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Retraites : le chiffrage exclusif des différentes propositions

Gouvernement, Nupes, RN et LR : les propositions de réformes passées au crible

Le gouvernement a promis une réforme des retraites pour 2023. Les concertations avec les syndicats ont démarré et le gouvernement entame d’ailleurs un 2e round de négociation sur la pénibilité, les petites retraites et les régimes spéciaux. Le dernier cycle de négociation débutera fin novembre autour de l’épineuse question de l’équilibre des régimes. A l’issue des concertations le gouvernement doit présenter un projet de loi au plus tard en début d’année prochaine. Pour faire adopter son texte à l’Assemblée, le gouvernement devra batailler avec les oppositions parlementaires qui présentent des projets alternatifs, parfois éloignés de la vision gouvernementale. Tour d’horizon des différentes propositions sur la future réforme des retraites.

Le projet de l’exécutif

Emmanuel Macron dans ce nouveau quinquennat a définitivement abandonné l’idée d’une réforme systémique au profit d’une mesure d’âge pour rééquilibrer les comptes. Cette mesure il l’a encore récemment défendue sur les plateaux TV en expliquant vouloir relever de 4 mois par an l’âge d’ouverture des droits (dit âge légal) afin d’atteindre 64 ans en 2027, 65 ans en 2031. Il a également proposé une clause de revoyure en 2027 expliquant que si le redressement des comptes était suffisant avec un âge porté à 64 ans, il ne poursuivrait pas nécessairement le relèvement. Selon le quotidien économique Les Echos, la première génération concernée serait celle de 1961, puis les générations suivantes au rythme de 4 mois.

Plus récemment, le chef de l’Etat a aussi proposé une formule un peu différente consistant à repousser l’âge légal jusqu’à 64 ans sous réserve d’un allongement de la durée de cotisation. Rappelons qu’à ce stade c’est la réforme Touraine (2014) qui s’applique, soit 1 trimestre supplémentaire tous les trois ans depuis 2020 pour porter la durée d’assurance requise à 172 trimestres en 2035. La solution la plus communément évoquée est l’accélération de la réforme Touraine pour porter la durée d’assurance à 172 trimestres en 2027 (1 trimestre supplémentaire tous les ans).

Les autres éléments que l’on connaît du projet présidentiel sont la suppression des régimes spéciaux. Il s’agirait essentiellement des régimes des ex-entreprises publiques pour lesquelles ont appliquerait la réforme aux nouveaux embauchés. Une solution qui procurerait des économies à long terme mais qui a l’avantage de moins braquer les syndicats.

Le ministre de la Fonction publique a pris la peine de préciser que cela ne s’appliquerait pas aux fonctionnaires. En particulier, on ne touchera pas au mode de calcul de la retraite : la retraite continuera d’être calculée sur le traitement hors primes des 6 derniers mois (75% du traitement indiciaire) contre 50% du salaire annuel moyen au régime général et la totalité de la carrière pour les retraites complémentaires (salariés du secteur privé). Le chef de l’Etat a précisé également qu’il ne toucherait pas aux catégories actives c’est-à-dire à ces corps de la fonction publique qui bénéficient d’une possibilité de départ à la retraite avant l’âge légal, le plus souvent à 57 ans, dans certains cas à 52 ans.

Emmanuel Macron a aussi précisé que, s’il souhaitait prévoir un dispositif pour accompagner la pénibilité, il voulait revoir aussi le dispositif carrières longues qui permet à ceux qui ont commencé à travailler avant l’âge de 18 ans et qui totalisent tous les trimestres requis pour le taux plein, de partir à la retraite à 60 ans au lieu de 62 ans. Dans son idée, ces personnes pourraient toujours partir un peu plus tôt mais probablement à 62, 63 ans, …

Dernier point de son projet en matière de retraites, porter les pensions des retraités les plus modestes à 1130 € pour les salariés justifiant d’une carrière complète (minimum contributif), soit 85% du SMIC.

  • Le chiffrage de la réforme

Lors de la campagne présidentielle, l’équipe d’Emmanuel Macron avait chiffré l’ensemble des mesures comme pouvant procurer 9 Mds € d’économies d’ici 2027, en tenant compte à la fois des mesures d’âge et des dépenses nouvelles.

Plus précisément, on peut s’appuyer sur le travail réalisé récemment au Sénat qui, à l’occasion de la discussion du PLFSS 2023, a demandé à la CNAV de réaliser des modélisations sur le solde du système de retraites entre différentes mesures. Il apparaît que le seul report de l’âge légal à 65 ans a un impact positif de 3,9 milliards d'euros en 2025 et 17,6 milliards d'euros en 2030.

Les mesures liées à la suppression des régimes spéciaux ne porteront pas d’économies avant plusieurs dizaines d’années, il n’y a pas lieu d’en tenir compte pour l’équilibre général du système de retraites à court ou moyen termes. De même, les mesures qui prévoiraient une extension de la pénibilité à de nouveaux facteurs ne porteront des dépenses nouvelles significatives que dans plusieurs années.

