Baromètre EY de l’attractivité 2025 : encore moins d'emplois créés par les investissements étrangers

Le Baromètre EY 2025 sur les investissements directs étrangers (IDE) en Europe, avec un focus sur la France, a été publié dans le contexte de la réunion Choose France, organisée par le Président de la République. Le Baromètre EY tempère l'enthousiasme soulevé par cette réunion durant laquelle près de 20 miliards d'euros de projets d'investissements étrangers ont été annoncés. On note un recul des IDE en France et en Europe. La France compte -14 % de projets (1025 en 2024) et -27 % d’emplois créés (29000). Le Royaume-Uni et l’Allemagne suivent la même tendance, l’Allemagne étant plus touchée. À l’inverse, les projets d’implantation aux États-Unis sont en croissance notamment grâce à l’Inflation Reduction Act et à la perspective de l’augmentation des droits de douane et de baisses d’impôts promis par le nouveau président américain. Surtout on constate que même si la France reste leader dans les IDE industriels, les projets sont en forte baisse (-22%) et sont plus souvent des extensions, nettement moins créatrices d’emplois (33 emplois en moyenne) que dans des pays comme l'Italie ou l'Espagne (respectivement 182 et 180 emplois par investissement). Une situation qui souligne les handicaps persistants en matière de coût du travail, de coût de l’énergie, de manque de foncier disponible et de poids réglementaire, éléments sur lesquels le gouvernement doit sérieusement contre-attaquer.
Le nouveau baromètre EY de l’attractivité 2025 vient d’être publié. Il s’agit de la première partie d’une étude régulièrement mise à jour depuis 1997 et qui dénombre les projets d’investissements étrangers dans différents pays d’Europe, leurs secteurs d’activités et le nombre d’emplois créés. Cette étude fait référence et tombe à pic à l’heure de la réunion Choose France que va présider Emmanuel Macron. Précisons que cette étude utilise une méthodologie différente de celles du gouvernement ou encore de la Banque de France (voir encadré méthodologique).
L’étude pointe un recul des investissements étrangers en France : -14% et -27% d’emplois créés avec respectivement 1025 projets en 2024 pour 29000 emplois créés. Les deux autres grandes économies européennes, à savoir le Royaume-Uni et l’Allemagne, suivent la même tendance, plus fortement encore pour l’Allemagne.
Nombre de projets d’investissements étrangers annoncés en France entre 2015 et 2024 et nombre d’emplois créés
La France connait un recul plus important que la tendance européenne :
Nombre de projets d’investissements étrangers annoncés en Europe (UE27 + 18 autres pays de l’espace européen)
entre 2015 et 2024 et nombre d’emplois créés
L’évolution française et européenne contraste avec le dynamisme des projets d’investissements étrangers outre-Atlantique.
Evolution du nombre de projets d’investissement étrangers greenfield dans plusieurs régions du monde entre 2023 et 2024
Cette évolution est à la fois la conséquence de l’Inflation Reduction act lancé par Joe Biden et des mesures annoncées/initiées par son successeur à la maison blanche en matière de droits de douane et de promesses de baisses d’impôts. Ces deux éléments sont susceptibles de profondément modifier les chaînes de production et d’approvisionnement selon le rapport. Mais ces bouleversements peuvent être aussi le résultat de la perte de compétitivité du site européen décrit dans le rapport de Mario Draghi.
Ainsi le rapport souligne que les investissements étrangers en Europe ont diminué pour la deuxième année consécutive et sont désormais à leur niveau le plus bas depuis neuf ans : en particulier les projets des investisseurs américains en Europe ont diminué de 11 % par rapport à 2023 et de 46 % par rapport à 2021.
Principaux pays d’accueil des investissements étrangers en Europe en 2024, en nombre de projets
Dans la continuité des tendances observées ces dernières années, le classement n’est pas particulièrement bouleversé entre pays d’accueil des investissements étrangers. On note la progression de l’Espagne et de l’Italie.
D’ailleurs, le rapport souligne que l’Espagne, la Pologne et l’Italie ont vu leurs investissements progresser de 15 %, 13 % et 5 % respectivement grâce à des stratégies attractives pour accueillir des projets intenses en emplois, et aussi grâce à la disponibilité du foncier, la réduction des délais administratifs, et un environnement plus réactif. Surtout ces économies bénéficient d’un avantage comparatif en matière de coût de la main-d’œuvre - en 2024, le coût horaire de la main-d’œuvre dans l’industrie manufacturière s’élevait à 46,3€ en France, contre 15,8€ en Pologne, 31,9 € en Italie et 27,5€ en Espagne - et ils continuent à bénéficier du soutien des fonds européens pour cofinancer des infrastructures clés.
