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L’analyse des conséquences économiques du plan de sobriété énergétique

La Fondation iFRAP a évalué l'impact sur notre richesse nationale (PIB) de la mise en place du plan de sobriété énergétique imposant moins 10% de consommation énergétique. Avec deux hypothèses possibles, celle d'une montée en charge progressive du plan de sobriété entre 2022 et 2024 et celle d'une montée en charge immédiate du plan de sobriété avec moins 10% dès 2023. Les résultats sont les suivants : -0,5 point d'impact sur la croissance en 2023 pour la première option et -0,9 point  d'impact sur la croissance en 2023 avec la mise en place immédiate. Etant donné que le gouvernement demande une mise en place immédiate, on comprend qu'on risque de se diriger vers une croissance nulle ou légèrement négative en 2023. 

Les prix des énergies ont très fortement progressé depuis un an sur les marchés de gros (qui concernent plus les entreprises ou les distributeurs d’énergie et que les particuliers, sauf ceux qui ont signé des contrats de type « offre de marché » (environ 1/3 des ménages pour l’électricité et 1/5 des ménages pour le gaz).

Malgré le bouclier tarifaire mis en place, les ménages et les entreprises commencent à pressentir et à craindre la hausse de leurs factures énergétiques dans les prochains mois. Le Gouvernement a certes mis en place, dans le cadre du PLF 2022, un bouclier tarifaire mais celui-ci coûte très cher (déjà 24 milliards d’euros depuis sa mise en place à l’automne 2021)[1] et le Gouvernement craint aussi les ruptures d’approvisionnement ou les pénuries de fournitures de gaz et d’électricité en cas de pic hivernal de consommation, d’où sa décision d’appeler à la sobriété les ménages et les entreprises françaises.

Le Gouvernement a donc récemment proposé un plan de sobriété énergétique consistant à baisser d’ici deux ans de 10% les consommations énergétiques en France par rapport à leur niveau de 2019. Une baisse de 10% du niveau des consommations d’énergie dès cet hiver est présentée comme un moyen d’éviter les ruptures d’approvisionnement.

Plusieurs raisons peuvent justifier cet effort : la facture énergétique ne cesse de progresser du fait de la hausse des prix de l’énergie (gaz, pétrole, électricité). Nous sommes importateurs nets d’énergie et donc dépendants de l’extérieur (46 milliards d’euros de facture énergétique extérieure en 2019, principalement du pétrole et des produits pétroliers (37,2 milliards d’euros) et du gaz (8,6 milliards d’euros)). Nos capacités de production d’électricité sont plus faibles qu’habituellement du fait de l’arrêt de certaines centrales nucléaires et nos réserves de gaz pourraient ne pas suffire en cas d’hiver rigoureux…

Importations énergétiques nettes des exportations de la France (en milliards d’euros)

En 2019, les ménages avaient dépensé 38,7 milliards d’euros en essence/gasoil et 46,5 milliards d’euros en gaz et électricité (+chauffage urbain) soit une facture énergétique de 85,2 milliards d’euros. Les consommations intermédiaires d’énergie des entreprises (hors auto consommation des secteurs producteurs d’énergie) étaient en 2019 de 89 milliards d’euros (47 milliards pour les produits pétroliers et 42 milliards d’euros pour le gaz et l’électricité).

Estimations des consommations intermédiaires de produits énergétiques en 2019

Note :Consommations intermédiaires brutes comprenant l’auto-consommation d’énergie des producteurs d’énergie

Source : Base de données Pégase, Ministère de la Transition écologique

Source : Base de données Pégase, Ministère de la Transition écologique

Les effets économiques prévisibles du plan de sobriété

Réduire de 10% les consommations d’énergies en France par rapport à leurs niveaux de 2019 devrait forcément avoir un effet sur le PIB. L’estimation de cet effet dépend de l’élasticité que l’on retient entre le PIB et la consommation d’énergie primaire. Quelle valeur retenir pour cette élasticité ? Un découplage est-il possible afin de permettre que cette baisse programmée des consommations énergétiques n’ait pas un effet dramatique sur le PIB et l’emploi ?

Le graphique suivant montre les évolutions de la consommation d’énergie primaire en France et du PIB en volume entre 1990 et 2021. Le graphique et les tableaux associés sont presque rassurants puisqu’ils suggèrent une forme de découplage entre la croissance économique et la consommation d’énergie en France depuis quelques années. Entre 1990 et 2005, le PIB et la consommation d’énergie croissent, le PIB un peu plus fortement. L’élasticité du PIB à la consommation d’énergie est alors relativement forte et positive. Depuis 2005, on constate une croissance du PIB avec une tendance à la diminution de la consommation d’énergie finale. Bien entendu, c'est une tendance et l’examen année après année de l’élasticité moyenne du PIB à la consommation d’énergie au cours des 15 dernières années est de l’ordre de 0,13.

En retenant une élasticité de 0,13, cela signifierait que lorsque la consommation d’énergie baisse de 10%, le PIB baisse de 1,3%.

