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Non, 26 milliardaires ne possèdent pas la moitié du patrimoine de l'humanité

La récente étude de l’ONG Oxfam de janvier 2019 Public Good or Private Wealth ? a fait couler beaucoup d’encre. Celle-ci révèlerait que les 26 milliardaires les plus riches détiendraient un capital représentant autant que celui détenu par les 50% de la population mondiale la plus pauvre en 2018. En réalité, la totalité du patrimoine mondial c'est 317 000 miliards et les 26 possèdent 1395 milliards.

Selon Oxfam, la situation est d’autant plus critique qu’il fallait encore un an auparavant la fortune des 43 premiers milliardaires pour arriver au même résultat. Le patrimoine se concentrerait donc drastiquement en haut de l’échelle mondiale des fortunes. Une raison de plus pour agir…Seulement voilà, la note méthodologique fournie par l’organisme, fait apparaître un certain nombre d’implicites qui permettent d'y voir plus clair. Nous avons croisé ces données avec celles de l’ONU en matière de statistiques démographiques au niveau mondial[1].

 TotalTop 1%Middle 49%Bottom 50%
2017 Q2 ($ billions)311 831147 118163 1721 541
Proportion of Total Wealth100%47,18%52,33%0,49%
Population7 550 262 10175 502 6213 699 628 4293 775 131 051
2018 Q2 ($ billions)317 084149 514166 2001 370
Proportion of Total Wealth100%47,15%52,42%0,43%
Population7 632 819 32576 328 1933 740 081 4693 816 409 663
Change (wealth)5 2532 3963 028-171
Change (%)1,68%1,63%1,86%-11,10%
Change (population)82 557 224825 57240 453 04041 278 612
Change pop LMIC + LIC (pop growth)60 535 893 31,8%68,2%

Sources : Oxfam, ONU, calculs Fondation iFRAP 2019

Nous observons qu’au niveau macroéconomique, la croissance de la richesse profite avant tout à la classe moyenne (les 49% les plus riches hors 1%). Leur patrimoine augmente de 3.028 milliards de dollars, quand celui des 1% les plus riches croît de 2.396 milliards. Seuls les 50% des plus pauvres voient une baisse apparente de leur richesse de 171 milliards de dollars.

Si l’on regarde maintenant la répartition de la richesse mondiale entre ces trois classes, les 1% les plus fortunés (toutes choses égales par ailleurs) passent de 47,2 à 47,1%, soit une stabilité. En revanche la richesse des 49% de la population mondiale suivants, s’accroît de 0,1 point, tandis que celle des 50% les moins riches fléchit de 0,06 point. En clair, c’est la classe moyenne mondiale qui voit sa richesse s’accroître, et semble-t-il au détriment des 50% les plus pauvres.

Et c’est là que regarder l’augmentation de la population devient instructif. La base de l’ONU donne une augmentation de 1,09 point entre 2017 et 2018. Cela représente un solde (naissances moins décès) de +82,56 millions d’individus. Or ces derniers se positionnent quasiment à parts égales entre les 50% les plus pauvres (41,28 millions) et les 49% suivants (40,45 millions). Cependant, lorsque l’on consulte la répartition des populations par rapport à leur richesse, les plus pauvres ressortent pour +60,5 millions parmi la catégorie Low income countries et des Lower middle income countries. A l’exclusion du dynamisme démographique des 1% les plus riches présents dans ces pays (considéré comme négligeable car inférieur au million), 68,2% du dynamisme démographique de ces pays assure une croissance des 50% de la population la plus pauvre, tandis que 31,8% de la population assure la croissance de la population des 49% plus riches.

Une partie de la baisse du patrimoine de la population la plus pauvre (les 50%) provient donc paradoxalement de son dynamisme démographique. La division des patrimoines, en même temps que les phénomènes de « noria » vers les 49% les plus riches pour ceux qui s’en extraient, explique l’affaiblissement apparent de la richesse de ces populations. Elles ont plus d’enfants par famille, les patrimoines croissent moins vite et se divisent sous la poussée démographique.

Au contraire, alors même qu’ils accueillent une démographie presque aussi dynamique, les 49% plus riches arrivent à juguler les effets patrimoniaux de la division de leur patrimoine et augmentent globalement le leur plus qu’aucune autre classe identifiée. C’est la catégorie qui accroît sa richesse le plus rapidement.

Si nous regardons maintenant ces statistiques sur moyenne période :

Dans l’étude précédente d’Oxfam (janvier 2018[2]), la richesse des 50% les plus pauvres est évaluée à 2.691 milliards de $ hors endettement net en 2017[3], contre 2.715 en 2016. Celle-ci fluctue fortement au gré des réévaluations puisqu’elle a baissé à 1.541 milliards en janvier 2019 pour l’année 2017.

Richesse (billions $)20162017Réévaluation2018
Richesse totale(millésime 2018) 311 83131 542317 084
Richesse totale (millésime 2017)271 025280 289  
1% les plus riches (millésime 2018) 147 1186 609149 514
1% les plus riches (millésime 2017)132 884140 509  
49% plus riches (millésime 2018) 163 17226 083166 200
49% plus riches (millésime 2017)135 426137 089  
50% les plus pauvres (millésime 2018) 1 541-1 1501 370
50% les plus pauvres (millésime 2017)2 7152 691  

Sources : Rapports Oxfam 2018 et 2019

Les réévaluations pratiquées entre deux années sont massives. Tout particulièrement pour la classe moyenne mondiale (les 49% plus aisés hors 1% les plus riches). La réévaluation porte à leur endroit sur 26.083 milliards (82,7% de la hausse totale). C’est gigantesque, tandis que les 1% les plus riches sont réévalués de 6.609 milliards et les plus pauvres abaissés de 1.150 milliards.

Ces statistiques doivent donc être prises avec beaucoup de prudence (taux de change, réévaluation de la part de dette dans le patrimoine, etc.) Il apparaît toutefois que c’est la classe moyenne mondiale qui sort grande gagnante de ces évaluations. Une conclusion qui n’est jamais citée explicitement dans ces études.

 

 

[1] https://population.un.org/wpp/DataQuery/

[2] Oxfam, Reward work not wealth (français), janvier 2018, https://oxfam.app.box.com/s/eosi27xj7nxuyywysr06d734ct1xyuev/folder/45012658245

[3] https://oxfam.app.box.com/s/eosi27xj7nxuyywysr06d734ct1xyuev/file/267209869317, voir également pour information l’étude précédente, https://www.oxfam.org/fr/rapports/une-economie-au-service-des-99