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Derrière les 10 milliards "d'économies", une hausse de 6 milliards d'impôts ?

Les assises des finances publiques viennent de se tenir le 19 juin 2023 avec à la clé plusieurs annonces de Bruno Le Maire ministre de l’Economie et des finances s’agissant de la méthode employée pour « tenir » la trajectoire des finances publiques transmise à la Commission européenne dans le cadre du programme de stabilité 2023-2027. Les "économies" identifiées seraient de 10 milliards d’euros sans qu’aucune liste exhaustive ne soit connue à date. On peut affirmer qu'elles seront bien moindres. D’ores-et-déjà certaines sont en réalité des augmentations d’impôt comme le ciblage des niches fiscales qualifiées de « brunes » car peu écologiques, ou la recentralisation de certaines ITAF (impôts et taxes affectées) au détriment des opérateurs. Le programme de stabilité publié fin avril fait état d'une baisse des crédits d'impôts de 6 milliards d'euros entre 2023 et 2025 (-0,2 point de PIB), débouchant sur une hausse d'impôts d'un même montant. Attention à ne pas confondre, encore une fois, suppression de niches fiscales (ce que Bercy appelle des baisses de la dépense fiscale) qui sont en fait des hausses d'impôts avec des économies sur les dépenses publiques.

 

Reste que les économies à trouver sur la sphère sociale sont très modestes alors que les ASSO représente plus de 50% de la dépense publique et que le partage des économies à réaliser avec les collectivités locales reste également en chantier. Les pouvoirs publics cherchent à dégager du cash en recettes comme en dépenses, mais l’on ne voit pas poindre de réformes systémiques ou structurelles pour rendre ces gains pérennes.

La fin progressive des mesures de soutien énergétique devrait freiner la dépense publique

Premier élément pour ralentir la dépense, la fin des mesures exceptionnelles de soutien énergétique : le bouclier énergétique sur le gaz devrait prendre fin en juin 2023, tandis que celui sur l’électricité devrait définitivement s’éteindre fin 2024. Plus largement le ministre des Finances a annoncé l’arrêt de la politique du chéquier concernant des mesures ponctuelles de soutien du pouvoir d’achat.

Cette décroissance est d’ores-et-déjà visible dans la trajectoire présentée dans le cadre du Programme de stabilité 2023-2027 :

 

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

2026

2027

Dépenses publiques

hors CI. % Pstab 2023

54,0

53,8

60,5

58,4

57,5

56,0

55,1

54,6

54,0

53,5

Dépenses publiques

en valeur

1 279,4

1 309,9

1 395,0

1 461,0

1 519,0

1 574,0

1 615,3

1 656,7

1 692,6

1 732,2

dont dépenses

exceptionnelles

 

 

72,6

73,5

50,2

35,4

1,6

1,6

1,6

1,6

dont dépenses courantes

1 279,4

1 309,9

1 322,4

1 387,5

1 468,8

1 538,6

1 613,8

1 655,1

1 691,0

1 730,6

Evolution des dépenses

totales

 

2,4%

6,5%

4,7%

4,0%

3,6%

2,6%

2,6%

2,2%

2,3%

Evolution des dépenses

courantes

 

2,4%

1,0%

4,9%

5,9%

4,8%

4,9%

2,6%

2,2%

2,3%

Source : Programme de stabilité 2023-2027, calculs Fondation iFRAP juin 2023.

Il est possible de vérifier le fort ralentissement des dépenses publiques totales projetée à compter de 2024, qui retrouveraient alors une évolution proche de celle d’avant crise (2019). En revanche hors mesures exceptionnelles, la dépense ne fléchirait qu’à compter de 2025, ce qui suppose des mesures complémentaires (voir infra).

La sécurisation des finances publiques 2023 via annulation de crédits gelés (11,8 Mds €)

Par ailleurs, Bruno Le Maire a également annoncé l’annulation d’une partie des crédits reportés sur 2023 en provenance des années antérieures et de crédits gelés sur décision du Premier ministre Elisabeth Borne[1]. Un gel des crédits de 5% a été décidé par l’Exécutif hors dépenses de personnel appliqué au seul Budget de l’Etat, soit un total de 10 milliards d’euros, auquel s’est ajouté un surgel de 1% (portant le total à 6%) à compter du 23 mai 2023 représentant 1,8 milliard d’euros supplémentaires, afin de sécuriser l’atteinte d’un déficit public en exécution de 4,9% en 2023, dont un déficit de l’Etat de 5,5%[2] pour un déficit budgétaire de -164,9 Mds € voté en LFI[3]. Soit une enveloppe potentiellement annulable de 11,8 milliards d’euros.