Consommation d’énergie finale et PIB entre 1990 et 2021

Taux de croissance annuel moyens de la consommation d’énergie primaire et du PIB entre 1990 et 2021

Le découplage, en économie et en écologie, est la dissociation entre la prospérité économique (génération de revenu, croissance économique) et la consommation de ressources et d'énergie. Cela se traduit par une tendance à la baisse régulière du ratio d’intensité énergétique.

Au cours des 15 dernières années, de 2005 à 2021, le ratio de la consommation d’énergie primaire au PIB en volume a baissé de 21% c’est-à-dire au rythme de 1,4% par an. Une manière d’interpréter cela est de dire qu’une croissance du PIB de 1,4% par an est compatible avec une stagnation de la consommation d’énergie primaire. Si la croissance est plus importante (1,5% par an par exemple, elle sera associée à une faible croissance de la consommation d’énergie primaire de l’ordre de 0,1%). Si elle est plus faible (1% par an par exemple), elle est compatible avec une baisse de la consommation d’énergie finale.

Nous retenons pour notre chiffrage des effets du plan de sobriété, un taux de croissance du PIB légèrement plus faible que celui qui figure dans le programme de stabilité de juillet 2022 pour les prochaines années (2,5% en 2022, 1,4% en 2023 et 1,6% en 2024) : 0,5% en 2023 et 1,5% en 2024. Le Gouvernement a en effet récemment indiqué qu’il s’attendait à une croissance plus faible pour 2023 et 2024. La Banque de France a elle-aussi publié, tout comme certains instituts de conjoncture, une révision à la baisse des prévisions de croissance pour 2023, laissant entendre qu’une récession était tout à fait possible.

Taux de croissance du PIB en France pour les prochaines années

Nous considérons que l’intensité énergétique continue à décroître au rythme des 15 dernières années. Nous en déduisons ainsi la consommation d’énergie finale associée à cette trajectoire de référence. Celle-ci était de 1 595 TWh en 2021 (contre 1 585 TWh en 2019). Elle baisserait pour s’établir à 1 426 TWh en 2024 (soit une baisse de 10,6% par rapport à 2021).

Puisque le plan de sobriété envisage une réduction de 10% de la consommation d’énergie finale par rapport au niveau de 2019, cela signifie en réalité une baisse de 10,6% par rapport au niveau de 2021 et de 11,4% par rapport au niveau de 2022 de la trajectoire de référence. La chronique de croissance envisagée dans notre scénario (2,6% en 2022, 0,5% en 2023 et 1,5% en 2024) implique un niveau de la consommation d’énergie en 2024 identique à celui de 2019. La tendance décroissante de l’intensité énergétique et la faiblesse du PIB en 2023 permettent une légère décroissance à partir de 2023 des consommations d’énergies (elles auront baissé de 1,5% par rapport au niveau de 2022 avec cette croissance relativement faible et la poursuite de la tendance à la baisse de l’intensité énergétique).

Pour parvenir à atteindre l’objectif ambitieux du plan de sobriété, un effort supplémentaire de baisse de la consommation d‘énergie primaire va donc être nécessaire au-delà de la tendance habituelle, et cet effort aura des conséquences négatives sur l’évolution du PIB. Les effets sur le PIB dépendent également de la manière dont le plan de sobriété sera imposé :

  • Soit de manière progressive : l’objectif est de parvenir en 2 ans, d’ici 2024 à avoir réduit la consommation finale d’énergie de 10% par rapport à son niveau de 2019. La montée en charge des économies d’énergie serait progressive.
  • Soit de manière immédiate avec une exigence de réduction de 10% dès 2023 et même pour les 3 derniers mois de 2022 (ce qui serait justifié par les tensions actuelles sur les prix des énergies et les risques d’approvisionnement et de rupture qui pourraient survenir dès cet hiver 2022/2023).

Nous testons les effets de la mise en place du plan de sobriété énergétique selon les deux modalités (progressive et immédiate).

Montée en charge progressive du plan de sobriété

Nous faisons l’hypothèse que l’atteinte de l’objectif du plan de sobriété, parvenir à une consommation d’énergie finale de 1 426 TWh en 2024 (soit 10% inférieure à celle de 2019), serait réalisée progressivement sur la fin de l’année 2022 (40% de l’objectif atteint), l’année 2023 (70% de l’objectif atteint) et 2024 (100% de l’objectif atteint). Cela implique une baisse de la consommation d’énergie finale de :

  • 67 TWh en 2022 (c’est-à-dire -3,3% par rapport au niveau de 2021 et -4,2% par rapport au niveau de 2022 de la trajectoire de référence hors mise en place du plan de sobriété).
  • 111 TWh en 2023 (c’est-à-dire -4,2% par rapport au niveau de 2022 et -7% par rapport au niveau de 2023 de la trajectoire de référence hors mise en place du plan de sobriété).
  • 159 TWh en 2024 (c’est-à-dire -3,6% par rapport au niveau de 2023 et -10,1% par rapport au niveau de 2024 de la trajectoire de référence hors mise en place du plan de sobriété).

