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Ne laissons pas tomber la réforme des retraites

La période de confinement a été propice au développement des démarches dématérialisées dans le cadre des retraites. Des démarches qui devraient être encouragées grâce aux chantiers de mutualisation et d'informatisation des données relatives aux carrières. A la clé, d'importants gisements de productivité dans les caisses de retraite alors que la France affichait encore, il y a peu, des frais de fonctionnement en % des prestations, parmi les plus élevées d'Europe. Ces simplifications sont aussi la première étape d'une réflexion plus ambitieuse qui rapprocherait les modes de calcul et de liquidation entre les régimes. Preuve s'il en est qu'il ne faut pas enterrer la réforme des retraites.

Selon la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS), le déficit du régime général et du FSV atteindrait 52 Md€ en 2020. Du jamais vu. La branche vieillesse serait la plus affectée (15 milliards de déficit) après la branche maladie (31 milliards), sous l'hypothèse d'une baisse du PIB de 11%. En sortie de crise les partenaires sociaux, Medef et CFDT en tête, ont déclaré que la priorité n'était pas à la relance du débat sur la réforme des retraites. Pourtant la période du confinement aura été propice à des avancées significatives sur un sujet que l'on n'attendait plus : la simplification.

Expérience 1 : la CNAV

Durant le confinement la CNAV a basculé l'ensemble de ses données dans le répertoire de gestion des carrières unique, la base de données développée par le GIP Union Retraite et qui doit permettre de compiler l'ensemble des informations relatives aux carrières de chacun pour calculer la liquidation de la retraite. Le GIP a été créé à l'occasion de la réforme de 2003 pour simplifier la relation qu’entretiennent les assurés avec leurs régimes de retraite et pour piloter les projets de coordination, de simplification et de mutualisation des systèmes d'information.

Au 12 mai dernier comme le relate le quotidien Les Echos l'ensemble des données de la CNAV ont été versées dans le nouveau « répertoire de gestion des carrières unique »Avec sa base retraite universelle, l'Assurance-vieillesse veut s'adresser à toutes les générations, Les Echos, 16 juin 2020. D'ici à 2022, les 42 régimes de base et complémentaires devront y passer et plus aucune retraite ne sera liquidée sans passer par le répertoire unique.
Les échanges de données se sont déjà développées notamment pour les polypensionnés : ainsi la CNAV traite déjà plus de 50% des retraites des salariés qui ont été un jour à la MSA. Plus gros régime de retraite, la CNAV est la manœuvre pour mener à bien ce projet informatique qui a coûté 200 millions d'euros en frais de développement.

Expérience 2 : la Caisse des dépôts

La fonction publique n'est pas en reste. La direction des retraites et de la solidarité de la Caisse des Dépôts a présenté en juin dernier la rénovation de son portail de services en ligne pour les 63 000 employeurs publics. La plateforme numérique PEP's permet à ses 110.000 utilisateurs d'accéder aux données dont ils ont besoin, via des thématiques (carrières, droit à pensions, cotisations, déclarations, subventions/aides et "mes autres services"), et non plus régime par régime"PEP's" : le numérique facilite la gestion de la retraite des agents, Localtis, 25 juin 2020. Déjà en 2019, la Caisse avait mis au point les outils numériques permettant aux personnes approchant de l'âge de départ à la retraite d'effectuer une seule demande de retraite pour l'ensemble des régimes de base et complémentaires auxquels elles avaient cotisé.

La Caisse des Dépôts gère dans le secteur public la retraite de 3,9 millions de pensionnés et 7,5 millions d'actifs à l'exception notable des fonctionnaires d'Etat même si l'établissement public n'a jamais caché son intérêt et sa compétence pour reprendre le plus gros des régimes de retraite de fonctionnaires.

La Caisse des Dépôts est également candidate à la mise au point technique et à l'intégration au système du GIP Union Retraite d'un outil de simulation (simulateur Marel) pour évaluer en temps réel les droits à pension.

Expérience 3 : Agirc-Arrco

Le dernier numéro des cahiers de la retraite complémentaire nous apprend que l'application Smart'Retraite lancée par l'Agirc-Arrco devient l'application de référence sur mobile pour le GIP Union RetraiteLes cahiers de la retraite complémentaire, n°38, juillet 2020. Cette application a permis de développer plusieurs fonctionnalités intéressantes pour les usagers comme des attestations fiscales, des décomptes de paiement, la possibilité de mettre à jour des coordonnées bancaires et même un service de suivi des pièces justificatives pour des demandes de retraite qui seront ainsi étendues à l'inter-régimes.