Des mesures d’économies pérennes pour ralentir les dépenses ordinaires à compter de 2024/2025

Enfin des économies supplémentaires « et pérennes » ont été identifiées par l’intermédiaire de « revues des dépenses » menées par les corps d’inspection, ainsi que par l’implication de l’Assemblée nationale (« mission d’information » LOUWAGIE/REDA[4]). Le montant d’ores-et-déjà connu devrait dépasser les 10 milliards d’euros d’économies[5] (peut-être 12 milliards[6]). Cette revue des finances publiques qui devrait être publiée fin juin est structurée autour de 3 axes :

  • Responsabilisation des acteurs en matière de soins : sur ce volet deux chantiers sont proposés :
    • Celui des arrêts maladie : en 10 ans les arrêts maladies sont passés de 6,4 millions à 8,8 millions en 2022, pour une dépense de 16 milliards d’euros. Une concertation devrait déboucher sur l’adoption d’outils pertinents pour limiter l’absentéisme au travail dans le cadre du PLFSS 2024. Souhaitons qu'ils ne consistent pas à en faire payer une partie plus importante aux employeurs du secteur privé. Pour rappel nous avions montré en 2018 que le coût des arrêts maladies dans le public était aussi important que dans le privé soit 10 milliards d'euros, et même 12 milliards pour le secteur public d'après une mise à jour de la Cour des comptes (2021).
    • Celui des frais de santé : le gouvernement veut faire évoluer le périmètre des dépenses prises en charges par le patient et par la collectivité. Une meilleure répartition des charges devrait permettre d’augmenter le reste à charge et de rendre plus difficile les dépenses de facilité et de confort en matière de soins.
  • Trois politiques publiques jugées prioritaires : en matière de logement, de travail et s’agissant des opérateurs de l’Etat :
    • S’agissant du logement : l’annonce est faite de la fin du dispositif Pinel (baisse de niche fiscale) et le recentrage du PTZ là où il sera le plus nécessaire. Plus de 2 milliards d’euros sont à attendre de cette remise à plat (en recettes supplémentaires) ;
    • S’agissant du travail : le gouvernement envisage de baisser les dépenses liées à l’emploi en réduisant le coût des aides à l’apprentissage, au comte personnel de formation (avec introduction d’un ticket modérateur sur les formations et des baisses de subventions).
    • S’agissant des opérateurs de l’Etat (OPE) : le Gouvernement veut limiter la trésorerie excédentaire des opérateurs de l’Etat qui a bondi de 35 milliards à 65 milliards d’euros en 4 ans. Le Gouvernement s’engage à une transparence totale sur leurs comptes, ainsi qu’une contractualisation de leurs recettes et de leurs dépenses et la réouverture du bien fondé de leurs taxes affectées. Les ITAF ne devant pas constituer « des rentes aux frais du contribuable. » Il s'agit d'une très bonne initiative qui devrait s'étendre à l'ensemble des ministères et des administrations publiques. Encore faudrait-t-il savoir ce que recouvre ce devoir de transparence: Bilan, compte de résultat, budget prévisionnel, RSU (rapport social unique) etc. Une transparence identique serait souhaitable s'agissant de l'ensemble du secteur public local (et notamment des ODAL), mais là encore nous en sommes toujours loin.
  • Le verdissement de la fiscalité : il s’agit de supprimer les niches fiscales assises sur les énergies fossiles (dépenses brunes). Cela va passer par la réduction des dépenses fiscales sur les carburants (tarifs réduits d’accise sur les transports routiers, mise en extinction du GNR agricole et non agricole). Rien que sur le GNR non agricole la dépense fiscale est évaluée à 1,115 milliards d'euros). L’ensemble de ces avantages fiscaux sera supprimé sur 4 ans avec un calendrier jusqu’en 2030 et des accompagnements spécifiques pour ces professions afin de sécuriser ces transitions. Les baisses ne devraient donc intervenir qu’à compter de 2026…

Enfin l’association des collectivités territoriales au redressement des comptes publics : le ministre a en effet affirmé vouloir développer un partenariat d’égal à égal entre l’Etat et les collectivités territoriales dans le respect du principe de libre administration :

  • L’auto-assurance des recettes des collectivités : ce qui devrait permettre d’autoriser les collectivités à constituer des réserves de trésorerie en cas d’excédents et de les inciter à les mobiliser pour faire face à des aléas futurs (sans recours systématique à l’Etat). L'objectif pourrait être avant tout bancaire en limitant les stratégie de type trésorerie base zéro, ce qui devrait augmenter la centralisation des fonds au Trésor et limiter l'intervention de l'Etat en tant que garant en dernier ressort. 
  • Mise en place d’un Haut Conseil des finances publiques locales : qui sans recouper les compétences du CFL devrait permettre autour du Ministre de l’Economie et des finances d’observer la dépense publique locale sur le long terme et de définir des stratégies et des choix collectifs avec les acteurs des dépenses locales (élus locaux etc.).

Des angles morts subsistent

Les 1ères assises des finances publiques débouchent donc sur une 1ère série de revues de dépense, démarche qui se veut à la fois systématique et pérenne pour la préparation de l’ensemble des lois de finances à venir, et adossées au Printemps de l’évaluation devant le Parlement dans le cadre de l’exécution budgétaire de l’année passée.

Sur le fond, la démarche se veut partenariale mais encore peu documentée à date. L’ensemble de la sphère publique semble couverte puisque l’on dispose de mesures touchant les dépenses sociales, les dépenses de l’Etat et celles des collectivités territoriales.

