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La suppression des régimes spéciaux de retraites entre en vigueur... sauf pour les fonctionnaires

Ça y est, la réforme des retraites rentre en vigueur ! Faisant suite à la publication des décrets le 30 juillet actant la fin des régimes spéciaux le communiqué de presse du ministère du Travail annonçait : « Ces décrets concrétisent la fermeture des principaux régimes spéciaux de retraite, en faveur d’un système de retraite plus équitable. »  C’est oublier un peu vite que le principal régime spécial celui de la fonction publique n’a pas été concerné par la réforme. Mais la fin des régimes spéciaux des entreprises publiques EDF, SNCF, RATP ouvre la voie à ce que pourra être la prochaine réforme des retraites : une mise en extinction intégrale des régimes des agents de la fonction publique. Pour ce faire, il faut créer une caisse de retraite pour les fonctionnaires d'Etat, dont les retraites sont payées actuellement sur le budget général. Il conviendrait ensuite de recruter les nouveaux entrants dans la fonction publique non plus au statut mais en tant que contractuels. 

Les décrets du 30 juillet

Les décrets parus au « Journal officiel » concernent la RATP, les industries électriques et gazières, la Banque de France ainsi que les clercs de notaire. Leur fermeture sera effective au 1er septembre. Comme pour la SNCF, c’est la clause du grand père qui va s’appliquer : c’est-à-dire que les nouveaux embauchés à partir de cette date seront affiliés au régime général de la Sécurité sociale et aux régimes de retraite complémentaire Agirc-Arrco. Les régimes spéciaux ne vont pas disparaître pour autant, continuant à gérer d’une part les actuels pensionnés et d’autre part les actifs embauchés avant la date du 1er septembre. Les 150 000 employés des IEG (industries électriques et gazières, dont EDF, Engie…), les 42 000 salariés de la RATP, les 7 852 agents titulaires de la Banque de France, les 62 850 clercs et employés de notaire et les 233 membres du Cese (Conseil économique, social et environnemental). L’extinction complète ne devrait pas se matérialiser avant 2080-2090 ![1]

L’application de la réforme des retraites et notamment sa mesure principale, le report de l’âge s’appliquera à tous les agents quelle que soit la date d’embauche. De même, la durée d'assurance requise pour le taux plein, qui voit sa montée en charge accélérer comme le rappelle le ministère du Travail, sera également appliquée à tous les agents sans distinction. Mais ce rallongement progressif démarrera plus tard : le 1er janvier 2025, et non le 1er septembre 2023 comme dans le régime général. Cette date correspond au moment où les mesures de convergence des précédentes réformes auront terminé de monter en charge dans les régimes spéciaux.

Par ailleurs, tous les salariés recrutés avant la date du 1er septembre continueront de bénéficier des possibilités de départ anticipé prévues pour ces régimes notamment les conditions de départ anticipé à la RATP, SNCF, IEG, etc.

L'âge d'annulation de la décote, qui s'applique lorsqu'un travailleur prend sa retraite sans avoir cotisé le nombre d'années exigé pour bénéficier d'une retraite à taux plein, restera lui inchangé, comme dans le régime général.[2] Les décrets transposent également les autres mesures de la réforme et, en particulier, celles concernant les « carrières longues » et ses désormais quatre bornes d'âge (16, 18, 20 et 21 ans).

Des régimes spéciaux vont perdurer, tout particulièrement celui de la fonction publique !

Quelques régimes spéciaux vont cependant continuer de perdurer : c’est notamment le cas des marins, de l'Opéra de Paris et de la Comédie-Française car ils répondent « à des sujétions spécifiques ». Les régimes autonomes (professions libérales et avocats) ne sont pas concernés non plus. Par ailleurs, "la Première ministre a enjoint (...) le Conseil économique, social et environnemental (Cese) à modifier le règlement de sa caisse de retraite" afin de transposer les règles de la réforme, précise le ministère. Quant aux régimes spéciaux des parlementaires, ils continueront également d’exister même s’ils se sont alignés sur les paramètres de la réforme portant l’âge d’ouverture des droits à 64 ans.

Enfin et surtout ce sont les régimes spéciaux de la fonction publique qui continueront de perdurer soit 4,2 millions d’actifs cotisants pour 4 millions de retraités. Si les paramètres d’âge de la dernière réforme leur sont bien appliqués, aucune autre de leur spécificité n’est remise en cause pour les actuels agents comme pour les nouveaux recrutés : le mode de calcul de la retraite demeure inchangé et calculé sur le traitement hors primes des 6 derniers mois et non les 25 meilleures années (Cnav) et la carrière complète (Arrco-Agirc). Les avantages non contributifs (catégories actives, réversion, majorations familiales, etc.) continueront de s’appliquer différemment avec des règles plus avantageuses que dans le privé. Un oubli « de taille » puisqu’il s’agit du 3e plus gros régime de retraite après celui de la CNAV et les retraites complémentaires Agirc-Arrco. Il ne s’agit pas non plus d’un régime en extinction ou bien encore d’un régime présentant des conditions d’emploi particulières, les agents étant salariés. Un oubli qui contribue à la fragmentation de notre système de retraite, les 5,7 millions d’agents publics (titulaires, militaires, ouvriers d’État, magistrats, et contractuels), qui représentent 20,0 % de l’emploi total (privé + public), sont couverts pour le risque vieillesse par six régimes de retraite distincts. Et qui explique que les coûts de gestion de notre système de retraite figurent parmi les plus élevés des pays européens. La prochaine réforme des retraites devra donc remettre sur la table la convergence des régimes de retraite publics-privés de salariés.