Résultats sectoriels
Principaux pays d’accueil des IDE industriels en Europe en 2024, en nombre de projets
Si la France est en tête en matière d’IDE dans ce rapport, c’est particulièrement vrai en matière industrielle. Et ces projets ont l’avantage d’être disséminés sur tout le territoire. Le rapport souligne cependant que ce bon résultat doit être nuancé, car les projets industriels sont moins souvent de nouveaux projets (dits greenfield) et plus souvent des extensions et ils créent moins d’emplois en moyenne que les investissements industriels ailleurs en Europe[1].
Des différences que le cabinet EY explique par des délais d’implantation plus longs, un accès au foncier plus limité, et un écart de compétitivité.
En 2024, les implantations et extensions d’usines sont en net recul (-22 % vs. 2023). Dans le même temps, les restructurations et fermetures d’usines par des entreprises étrangères se sont multipliées (+22 % vs. 2023). Cet « effet ciseau » est encore plus prononcé sur l’emploi : les industriels étrangers ont généré 74 % d’emplois en moins en France qu’en 2023.
Selon le cabinet Trendeo, les entreprises étrangères auraient détruit davantage d'emplois industriels en France qu'elles n'en auraient créés en 2024. Une tendance qui s'explique par « l'écart de compétitivité avec les États-Unis et l'Asie, notamment en raison des coûts énergétiques, ainsi que par le ralentissement de la demande dans l’Hexagone et dans le reste de l’Europe ».
Le phénomène est marqué dans l’industrie pharmaceutique, où le nombre de projets et les créations d’emplois ont reculé en 2024. Selon EY ce recul s’explique par les incertitudes liées au budget de la Sécurité sociale, la faible compétitivité de la France sur les produits à faible valeur ajoutée, ainsi que le recours croissant à la sous-traitance. En Europe, c’est l’Allemagne et l’Irlande qui ont réussi à capter les nouveaux projets pharmaceutiques (notamment l’américain Eli Lilly et le japonais Daiichi Sankyo).
Dans le secteur des logiciels et des services IT, la France reste distancée par le Royaume-Uni qui a attiré 161 entreprises contre 129 en France (3 600 emplois). De même en ce qui concerne l’agroalimentaire qui a généré 286 projets d’implantation ou d’extensions en Europe pour 20 000 emplois. La France et le Royaume-Uni ont attiré près de la moitié de ces projets, captant 20 % des créations de postes.
C’est dans l’intelligence artificielle et la recherche quantique que la France arrive en tête en Europe pour les investissements étrangers. Notre pays a attiré 41 investissements étrangers dans le secteur de l’intelligence artificielle, dont 5 data centers, principalement portés par Microsoft (4/5), destinés à renforcer ses infrastructures IT, en particulier pour l’IA. D'autres annonces (très significatives) concernant les data centers ont été faites en février 2025 à l'occasion du Sommet de l'IA. Le rapport souligne qu’à titre de comparaison, le Royaume-Uni a accueilli 27 projets liés à l’IA la même année. D’après le rapport, les atouts de la France sont la qualité de ses infrastructures IT, l’excellence de ses talents et la solidité de son écosystème IA, déjà bien structuré.
Dans le secteur de l’énergie, 74 entreprises étrangères ont fait le choix de la France en 2024 et certaines d’entre elles contribuent à la transition énergétique de l’Hexagone. Là aussi la France est en tête devant le Royaume-Uni et l’Allemagne. Ces projets ont généré 2000 emplois portés par l’objectif d'atteindre 33 % d’énergies renouvelables dans sa consommation finale d’énergie d'ici 2030.
Comme chaque année, le rapport reprend à partir des questionnaires de chefs d’entreprises les forces et les faiblesses du site France
Les forces du site France restent les mêmes : un marché commercial parmi les plus importants, une place centrale géographiquement et des infrastructures de qualité, une disponibilité et une qualité de la main-d’œuvre, enfin un potentiel d’innovation et de R&D. Toutefois, le rapport souligne que pour la deuxième année consécutive, le nombre d’implantations et d’extensions de centres de R&D en France recule, avec une baisse de 15 % en 2024 par rapport à 2023. Les incertitudes concernant le maintien du Crédit d’impôt recherche (CIR) ont probablement pesé sur les choix d’investissement des entreprises étrangères.