Seul le minimum contributif porté à 1130 euros pour une carrière complète représente un potentiel de dépenses supplémentaires à court terme, une mesure que l’Institut Montaigne a chiffrée à 1,3 milliard d'euros.

Les propositions de la NUPES

« Garantir une retraite digne » : Restaurer le droit à la retraite à 60 ans à taux plein pour toutes et tous après quarante annuités de cotisation avec une attention particulière pour les carrières longues, discontinues et les métiers pénibles. 

Du côté de la NUPES, l’axe majeur d’une future réforme des retraites est le retour de la retraite à 60 ans après 40 ans de cotisation. La coalition qui s’est présentée aux législatives a également prévu de rétablir les critères de pénibilité supprimés par Emmanuel Macron en 2017, d’indexer les retraites sur les salaires, de prendre en compte le temps passé au RSA pour valider des trimestres, de porter au niveau du Smic le minimum contributif et au niveau du seuil de pauvreté le minimum vieillesse. Il s’agirait en somme de revenir au système de retraite d’avant 2003, voire même d’avant 1993 concernant l’indexation sur les salaires. Dans son contre-projet, la France Insoumise indique que ces mesures de dépenses nouvelles devraient porter la part des retraites dans le PIB à 16% en 2040 (contre 13,8% en 2021).

  • Le chiffrage des mesures

Au printemps 2022, la Fondation iFRAP avait chiffré à 33 Mds € l’ensemble de ces mesures. Notons tout de même que la France insoumise avait dans son contreprojet fait des propositions de financement de ces dépenses nouvelles : mobiliser les réserves disponibles dans les différents régimes et le FRR. Supprimer les niches afférentes à l’épargne retraite, la participation, etc. représenterait une recette théorique de 5 milliards € supplémentaires. L’augmentation de 1,25 pt des cotisations vieillesse qui sont déjà de 17,75% pourrait rapporter 16 Mds €. Le programme tablait aussi sur une réappropriation des dividendes reversées sous forme de salaires et une augmentation du Smic pour augmenter mécaniquement les cotisations vieillesse de près de 25 Mds € par an. Le candidat proposait aussi de revenir également sur les exonérations de cotisations. L’égalité salariale hommes-femmes permettrait enfin de dégager 5 milliards d’euros par an.

Les propositions LR

Dans le débat autour du projet de loi des retraites, il est probable que le gouvernement cherche un compromis avec les députés LR les plus proches de leur ligne sur ce projet de réforme. Mais pour l’instant Les Républicains doivent choisir qui sera le prochain président du parti. Entre les trois candidats, les propositions sur les retraites ne sont pas tout à fait alignées.

Le secrétaire général des Républicains, député du Lot, Aurélien Pradié, a défendu une réforme prévoyant le calcul des retraites « en fonction du nombre d’années travaillées » et non en reculant l’âge de départ légal. Il souhaite par ailleurs une mesure forte en faveur de la pénibilité : « vous travaillez pendant 5 ans en position pénible, en situation pénible, vous gagnez un an de départ à la retraite ».

Le sénateur Bruno Retailleau défend, lui, le recul de l’âge légal de départ à la retraite « si on veut préserver la qualité de vie, le pouvoir d’achat de nos retraités ». Il propose de porter l’âge à 64 ans. Il propose également la fin des régimes spéciaux et de « nouveaux droits » pour prendre en compte la pénibilité, les carrières longues, et revaloriser les petites retraites.

Eric Ciotti propose une autre formule : laissant le choix entre un départ à 65 ans et l’allongement de la durée de cotisation à 45 ans, à chacun de choisir la solution lui convenant le mieux. Il propose également la suppression des régimes spéciaux et se dit favorable à l’introduction d’une dose de capitalisation.

  • Le chiffrage des mesures d’âge

Encore une fois, grâce au travail effectué par la CNAV à la demande du Sénat, il est possible d’estimer les économies des différentes formules des candidats LR.

La proposition d’Aurélien Pradié sur la durée de cotisation pourrait se traduire par une accélération de la réforme Touraine, ce qui, selon le document du Sénat, rapporterait 700 millions d'euros en 2025 et 2,9 milliards d'euros en 2030. Ou aller au-delà avec une durée de cotisation portée par exemple à 44 ans, soit 176 trimestres. Dans ce cas les économies seraient de 1,4 milliard en 2025 et 7 milliards en 2030.

La proposition de B. Retailleau de passer l’âge à 64 ans provoquerait 3,4 milliards d'euros en 2025 et 13,6 milliards d'euros en 2030.

Notons au passage l’effet particulièrement puissant du report de l’âge face à l’allongement de la durée de cotisation alors que les solutions sont parfois présentées comme équivalentes. Il faudrait d’ailleurs, selon les chiffres du Sénat, passer la durée de cotisation à 180 trimestres pour obtenir des effets identiques en milliards d'euros, soit 45 années de cotisation. Sachant que l’âge moyen d’entrée sur le marché du travail se situe entre 19 et 23 ans, cela porte au-delà de 65 ans l’âge de départ à la retraite.

