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Réforme des retraites : plus la situation reste floue, plus il faut être simple !

La France des retraites est divisée en quatre camps. Il y a ceux qui cotisent peu, perçoivent des retraites faibles - entre 1.000 et 1.200 euros par mois - mais dont les caisses ont constitué des réserves pour préparer l’avenir (les travailleurs indépendants) ; ceux qui cotisent beaucoup, ont des retraites moyennes -environ 1.500 euros par mois- mais dont les caisses de retraite complémentaires ont des réserves grâce à un âge moyen de départ en retraite plus tardif (les salariés du privé) ; ceux qui cotisent moins, pas sur leurs primes, mais qui perçoivent des retraites plus que correctes - environ 2.100 euros par mois - et dont les caisses connaissent des déficits cachés (les fonctionnaires) ; et enfin, ceux qui ne cotisent pas davantage, partent plus tôt à la retraite et ont des retraites meilleures que tous les autres actifs - 2.800 euros par mois à la RATP et 2.300 euros par mois à la SNCF - (les régimes spéciaux).

Pour financer leurs conditions de départ et leurs modes de calcul plus favorables, les Français consacrent 7 à 8 milliards par an aux régimes spéciaux et au moins l’équivalent aux retraites des fonctionnaires. Voilà où part chaque année une partie de nos impôts.

Détaillons, pour y voir plus clair

Le régime général, avec son mode de calcul, donne un taux de remplacement d’environ 60% en moyenne. Les droits à pension sont calculés sur les 25 meilleures années pour la retraite de base et sur l’ensemble de la carrière pour la retraite complémentaire. La retraite à taux plein est accordée à 62 ans, à condition d’avoir tous ses trimestres (172 trimestres pour la génération née en 1973). Voilà pour les salariés du privé et les contractuels du public.

En face, les fonctionnaires bénéficient de modes de calcul différents, plus avantageux, basés sur les six derniers mois de salaire (et 172 trimestres aussi) ; et de cotisations salariales encore inférieures. Une fois à la retraite, leurs taux de remplacement sont meilleurs puisqu’ils n’ont pas cotisé sur leurs primes, à la différence du privé, et qu’ils bénéficient de départs en retraite en moyenne plus tôt. C’est le cas des agents dits des « catégories actives », qui partent bien avant 60 ans.

Encore à part, on trouve les agents du transport public (SNCF ou RATP), qui bénéficient d’un autre régime. Eux cotisent sur la plupart de leurs primes tout en ayant le même mode de calcul que les fonctionnaires : 75 % du salaire des six derniers mois, ce qui leur garantit des retraites bien meilleures. De surcroît, à la SNCF, les roulants partent à 52 ans et les sédentaires à 57 ans. Les agents RATP, eux, partent en moyenne à 56 ans.

Dernière catégorie, les travailleurs indépendants. Ils cotisent entre 10 % et 18 % seulement mais bénéficient de taux de remplacement aussi beaucoup plus bas, environ 40 %. Conséquence, leurs régimes ne sont pas dans le rouge et bénéficient de réserves importantes : 24 milliards pour les professions libérales et 17 milliards pour les indépendants.

Considérées dans leur ensemble, les retraites représentent 321 milliards dont 90 milliards pour les retraites des fonctionnaires et des bénéficiaires des régimes spéciaux - soit 28 % de ces dépenses pour 17 % des actifs. Ils pèsent donc plus lourd que leur poids dans la population active.

Pourquoi devrions-nous continuer à remettre au pot plus de 3 milliards par an à la SNCF pour financer leurs pensions ? Et plus de 700 millions par an à la RATP ?

Le summum de cette hypocrisie ? Les syndicats ont déjà adopté le report de l’âge de départ à 63 ans… mais seulement pour les salariés du privé (qui se verront infliger un malus sur leur retraite complémentaire s’ils partent avant 63 ans). Et ce sont ces mêmes syndicats qui affirment aujourd’hui trouver injuste et inutile le report de l’âge de la retraite.

L’OCDE vient de publier un rapport concluant que l’âge moyen de sortie du marché du travail en France est l’un des plus bas des pays industrialisés : 60,8 ans, quand les Suédois sont à 66,4 ans, les Danois à 65,1 ans et la moyenne des pays de l’OCDE à 65,4 ans. Avec l’augmentation de l’espérance de vie, nous sommes le pays où la durée de retraite est la plus longue.

La France se caractérise encore par un faible taux d’emploi des 60-64 ans : 30 % en 2017, contre plus de 42 % en moyenne dans l’Union européenne, 60 % en Allemagne et presque 70 % dans plusieurs pays scandinaves dont la Suède.

Voilà donc la situation qu’Emmanuel Macron a trouvée lors de son élection. Sa réforme comprendra-t-elle un vrai report de l’âge légal de la retraite ? Bien malin celui qui saurait le dire. Le risque est grand que l’État demande à ceux qui financent déjà sans broncher les retraites publiques tout en cotisant plus et en partant plus tard à la retraite de continuer à le faire. Et que les pouvoirs publics contraignent les caisses qui ont mis de côté depuis des années en cas de coup dur de venir combler les déficits avec leurs réserves.

Bref, le contraire de l’équité. Plutôt une recherche de la paix sociale dans le secteur public, alors que la grève des transports publics menace de bloquer la France.

Langue de bois gouvernementale et syndicale

Avant de vouloir une grande réforme systémique (le régime par points universel) et afin de dissiper toutes les inquiétudes, il faut faire converger les cotisations, les modes de calcul et l’âge de départ. Puis décider du rythme d’entrée en vigueur de ces décisions. Pour équilibrer les régimes, il serait suffisant de repousser à 64 ans l’âge de départ à taux plein en 2025 et à 65 ans en 2028. Les travailleurs indépendants, pour leur part, ont droit à plus d’égards. Il conviendrait de donner à leurs caisses la libre disposition de leurs réserves et de permettre à leurs bénéficiaires d’opter pour une retraite de base tout en pouvant s’assurer ailleurs en capitalisation.

Honte à nos syndicats qui veulent bloquer le pays contre l’hypothétique régime par points dont on ne sait pas s’il verra le jour (en 2025 ? 2035 ?) tout en n’assumant pas de reconnaître comme une donnée irréfutable pour des raisons démographiques qu’il faut repousser l’âge de départ à la retraite et instituer des modes de calcul équitables dès 2020.

Qu’attendons-nous pour sortir de la langue de bois gouvernementale et syndicale ? En France, sur ce sujet des retraites, la mauvaise foi se partage entre gouvernement et syndicats, et les victimes collatérales sont les Français qui ne savent - à juste titre - plus quoi penser. Travailler plus longtemps avec des droits identiques, qu’on soit salarié du public ou du privé, est-ce vraiment trop demander au gouvernement ?

Cette tribune a été publiée dans les pages du Figaro, mercredi 4 décembre 2019.