Comment va se passer la transition pour les régimes spéciaux mis en extinction ?

Il est intéressant de se pencher sur le cas de la SNCF qui est passé par là avec la réforme ferroviaire de 2018. Les comptes financiers de la caisse de retraite de la SNCF, CPRP SNCF[3], devenue caisse de retraite du ferroviaire (CPR), indiquent que, conformément à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, la CNAV et l’Agirc-Arrco compensent au régime de retraite les pertes de ressources résultant de l'arrêt, au 1er janvier 2020, des recrutements au cadre permanent de la SNCF (statut cheminot)[4]. Les modalités de calcul et de versement de cette compensation sont déterminées selon une convention signée entre les trois parties. La convention prévoit notamment le versement d’un acompte en N et une régularisation de l’acompte en N+1 pour la part relative à l’Agirc-Arrco, et en début de N+2 pour la CNAV.

Tout au long de l'année 2020, la CPR a mené des travaux avec la CNAV et l'Agirc-Arrco qui ont permis de fixer les règles de calcul de la compensation, les modalités opérationnelles (SI, transfert de données, confidentialité en conformité avec le RGPD...) et les modalités de paiement (périodicité, fixation des acomptes, calendrier...).

Les comptes 2022 de la CPR indiquent que les prestations retraite ont représenté 5,3 milliards €. Ces prestations ont été financées par des cotisations pour près de 2 milliards et des produits pour 3,3 milliards dont 39 millions d’euros de compensation CNAV et Agirc-Arrco, 62 millions de compensation généralisée et 3,2 milliards de subvention d’équilibre de l’Etat (le versement de l’Etat assure l’équilibre financier entre les charges de toutes natures et les autres recettes du régime de retraites). Les cotisations Agirc-Arrco et CNAV correspondent aux cotisations acquittées pour les 7700 embauches réalisées non plus au cadre permanent mais en tant que contractuel depuis le 1er janvier 2020[5].

Ce n’est pas la seule transformation que la CPR est en train de gérer...

La loi pour un nouveau pacte ferroviaire prévoyait également que les salariés au statut SNCF conservent le bénéfice du régime spécial de retraite en cas de transfert ou de mobilité́ vers une autre entreprise ferroviaire. À ce titre, la future Caisse Ferroviaire va assurer la rétroactivité de leurs droits au régime spécial de retraite.

L’autre volet concerne la délégation de gestion de l’assurance maladie des salariés de la branche affiliés au régime général : salariés contractuels SNCF, salariés des autres entreprises ferroviaires et futurs salariés transférés, ainsi que leurs ayants droits respectifs. La prise en charge de ces nouveaux bénéficiaires relevant du régime général s'étend sur la gestion des frais de santé, prestations en espèce, AT/MP, invalidité et action sociale, aussi bien en front office qu’en back office. À horizon 2026, ce sont environ 93 000 bénéficiaires relevant du régime général qui devraient être gérés par la Caisse Ferroviaire (contre 66 000 aujourd’hui). Des évolutions qui conduisent la CPR à sortir d’une relation exclusive avec la SNCF à une offre de service à destination de tous les employeurs (changement symbolisé par un changement de nom CPRP SNCF devenant caisse de prévoyance et de retraites des personnels ferroviaires.

Fort de cette expérience , la CPR occupe désormais un rôle d’animateur pour les grands chantiers de transformation organisationnelle et informatique en cours au sein des régimes spéciaux.  Des missions ont été réalisées par le service d'audit de la CPR à la demande et pour le compte d'autres régimes spéciaux ne disposant pas de ces ressources en interne : la CRP RATP (Caisse de Retraites du Personnel RATP) et la CAVIMAC (Caisse d'assurance vieillesse invalidité et maladie des cultes) à la fin 2021, la CAMIEG (Caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières) et l'ENIM (marins) en 2022.

