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Augmentation du pouvoir d’achat, qui a raison ?

Le Premier ministre Edouard Philippe a communiqué le 7 mai 2019 sur une augmentation du pouvoir d’achat des ménages de 850 euros en 2019, reprenant les chiffres publiés par l’OFCE dans sa note du 16 avril 2019. Il ajoutait même que près de 10 milliards d’euros seraient redirigés vers les ménages cette année. Une information cohérente avec la publication du Programme de stabilité 2019-2022 qui chiffrait les principales mesures fiscales en faveur des ménages, nettes des hausses à 10,6 milliards en 2019.

Un problème de cohérence des chiffres présentés 

Or ces éléments ne sont pas parfaitement cohérents entre eux. Tout d’abord l’OFCE table sur une croissance pour 2019 de 1,5% alors que le gouvernement retient seulement 1,4 (et même peut-être en dessous si l’on tient compte des éléments publiés par l’INSEE (0,3% de croissance au premier trimestre, or il faut 0,4%/trimestre pour atteindre 1,4% de croissance annuelle)). On dira que cet élément est de l’épaisseur du cheveux… sans doute, mais il n’y a pas que lui.

L’OFCE retient « une forte croissance du pouvoir d’achat de +2,5%), or le PNR[1] (le programme national de réforme publié conjointement avec le Pstab 2019-2022[2]) n’affiche, lui, qu’une croissance prévisionnelle de +2% du pouvoir d’achat. La différence commence à être assez significative.

L’OFCE retient « un effet des mesures socio-fiscales distribuées aux ménages de près de 12 milliards d’euros sur l’année (+0,8 point de revenu disponible brut) et la hausse significative du salaire réel (1,5% en 2019 après 0,3% en moyenne sur la période 2017-2018) liée notamment à la prime exceptionnelle défiscalisée pour les salariés et au ralentissement de l’inflation. » En clair les 2,5% d’augmentation du pouvoir d’achat se répartiraient en deux parts :

  • +1,9 point par unité de consommation, lié à l’impact des mesures socio-fiscales, soit 440 euros/ménage ;
  • +0,6 point par U.C., lié à la prime défiscalisée et au ralentissement de l’inflation, ce qui permettrait d’atteindre +410 euros/ménage.

On remarquera au passage qu’il n’y a pas de linéarité entre la décomposition de l’augmentation du pouvoir d’achat par U.C. et les effets sur le revenu net des ménages. Mais le plus intéressant revient à l’effet des 440 euros résultant de la baisse des prélèvements obligatoires nets pour les ménages. Une mesure qui d'ailleurs reste provisoire, car comme tout le Pstab, elle ne tient pas compte des nouvelles mesures du Président à l'issue du Grand débat national (dont les 5 milliards de baisse d'IR), mais celles-ci devraient porter principalement sur 2020.

Une mesure discutable et discutée des gains socio-fiscaux pour les ménages

En effet, alors que le chiffrage des gains socio-fiscaux pour les ménages sont évalués à 10,6 milliards dans le programme de stabilité pour 2019, la commission des finances de l’Assemblée nationale elle-même a tenu à remettre les choses au point.

Le rapporteur Gaël Giraud affirme en effet que « le calcul du gouvernement est conforme aux principes de la comptabilité nationale. Mais ces chiffres doivent être re-traités pour neutraliser certaines opérations neutres ou temporaires, afin d’avoir une vision consolidée de l’évolution des P.O. depuis le début de la législature. »

Et de citer ce qui apparaît clairement dans le tableau ci-contre, la difficulté à bien traiter des effets de la CSG : « Par exemple, la bascule des cotisations sociales sur la CSG entraîne bien, au sens de la comptabilité nationale, une baisse de P.O. en 2019 mais cela s’explique par le fait qu’une fraction de la baisse des cotisations salariales avait été décalée du 1er janvier au 1er octobre 2018. Autrement dit, la baisse de 2019 s’explique par la hausse de 2018. Au global, la mesure est neutre. »

 

Comptabilité A.N.

Comptabilité Pstab 2019

Mesures (milliards d’euros)

2018

2019

2018

2019

Mesurs de baisse "ménages"

-8,8

-7,6

-8,8

-7,6

Remplacement de l'ISF par l'IFI

-3,2

 

-3,2

 

1er et 2ème étape de baisse de la TH

-3,2

-3,8

-3,2

-3,8

Exonération, défiscalisation des heures supplémentaires

 

-3

 

-3

Mise en place du PFU

-1,4

-0,8

-1,4

-0,8

Elargissement du crédit d'impôt pour l'emploi à domicile

-1

 

-1

 

Mesures de hausse "ménages"

3,5

1,9

7,4

-2,9

Hausse de la fiscalité sur les tabacs

0,9

0,5

0,9

0,5

Augmentation des cotisations AGIRC-ARRCO

 

1,1

 

1,1

Hausse de la fiscalité énergétique

2,4

 

2,4

 

Autres

0,2

0,3

 

 

Bascule cotisations CSG

 

 

4,4

-4

Baisse de CSG pour les retraités modestes

 

 

 

-1,6

Prolongation et prorogation du CITE

 

 

-0,3

1,1

Total

-5,3

-5,7

-1,4

-10,6

Source : Pstab 2019-2022 p.33-34 et rapport sur le Pstab 2019-2022, A.N, p.31

La résultante ne se fait pas attendre, les « gains » pour les ménages sont « réhaussés » sur l’année 2018 mais fortement dégradés en 2019 par rapport à l’estimation du gouvernement. Du coup, le « choc » socio-fiscal est divisé par deux.

Ce résultat n’est pas sans conséquence sur l’évaluation de l’effet sur le pouvoir d’achat qui doit en résulter. Il devrait donc être reconsidéré sensiblement pour 2019. Si l’on retient toutefois l’estimation de l’INSEE d’une hausse de 2% pour 2019, il y a fort à parier que celle-ci ne se traduise pas par un gain de 440 euros/ménage comme le prévoit le gouvernement avec ses 11 milliards de mesures, mais pourrait bien plutôt se retrouver inférieure de moitié à l’estimation initiale (sans même, là encore, pouvoir prendre en compte les effets des nouvelles mesures post Grand débat national).


[1] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/8793891e-4d59-4b58-a61f-126dbc5b3d19/files/175afe5d-f2dd-4011-8f3e-a27143628780

[2] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/8793891e-4d59-4b58-a61f-126dbc5b3d19/files/7ca4e709-7e3e-40fd-a19a-6c25ab7f8016