction des transferts fiscaux et gel des VLC en fonction d’objectifs prédéfinis (1,7 Md€)
- Non-remplacement des départs à la retraite dans la FPE (0,327 Mds €) et FPT (363 M €)
Revoir les missions publiques des opérateurs de l’Etat - 3,15 Mds €
Les opérateurs de l’Etat, au nombre de 434, sont des organismes autonomes auxquels on a confié une mission de service public. Ils disposent d’une autonomie budgétaire et existent sous différents statuts juridiques : établissements publics administratifs, EPSCP, groupements d’intérêt public, associations, etc. Les coûts d’agenciarisation engendrent des dépenses importantes qu’il convient de diminuer en agissant sur trois volets :
- Révision du périmètre des opérateurs : 6,94 en 4 ans, 3,15 Mds € en 2026
- Fusionner les opérateurs dont les compétences concernent le même champ (1,167 Mds € en quatre ans)
- Supprimer des opérateurs (1,887 Mds € en quatre ans)
- Privatiser des opérateurs (3,890 Mds € en quatre ans)
Transformation de la fonction publique et convergence des conditions d’emploi - 3,08 Mds €
Contrairement à une idée reçue, la fonction publique d’Etat et hospitalière est globalement mieux payée que le secteur privé. Les agents de l’Etat sont rémunérés de façon indiciaire. Leur rémunération brute est calculée en multipliant le point d’indice de la fonction publique par celui qui est propre à chaque agent et qui dépend de l’échelon et de l’ancienneté.
- Gel du point d’indice (2,07 Mds €)
- Instaurer un 2ème et 3ème jour de carence pour réduire l’absentéisme + taux de remplacement 100% → 90% en arrêt maladie (1,3 Mds €)
Deuxième volet : le modèle social
L’allocation sociale unique - 9,44 Mds €
Les prestations sociales non contributives sont nombreuses (plus de 60 aides) et représentent une dépense totale de 138,6 milliards d’euros en 2022. L’allocation sociale unique avait déjà été évoquée par Michel Barnier afin de réduire le nombre d’aides différentes. Cela devrait aussi faciliter les contrôles contre la fraude en centralisant l’aide.
Concrètement :
- Un guichet unique au niveau des communes
- Les services fiscaux de l’Etat sont chargés de déterminer le montant de l’aide
- Le montant est déduit des impôts dus via un crédit d’impôt social
- Suppression des 101 CAF et de leurs 36 000 effectifs
- Instauration d’un plafond de l’aide sociale (1 SMIC)
Poursuivre la réforme de l’assurance chômage - 0,67 Mds
Comme dans de nombreux pays européens, il serait judicieux d’introduire une dégressivité des prestations de chômage. Cela favoriserait le retour à l’emploi.
- Modèle de dégressivité
- 9ème mois : baisse de 5% des indemnisations
- 15ème mois : baisse de 3% des indemnisations
Une nouvelle réforme des retraites - 4,95 Mds €
Le risque Vieillesse est le premier poste de dépenses de la sécurité sociale en France. Lors d’une mission flash, la Cour des comptes a estimé le déficit des retraites à 15 milliards d’euros en 2035 et 30 Mds € en 2045[1]. La forte progression de l’espérance de vie et de la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus en augmentation justifient un report de l’âge de départ. De nombreux pays européens ont déjà indexé l’âge de départ à la retraite sur l’espérance de vie.
- Réforme IFRAP :
- 2026 : 63 ans
- 2027 : 63,5 ans
- 2028 : 64 ans
- 2029 : 64,5 ans
- Gel des indexations des pensions de retraites du public pendant 4 ans
- Moindre indexation des retraites du privé de -0,2 par rapport à l’inflation
Réforme du système de santé - 5,67 Mds €
La dépense courante de santé au sens international (DCSi) s’élève à 325 milliards d’euros en 2023, soit une hausse de 3,5%. Avec 11,6% du PIB, la France est le troisième pays européen qui dépense le plus pour des soins moyens (11ème place du classement EHCI).
- Des économies à l’Hôpital (qui représente en France 4,05% du PIB et 3,46% dans l’UE)
- Ouvrir les nouveaux recrutements sous contrat dans l’objectif d’accorder un statut d’Espic (établissements de santé privés d'intérêt collectif) aux hôpitaux
- Favoriser une meilleure spécialisation des établissements
- Développer la chirurgie et les soins ambulatoires
- Alignement des tarifs public/privé
- Responsabiliser les usagers
- Réformer les ADL : assujettir les indemnités journalières à 50% à l’IR ; introduire un ticket modérateur de 2 points avec un plafond de 1 000 € ; recentrer les critères de sévérité des ADL aux cas les plus graves et coûteux ; instauration d’un plafond de franchises de 100 €
- Rationaliser les transports : créer une plateforme publique de coordination des trajets ; augmenter le recours au transport partagé ; Déplafonner la franchise médicale sur les transports en ADL ; confier à une structure comme les URPS la décision de rembourser ou non un service
- Baisser la charge administrative
- Instaurer des standards de coûts de gestion par bénéficiaire
- Mettre en concurrence les assureurs dès le premier euro et permettre aux assurés de choisir librement la caisse d’assurance maladie à laquelle ils veulent s’affilier
- Supprimer les Agences régionales de santé qui ont d’importantes dépenses de fonctionnement. L’objectif est de les intégrer directement au sein des collectivités régionales pour leur octroyer un pouvoir décisionnel et non plus simplement consultatif.
- Relever le plafond du régime micro BNC pour alléger la fiscalité sur les médecins libéraux et lutter contre les déserts médicaux
- Développer le numérique pour réduire les soins inutiles, lutter contre la fraude
Enfin, l’idée de créer France Recouvrement en fusionnant la DGFiP et URSSAF a déjà été évoquée mais à horizon 2030. L’idée est de n’avoir qu’un seul organisme en charge du recouvrement des prélèvements obligatoires, qu’ils soient sociaux ou fiscaux, comme c’est le cas dans les pays comparables. L’économie estimée est de 0,06 Mds €.
Troisième volet : autres réformes
Réduire les subventions aux associations
Les subventions versées aux associations augmentent constamment et représentent une dépense totale (Etat, collectivités, sécurité sociale et opérateurs) de 24,2 milliards d’euros en 2022. L'IFRAP propose la réduction de 10% des aides aux associations pour économiser 0,851 Mds €.
La formation en alternance
Une formation en alternance, qu’elle soit en apprentissage ou en contrat de professionnalisation, permet aux étudiants d’être salariés pendant leur période d’études. Cela concerne tous les diplômes, du CAP/BEP en nouveau 3, au Doctorat en niveau 8. Les apprentis qui du supérieur représentent 60,8% des contrats d’apprentissage. Ce dispositif, bien qu’ingénieux est très coûteux. En 2025, le gouvernement a réduit la prime de 6 000 € à l’embauche à 2 000 € pour les grandes entreprises et à 5 000 € pour les entreprises de moins de 250 salariés. Cela doit permettre d’économiser 1,2 Mds €. La Fondation IFRAP propose de supprimer cette prime pour les diplômés du supérieur pour économiser 3,8 Mds €.
En parallèle, le recentrage de la formation professionnelle sur les formations diplômantes et qualifiantes, avec une mise à jour plus rapide des catalogues de formation permettrait une économie de 1 à 2 Mds €.
[1] https://www.vie-publique.fr/en-bref/297429-retraites-un-deficit-de-30-milliards-deuros-en-2045-cour-des-comptes#:~:text=La%20Cour%20des%20comptes%20a,milliards%20d'euros%20en%202045.