Quelles leçons en tirer ?

Ces initiatives en matière de simplification et de digitalisation sont les bienvenues à plusieurs titres :

  • Faire monter en puissance la demande dématérialisée

La montée en puissance des demandes en ligne a montré que des gains de temps étaient possibles grâce à des procédures dématérialisées. Pendant la période de confinement 3000 demandes de liquidation de retraite en ligne ont été déposées sur le site info-retraite.fr, site inter-régimes qui permet de faire sa demande par internet, un record alors que ce service disponible depuis 2019 affichait 800 demandes par jour en moyenne jusque-làComment prendre sa retraite en étant confiné, Le Monde, 29 avril 2020. Bien sûr la demande par courrier reste possible pour ceux qui n'ont pas internet.

A contrario certains régimes se sont faits remarquer s'agissant de la demande de réversion comme à l'Ircantec ou à la CNRACLRetraite : les demandes de réversion chutent malgré la surmortalité, Le Monde 8 mai 2020. Cette démarche n’était pas possible en ligne, contrairement à la demande de retraite. Etant donné que les agents étaient au chômage partiel, il était alors impossible de bénéficier de la réversion dans ces régimes du secteur public. 

  • Réduire le nombre d'erreurs

Selon la Cour des comptes, en 2019, dans la branche retraite de la Sécurité sociale, une nouvelle pension sur sept comportait des erreursRetraite : En 2019, plus d'une pension sur sept attribuée ou révisée a comporté au moins une erreur financière, Boursorama, 22 mai 2020 ayant une incidence financière. La mutualisation et le numérique sont des moyens de visualiser au fil de l'eau les trimestres acquis (difficile de retrouver la trace parfois des fiches de paie d'un premier job). Et les caisses pourront plus aisément reconstituer les carrières. D'autant qu'elles peuvent s'appuyer sur le travail considérable qui a été fait dans les entreprises avec la mise en oeuvre de la DSN, déclaration informatique des données salariales.

  • Réduire les frais de gestion

Les gains de productivité liés au numérique ne sont plus à prouver. Les caisses de retraite se caractérisent encore par une forte proportion d'effectifs et par une gestion "sociale" des services étant donné la gouvernance paritaire. A la CNAV on comptait encore 12 000 agents en 2016. Et 13 000 agents à l'Agirc-Arrco en 2013Rapport d'information sur le paritarisme, Assemblée nationale, 8 juin 2016. L'Agirc-Arrco nous apprend ainsi qu'elle a fermé dès l'annonce du confinement les 100 Cicas, centre d'information retraite, et que pour assurer la continuité du service, le réseau s'est rapidement reconfiguré pour équiper les téléconseillers en solution informatique et téléphonie à distance.

Aller plus loin dans la réforme des retraites

Le confinement a montré dans de nombreux domaines que de plus en plus de services pouvaient être gérés de façon dématérialisée. Les économies sur les coûts de gestion sont potentiellement importantes. Une partie pourra être réinvestie au bénéfice de la formation du personnel accompagnant les personnes fragiles ou bien encore peu à l'aise avec les outils informatiques (population âgée pour les retraites).

Néanmoins, les nouvelles méthodes de travail voulues par le confinement auraient vocation à être prolongées. Ajoutées aux gains de productivité grâce à la mutualisation des données issues du GIP Union retraite, on peut espérer faire baisser les coûts de gestion de l'ensemble de la branche vieillesse. Eurostat indique l'ensemble des frais de fonctionnement liés aux dépenses de prestations sociales représentent 4% de prestationsEurostat, base de données protection sociale, https://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do?dataset=spr_exp_sum&lang=fr. En matière de retraite, ces coûts s'élèvent à environ 6 milliards d'euros soit 1,8% des prestations. Une étude un peu ancienne estimait qu'ils se situaient au double de la moyenne européenneUne étude d’Accenture montre que les coûts de gestion de l’ensemble des systèmes de retraites représentent 1,92 % des retraites versées en France contre 1,19 % en moyenne dans l’Union européenne. 

Pour revenir dans la moyenne européenne et économiser entre 2 et 3 milliards sur les frais de gestion de son système de retraite, la France ne doit pas hésiter à poursuivre sur la voie de la digitalisation et de la mutualisation, ce qui lui permettra aussi de reprendre la réforme des retraites en vue d'une plus grande équité entre les régimes.