Détermination de l’effet sur le PIB du plan de sobriété énergétique mis en œuvre de manière progressive

Nous appliquons une élasticité de 0,13 du PIB par rapport à l’énergie pour déterminer l’effet sur la croissance du PIB de cette accélération de la baisse de la consommation d’énergie primaire. Le plan de sobriété, montant en charge progressivement, coûterait 0,4 point de croissance en 2022 puis 0,5 point en 2023 et 2024. En 2024, le PIB serait inférieur de 36 milliards d’euros à son niveau de la trajectoire de référence (soit -1,4%).

L’économie de 159 TWh d’énergie primaire pour un coût de 36 milliards d’euros revient à un coût du kWh d’énergie économisée de 227 euros

Montée en charge immédiate du plan de sobriété

Nous faisons l’hypothèse que l’atteinte de l’objectif du plan de sobriété, parvenir à une consommation d’énergie finale de 1 426 TWh en 2024 (soit 10% inférieure à celle de 2019), serait réalisée au plus vite, en tentant de réduire de 10% la consommation d’énergie dès les derniers mois de 2022. Nous pensons cependant que l’effet sur la consommation d’énergie de 2022 ne serait que de 3%. Cela implique une baisse de la consommation d’énergie finale de :

  • 74 TWh en 2022 (c’est-à-dire -3,7% par rapport au niveau de 2021 et -4,6% par rapport au niveau de 2022 de la trajectoire de référence hors mise en place du plan de sobriété).
  • 164 TWh en 2023 (c’est-à-dire -7,2% par rapport au niveau de 2022 et -10,3% par rapport au niveau de 2023 de la trajectoire de référence hors mise en place du plan de sobriété).
  • 159 TWh en 2024 (c’est-à-dire une stagnation par rapport au niveau de 2023 et -10,1% par rapport au niveau de 2024 de la trajectoire de référence hors mise en place du plan de sobriété).

Détermination de l’effet sur le PIB du plan de sobriété énergétique mis en œuvre de manière progressive

Nous appliquons une élasticité de 0,13 du PIB par rapport à l’énergie pour déterminer l’effet sur la croissance du PIB de cette accélération de la baisse de la consommation d’énergie primaire. Le plan de sobriété, mis en charge immédiatement et totalement, coûterait 0,5 point de croissance en 2022 puis 0,9 point en 2023). En 2024, le PIB serait inférieur de 36 milliards d’euros à celui de la trajectoire de référence (soit -1,4%).

Conclusion

Que le plan de sobriété énergétique soit mis en œuvre immédiatement ou progressivement, le coût pour l’économie devrait atteindre 1,4 point de PIB (soit 36 milliards d’euros) en 2024, ce qui signifie que le PIB de 2024 avec le plan de sobriété sera inférieur de 36 milliards d’euros à son niveau de la trajectoire de référence (sans mise en œuvre du plan de sobriété).

La volonté de parvenir dès fin 2022 à une économie forte des consommations d’énergie se traduirait par une perte de 0,5 point de PIB en 2022 (puis 0,9 point de PIB en 2023). La montée en charge plus progressive répartirait sur 3 ans les effets négatifs sur la croissance de cet effort en matière de réduction des consommations d’énergie (-0,4 point de croissance en 2022 puis 0,5 point en 2023 et 2024).

Une partie des effets négatifs de la mise en place du plan de sobriété sur la croissance de 2022 est certainement déjà prise en compte dans les révisions de croissance actuelle. Cela pourrait certes hâter ou amplifier le début de récession (4ème trimestre 2022 avec déjà une décroissance du PIB) mais l’acquis de croissance est important et le taux de croissance pour 2022 sera relativement préservé. Cela signifie que les effets négatifs du plan de sobriété se manifesteront principalement en 2023 et 2024.

Pour 2023, l’effet de 0,5 à 0,9 point de croissance en moins ne nous semble pas forcément totalement intégré dans les révisions à la baisse de la croissance par le Gouvernement, ce qui explique que le taux de croissance gouvernemental retenu pour 2023 soit à un niveau plus élevé que celui du consensus des économistes ou des prévisions de la Banque de France. Nous pensons que le ralentissement de la croissance en 2023 a de nombreuses autres raisons que la mise en place du plan de sobriété énergétique : hausse des taux d’intérêt, pouvoir d’achat en baisse, ralentissement mondial… Aussi, une croissance nulle, voire légèrement négative en 2023 est probable. Le plan de sobriété énergétique ne sera pas le seul responsable de cette récession mais il contribuera à amplifier l’intensité de celle-ci. Le redémarrage de l’économie en 2024 serait également bridé par les économies d’énergie qui demeureraient à réaliser pour parvenir à cet objectif.


[1] Le Gouvernement a récemment annoncé la « poursuite » du bouclier tarifaire qui devrait restreindre la hausse des prix du gaz et de l’électricité à 10% à 15% en 2023 pour les ménages.