 En 2022, le directeur de la CPR a soutenu la création d'un Club des RSSI (Responsables de la sécurité des systèmes d'information) au sein des régimes spéciaux. Il est animé par le RSSI de la CPR pour partager des problématiques communes sur la sécurité SI. La CPR réalisé également depuis plusieurs années pour le compte de la Caisse de Retraites des personnels de l'Opéra national de Paris (CR Opéra) des briques techniques nécessaires aux échanges de flux inter-régimes et en 2022 la CR de l’Opéra de Paris a décidé de confier l'infogérance globale du système d'information à la CPR qui devient ainsi fournisseur de services SI. Autant de chantiers qui s’inscrivent dans un projet (piloté par la CNAV) plus large de mise en place du RGCU (répertoire de gestion des carrières uniques) où chaque régime viendra partager ses informations sur la carrière des cotisants dont il a la charge et ce afin de faciliter les relevés de carrière et faciliter la liquidation des pensions.

En quoi cette expérience peut-elle inspirer la fonction publique ?

Comme la fonction publique, la SNCF ne disposait pas d’une caisse de retraite autonome avant que des changements de normes comptables en 2007, imposent à l'entreprise de provisionner ses engagements de retraite, près de 111 milliards d'euros d'engagements de retraite à l’époque, ce qui aurait eu un effet catastrophique sur la présentation des comptes de la SNCF. C'est pourquoi, le conseil d'administration de la SNCF a déconsolidé les engagements de retraite de l'entreprise, en confiant leur gestion à une caisse autonome.

Même si les administrations publiques ne sont pas soumises aux mêmes obligations comptables[6], cet exemple milite pour la création d’une caisse de retraite autonome pour les fonctionnaires d’Etat alors qu’il en existe déjà une pour les fonctionnaires locaux et hospitaliers. Cette caisse ferait apparaître clairement les charges : prestations versées de droit direct et de droit dérivé en distinguant clairement les dépenses de solidarité et les coûts de gestion. Pour les produits : cotisations en distinguant les cotisations sur la base des taux appliqués aux salariés du privé et, au-delà, la subvention d'équilibre. Cela obligerait l’Etat à matérialiser la subvention qui permet d’équilibrer le compte des pensions du public, que l’Etat employeur masque sous l’appellation cotisations d’équilibre.

La Fondation IFRAP a depuis longtemps soutenu la proposition de créer une caisse de retraite pour les fonctionnaires d'Etat.

Comme dans la fonction publique, à la SNCF, une part croissante des embauches se faisaient déjà avant la loi de 2018 sous contrat et non plus au statut de cheminot. Un changement dans les modes de recrutement qui contribue à accentuer le déficit de la branche vieillesse du régime spécial cheminot. De la même façon, aujourd’hui, le nombre de fonctionnaires sortants – partants à la retraite - au statut est en hausse tandis que les recrutements se font majoritairement sur des emplois de contractuels[7].

Une situation qui facilite la fermeture du régime spécial des agents de la fonction publique et le recrutement des nouveaux entrants non plus au statut mais sous contrat. Ainsi, de la même façon que la CNAV et l’Agirc-Arrco verse à la caisse de retraite de la SNCF une compensation au titre des cotisations perçues pour les nouveaux entrants, la CNAV et l’Ircantec (caisse de retraite complémentaire des contractuels de la fonction publique) pourraient aussi bien le faire vis-à-vis de l’Etat et des autres employeurs publics.

Les employeurs et les salariés du secteur public sont attachés à ce régime complémentaire dont ils assurent la gouvernance. Avec 2,23 millions d'allocataires pour 2,9 milliards € de prestations, l’Ircantec est considéré comme un régime important même s’il est loin de l’Agirc-Arrco. Il couvre une population variée de cotisants : non-titulaires (contractuels de droit public) des trois fonctions publiques, de la Banque de France, mais aussi des élus locaux, et même les titulaires de la FPH et la FPT à temps non complet (moins de 28 heures)… Longtemps, les adhérents à l’Ircantec n’ont fait que passer avant de rejoindre le régime du privé ou celui de la fonction publique. En moyenne, la durée de cotisation à l’Ircantec n’est que de 10 ans. Elle a, au fil du temps, perdu plusieurs catégories de cotisants avec le changement de statut de La Poste, de GDF et d’EDF.

La Fondation IFRAP propose que la prochaine réforme des retraites propose le recrutement des nouveaux entrants dans la fonction publique non plus au statut mais sous contrat. Les nouvelles règles de cotisations et d'acquisition des droits applicables aux nouveaux entrants seraient celles des contractuels. Elles concerneraient les trois fonctions publiques. 


[1] https://www.leparisien.fr/economie/retraites/reforme-des-retraites-les-decrets-sur-la-fin-des-principaux-regimes-speciaux-publies-au-journal-officiel-30-07-2023-UXZYRT3NJJCG7CVMHHWYERVXPI.php

[2] où il est cependant déjà élevé puisqu'il est de 67 ans.

[3] https://www.cprpsncf.fr/publications

[4] en application de l'article 3 de la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire

[5] Source sncf data https://ressources.data.sncf.com/pages/accueil/

[6] https://www.finance-gestion.com/vox-fi/quel-statut-comptable-pour-les-engagements-de-retraite-de-letat/

[7] https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/Publications/Rapport%20annuel/2021/Vues_densemble_2.1.pdf