En matière industrielle, parmi les principales faiblesses citées, le coût de la main-d’œuvre arrive largement en tête. D’autres faiblesses sont aussi citées : le coût et la disponibilité des terrains industriels, la facilité d’obtention des permis de construire et des autorisations et le coût de l’énergie. On doit reconnaître que le gouvernement a cherché à agir sur le coût de la main-d’œuvre avec la politique de l’offre même si les efforts consentis sont insuffisants à différencier la France des autres pays européens potentiellement ouverts à des projets d’investissements étrangers. Mais le rapport souligne que cet indicateur n’évolue pas depuis quelques années et devient un des points les plus critiques de notre baromètre, particulièrement dans un contexte de marges érodées dans l’industrie et dans les services aux entreprises.
Sur les autres sujets, on est frappés de voir que la France a eu plutôt tendance à complexifier : notamment avec la mise en œuvre de la loi Climat et Résilience et son fameux objectif de zéro artificialisation nette qui raréfie les terrains disponibles pour des implantations industrielles. On a vu que l’Espagne, l’Italie ou la Pologne mettent en avant les mises à disposition de foncier pour attirer des investissements étrangers.
Du côté du coût de l’énergie, si les turbulences de la période 2022-2023 semblent derrière nous, le prix de l’énergie et son caractère décarboné qui étaient des atouts français ne parviennent plus à séduire les investisseurs. Ces critiques sont adressées à la France et plus largement à l’Europe. Le nouveau PDG d’EDF a promis de s’attaquer à ce sujet, mais les ambitions européennes en matière de développement d’énergies renouvelables risquent de produire de nouvelles turbulences sur le prix et la fiabilité de l’électricité.
On note aussi un taux de robotisation et d’automatisation insuffisant ce que la Fondation IFRAP avait déjà souligné.
Plus largement (sans se limiter aux implantations industrielles), on constate que simplifier et réduire la fiscalité sont jugées comme des priorités absolues avec le soutien aux industries stratégiques. Et on note que les chefs d’entreprises interrogés mentionnent entre autres la réduction du poids de la dette publique et la stabilité politique comme des efforts à intensifier pour soutenir une économie en crise. Ces éléments participent à la confiance dans le site France, confiance qui s’est sans doute érodée avec les difficultés budgétaires que traversent encore notre pays. Le rapport EY conclut qu’en octobre 2024, au cœur des discussions sur le futur budget, 49% des investisseurs étrangers portaient un regard critique sur l’évolution récente de l’attractivité de la France. Aujourd’hui, ils ne sont plus «que» 23% à estimer que l’attractivité de l’Hexagone s’est dégradée au cours des douze derniers mois. Mais l’absence de perspectives économiques résolument positives et le durcissement du climat international devraient à nouveau peser sur les investissements de 2025.
Depuis 1997, le EY European Investment Monitor (EIM) recense les annonces d’implantation ou d’extension étrangères dans 45 pays européens, y compris en Turquie. En France, selon l’INSEE, 18 800 entreprises sont sous contrôle étranger (1 %), emploient 2,3 millions de personnes et contribuent à 17 % du PIB, 22 % de la R&D privée et 35 % des exportations industrielles. Le recensement prend en compte les annonces publiques et fermes d’investissements porteurs de créations d’emplois et les vérifie. Ces flux d’implantation et d’extension se situent dans une très grande variété d’activités et de secteurs, mais en excluant certains tels que les hôtels, les surfaces de vente ou de restauration, dont la logique d’implantation relève de facteurs d’attractivité certes intéressants, mais structurellement différents des implantations industrielles, décisionnelles ou technologiques. D’autres méthodes peuvent être utilisées pour le recensement de ce type de projets. Ainsi, celle de Business France intègre également les investissements de décarbonation, de digitalisation, de sauvegarde et de partenariats technologiques, y compris lorsqu’ils ne génèrent pas d’emplois. Par ailleurs, la base de données de Business France comprend, en plus des emplois créés, ceux qui ont été « maintenus » ainsi que les créations et les sauvegardes d’emplois projetées sur trois ans. À l’inverse, le EY European Investment Monitor se concentre sur les données au démarrage des projets, et ce de la même manière dans tous les pays européens (44 en 2024). |
[1] Les emplois créés sont ceux qui sont renseignés (environ 80% du total des projets)