Les autres propositions d’A. Pradié et de B. Retailleau sont plus difficiles à estimer : la pénibilité, s’il s’agit de prendre en compte de nouveaux facteurs de risque dans le C2P n’aurait pas d’impact financier immédiat, tout comme la suppression des régimes spéciaux. La revalorisation des petites retraites en revanche, en admettant que la proposition soit alignée sur celle d’Emmanuel Macron, représenterait un coût supplémentaire de 1,3 milliard d'euros.

La prise en compte de la pénibilité selon la formule d’A. Pradié serait en revanche plus coûteuse puisque, rappelons-le, le C2P prévoit la prise en compte de l’exposition à des facteurs de pénibilité pour se former ou travailler à temps partiel, ou partir plus tôt à la retraite. Dans la formulation d’A. Pradié, le salarié choisirait automatiquement le départ anticipé. De plus, dans la formule actuelle du C2P, le départ anticipé est limité à 2 ans maximum tandis qu’avec la formule « 1 année tous les 5 ans », on peut supposer un départ anticipé de 3, 4 ou 5 années en fonction de la durée de carrière dans un métier dit pénible.

Enfin, la proposition d’E. Ciotti est plus difficile à chiffrer dans la mesure où elle dépend du choix individuel des futurs retraités, la formule de calcul qui leur est la plus favorable. Le report de l’âge provoque 3,9 milliards d'euros d’économie en 2025 et 17,6 milliards d'euros en 2030, mais la durée d’assurance portée à 180 trimestres, 3,3 milliards d'euros en 2025 et 13,4 milliards d'euros en 2030. Ces derniers chiffres seraient donc au minimum les économies à attendre de la réforme proposée par E. Ciotti.

Les propositions RN

Garantir à nos aînés une retraite sereine et digne :

  • Réindexer les retraites sur l’inflation pour un pouvoir d’achat respectueux d’une vie de travail.
  • Revaloriser le minimum vieillesse à 1 000 € par mois et augmenter les petites retraites.
  • Refuser tout allongement de l’âge de départ à la retraite.
  • Permettre à ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans et pendant 40 annuités de prendre leur retraite à 60 ans.
  • Restaurer la demi-part fiscale en faveur des veuves et veufs.

Voici les mesures relatives aux retraites telles qu’elles figuraient dans le projet de la candidate pour 2022, repris ensuite à l’occasion des législatives. La candidate a annoncé sur son site de campagne vouloir réindexer les pensions de retraites sur l’inflation, afin d’améliorer le pouvoir d’achat des retraités. Notons que la réindexation a en partie été mise en œuvre avec le PLFR voté cet été et que la demi-part fiscale pour les veufs et veuves d’anciens combattants et sans condition d’âge a été votée dans le PLF 2023.

Pour le reste, la proposition sur l’âge de la retraite à 60 ans pour 40 annuités a été explicitée par la candidate durant la campagne présidentielle en expliquant bien que cette possibilité ne serait offerte qu’aux personnes qui ont commencé à travailler avant 20 ans. La présidente du groupe RN a l’Assemblée a eu l’occasion ce week end de redire sa proposition dans le JDD : « Je souhaite que le départ à la retraite se fasse entre 60 et 62 ans. Pas plus. Avec 40 annuités de cotisation. » Ainsi, Marine Le Pen ne reviendrait pas sur la principale mesure de la réforme de 2010 qui était de porter l’âge légal de 60 à 62 ans. En revanche, elle reviendrait sur la réforme de 2003 qui avait porté l'allongement de la durée de cotisation à 41 ans (164 trimestres) en 2012, durée de cotisation qui a ensuite été allongée avec la réforme Woerth et Touraine pour être portée à 172 trimestres[1].

  • Le chiffrage des mesures

Dans son étude du printemps 2022, la Fondation iFRAP avait chiffré à 9,6 milliards d'euros en 2027 la dépense supplémentaire liée à cette mesure. Les autres éléments concernant la revalorisation du minimum vieillesse est estimé à environ 500 millions d'euros.

Le chiffrage des projets

Récapitulatif de l’impact économique des mesures à court-moyen termes (2027)

 

Dépenses nouvelles

Economies proposées

Augmentation de recettes fiscales proposées

Projet de l’exécutif

1,3 Md €

8,5 Mds €* - 10,7 Mds €

 

NUPES

33 Mds €

 

21 Mds €**

LR- A. Pradié

0,5 Md €

1,8 Md € - 4,2 Mds €

 

LR- B. Retailleau

1,3 Md €

8,5 Mds €

 

LR- E. Ciotti

 

8,5 Mds €

 

RN

10 Mds €

 

 

Les chiffres correspondent aux économies sur le solde du système de retraites calculées par le Sénat, ils sont estimés pour 2027 en prenant l’hypothèse d’une distribution linéaire.

*La fourchette s’explique selon que l’âge est reporté à 64 ans ou 65 ans.

**Il s’agit ici de cotisations supplémentaires et des économies liées à la suppression des niches fiscales épargne-retraite 


[1] Cette mesure était estimée dans le projet de loi de réforme des retraites de 2003 rapporter 9,3 Mds € en 2020