  • Cependant, les suppressions de niches fiscales « brunes » s’apparentent en réalité à des augmentations d’impôt et non à des baisses de dépenses ;
  • S’agissant des collectivités territoriales, le Gouvernement essaie de ne pas « contractualiser » tout en mettant en place un Haut Conseil des finances locales, dont on ne voit pas encore bien l’articulation par rapport au CFL et au HCFP (Haut Conseil des finances publiques) hébergé par la Cour des comptes. Il s’agirait d’un organisme de pilotage palliant l’absence de loi de financement locale qui aurait dû faire l’objet d’une modification de la LOLF (avec des dépenses indicatives). De plus le principe de « relation paritaire » entre les collectivités et l’Etat n’a constitutionnellement aucun sens, et ne se vérifie d’ailleurs pas s’agissant de la politique salariale dans la Fonction publique. Les élus locaux étant mis en demeure d’intégrer les mesures de revalorisations déterminées par le Ministre de la Fonction publique, sans concertation. Enfin, on ne relève pas de volontarisme en matière de consolidation des comptes locaux et de transparence de leurs comptes au même niveau que ceux désormais requis envers les opérateurs. 
  • Concernant les opérateurs, le débat sur la transparence est important mais incomplet, puisque le champ des opérateurs est toujours plus étroit que celui des ODAC qui seuls sont lisibles sur le plan des comptes publics en comptabilité Maastrichienne. De ce point de vue, la remise à plat des taxes affectées fait penser à l’approche du plafonnement de ces mêmes taxes proposé par François Hollande, tout comme la surveillance de leur trésorerie. La question de leur éventuelle suppression/rebudgétisation/fusion abordée par la mission d’information LOUWAGIE/REDA ne semble pas avoir été retenue, alors qu’elle était très pertinente.
  • Sur le champ des ASSO, seules les dépenses de santé à date sont visées… mais pas toutes, par exemple les transports médicaux dont la rationalisation se fait encore attendre. Par ailleurs le dernier rapport du COR semble montrer dans son scénario central que l’équilibre du système de retraites ne serait pas acquis en 2030 (-6 milliards d’euros[7]). Cela laisse entendre que d’autres éléments d’ajustement devraient intervenir et/ou que les gages accompagnant la réforme ont été trop généreux.

Sur un plan plus structurel, les Assises des finances publiques ne débouchent pas sur la nécessité pourtant relevée par Pierre Moscovici Premier président de la Cour des comptes, d’aller plus loin dans les économies afin de sécuriser la trajectoire des finances publiques le plus rapidement possible (car les projections macroéconomiques sous-jacentes sont très favorables[8]). Ce qui fait d'ores-et-déjà tiquer l'agence S&P. Il manque toujours la mise en place d’un frein à l’endettement sur le modèle Suédois, Allemand ou Suisse. Par ailleurs la question de la certification des comptes des collectivités territoriales n’est pas abordé, elle pourrait faire l’objet d’un suivi par le nouveau Haut Conseil des finances locales, tout comme le déploiement d’une comptabilité analytique harmonisée. Mais en la matière, rien n’est pas le moment présenté. Bref, l’exercice tente plus de mettre en musique la trajectoire du Pstab 2023-2027 avec les économies nécessaires à sa réalisation alors même qu’elles devraient figurer dans le PNR (Plan national de réforme) joint. Il reste encore à franchir quelques degrés en matière de rigueur, pour que le séquençage des réformes suive la temporalité du parcours budgétaire[9].


[1] https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/pour-tenir-sa-trajectoire-le-gouvernement-va-geler-1-supplementaire-des-credits-du-budget-2023-1945891

[2] https://www.budget.gouv.fr/files/uploads/extract/2023/PSTAB%202023%20-%20web.pdf#page=34

[3] Voir par exemple la situation budgétaire de l’Etat (SBE), https://www.budget.gouv.fr/documentation/publications-de-la-direction/situation-mensuelle-du-budget-de-letat-smb/smb-2023-0

[4] Rapport d’information n°1329, du 7 juin 2023 sur la rationalisation de notre administration comme source d’économies budgétaires.

[5] Le rapport Louwagie/Reda permettant d’identifier près de 2,983 milliards d’euros à horizon 2030, soit 2,566 milliards en 2027.

[6] https://www.leparisien.fr/economie/finances-publiques-lexecutif-veut-trouver-au-moins-12-milliards-deconomies-dici-2024-19-06-2023-LXFCJLYBUNGB5N7JOPSFGL5Y4M.php?ts=1687190740555

[7] https://www.liberation.fr/economie/malgre-la-reforme-le-systeme-de-retraites-sera-toujours-en-deficit-en-2030-selon-le-cor-20230619_V2P5FWPATZDPXFRYDUOALAVSNY/

[8] https://www.lepoint.fr/economie/finances-publiques-comment-bercy-veut-reduire-le-deficit-19-06-2023-2525093_28.php

[9] https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/finances-publiques-la-cote-dalerte-est-atteinte-1953644