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Allers-retours public/privé : le pantouflage perdure malgré la disparition de l'ENA

Lorsqu'on fait le bilan de la réforme de l'ENA (aujourd'hui INSP), on constate les problèmes de pantouflage ou de porosité entre politique et haute fonction publique ont été totalement délaissés. en effet, les hauts fonctionnaires peuvent continuer à effectuer des allers-retours entre le privé et le public, ou de faire de la politique sans jamais vraiment risquer de ne pas retrouver de travail. La contractualisation des élèves de l’INSP est donc la grande absente de cette réforme, ce qui est bien regrettable, une vraie réforme de fond aurait dû s’y atteler.

On parle de pantouflage lorsqu’un haut fonctionnaire quitte une fonction publique pour rejoindre une entreprise privée. Ce phénomène a pris une ampleur de plus en plus grande à partir des années 1980 et aujourd’hui, les chiffres des hauts fonctionnaires passant dans le privé sont élevés. Selon l’étude de 2015 de l’ENA et de l’EHESS sur le devenir des anciens élèves, 75,5 % des énarques issus du corps des inspecteurs généraux des finances ont rejoint une entreprise publique ou privée au cours de leur carrière et 34 % d’entre eux ont passé plus de la moitié de leur carrière hors de l‘administration.

De plus, une étude de 2016 des médias Alternatives économiques et Bastamag a recensé les inspecteurs des finances des quarante dernières années et souligné qu’un inspecteur des finances sur deux travaille dans le privé. Enfin, près de la moitié des dirigeants de nationalité française du CAC 40 serait issue de la haute fonction publique.

Encore une fois, le problème ici n'est pas que des hauts fonctionnaires puissent avoir une reconversion privée. Mais, bien qu'ils travaillent dans le privé, ils jouissent d’un statut à vie et peuvent donc effectuer des allers-retours entre privé et public sans jamais vraiment risquer de ne pas retrouver du travail. On doit noter cependant que la réforme des règles de la disponibilité en 2019 a réduit la durée maximale au terme de laquelle un fonctionnaire peut revenir dans son administration d’origine (ce qui revient à raccourcir le délai à partir duquel il est contraint de démissionner de la fonction publique pour pouvoir poursuivre ses fonctions dans le privé). Par ailleurs, le risque du pantouflage est le conflit d’intérêts. Pour surveiller et éventuellement prévenir les conflits d’intérêts, la Haute Autorité de la transparence de la vie publique (HATVP) a été créée en 2013, remplaçant la Commission pour la transparence financière de la vie politique.

Depuis le 1er janvier 2020, la HATVP a absorbé les activités de la Commission de déontologie de la fonction publique, qui examine les reconversions dans le privé des hauts fonctionnaires. La HATVP peut ainsi s’autosaisir en cas de pantouflage, voire de « rétro-pantouflage » (passage du privé au public) depuis la loi du 6 août 2019. Récemment, la haute autorité avait par exemple refusé d’autoriser la reconversion chez l’armateur CMA-CGM de l’ancien ministre Jean-Baptiste Djebbari.

La HATVP mène un contrôle de plus en plus restrictif, au point qu'il peut être considéré comme un obstacle à la reconversion de hauts fonctionnaires, laquelle est pourtant vertueuse quand elle permet de gérer la pyramide des âges dans des ministères (comme Bercy) qui ont moins de postes supérieurs d'encadrement, au point de devoir organiser des « emplois de débouchés », qui relèvent davantage de la pré-retraite que des services opérationnels, comme le contrôle général économique et financier.

Enfin, la Commission de déontologie puis la HATVP ont toujours eu un contrôle bien plus restreint pour les départs vers le public. Alors même que des fonctionnaires travaillant dans des entreprises publiques ou dans des collectivités locales (et bénéficiant alors du régime bien plus favorable du détachement) peuvent mener des actions au détriment des intérêts de l'État. Curieusement, en France, on semble vouloir croire, bien à tort, qu'il n'y a pas de conflit d'intérêts entre public et public.

  • La proposition de la Fondation IFRAP : Cette question du pantouflage impose de faire évoluer le modèle de la haute fonction publique vers un modèle de contractuel d'encadrement. Il sera possible ainsi pour ces contractuels, à l'issue de leur mandat à durée limitée, d’évoluer vers des carrières dans le privé ou de faire de la politique. À l'inverse, le maintien du statut impose que le fonctionnaire donne sa démission avant d'engager une carrière politique ou qu'il s'oriente dans le privé.