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Margaret Thatcher : l'esprit de la réforme de l'Etat

S'il est des leçons à retenir de l'œuvre de Margaret Thatcher, c'est que l'histoire n'est jamais écrite et que la résignation n'a pas sa place en politique. Margaret Thatcher, c'est un destin, une révolution et un héritage.

Rien ne la préparait à une grande destinée. Fille d'un modeste épicier de Grantham, elle s'est hissée au-dessus de sa condition, à la seule force de ses poignets. Députée en 1958, ministre sous Heath, présidente du parti conservateur en 1975, Premier ministre trois fois réélue de janvier 1979 à novembre 1990, sa vie aurait pu n'être que le parcours météorique d'un Rastignac en jupon. Ce qui en fait la singularité, c'est qu'elle l'a mise au service de convictions fortes qu'elle n'a jamais reniées, celles du Self help, de l'entreprise, de l'État modeste, de l'État arbitre, bref d'un libéralisme économique tempéré par la loi et l'ordre.

Elle avait coutume de dire qu'elle avait appris le bien-fondé du libéralisme dans l'arrière-boutique de l'épicerie paternelle où elle avait découvert les bienfaits du travail, de l'effort et du libre-échange. Elle avait hérité de son père, également pasteur méthodiste, une fascination pour « la parabole des talents » qui selon elle formait la base spirituelle et chrétienne des vertus libérales. Tout en découlait. Ses maîtres à penser furent les parrains habituels du libéralisme, Edmund Burke qu'elle citait souvent, Adam Smith et l'idée de « main invisible », les économistes de l'école de Manchester, Samuel Smiles en particulier, dont elle reprenait régulièrement le slogan « self help ». Elle était une adepte de Karl Popper avec ses Misères de l'Historicisme ou de Friedrich von Hayek dont elle avait dit de Constitution on Liberty, « Voici en quoi je crois ». Enfin d'un point de vue plus technique, elle s'inspirait des théories monétaristes de Milton Friedmann, le chef de file de l'école de Chicago. Margaret Thatcher n'était pas une théoricienne. Elle avait fait des études de chimie. Aussi a-t-elle passé ses années d'avant le 10 Downing Street à enrichir sa culture économique. Son itinéraire serait incompréhensible sans le rôle des think tanks libéraux qu'elle fréquenta, en particulier l'lEA (Institute of Economics Affaires) animé par Ralph Harris et Arthur Seldon et le CPS (Center for Policy Studies) de Sir Keith Joseph qui popularisèrent dès les années 1970 les idées libérales qu'elle fit triompher en 1979.

C'est donc un leader aux idées bien affirmées et aux convictions bien trempées qui accède au pouvoir à l'issue de « l 'Hiver du Mécontentement » en 1979. La « révolution thatchérienne » permet au Royaume-Uni de sortir de 30 ans de marasme économique dans lequel l'avait enfermée la gestion keynésienne du Labour mais aussi des Tories, marqué par l'interventionnisme étatique à tout crin, le déficit budgétaire, l'alternance des politiques de relances et de rigueurs, les fameux stop an go, la pression fiscale – jusqu'à 85% pour les plus hauts revenus - et la toute puissance des syndicats. Son action a été marquée par quelques idées forces : rétablissement de l'équilibre budgétaire, contrôle de l'inflation, promotion de la productivité, recherche de l'efficience des marchés aussi bien de celui du travail que de celui de la production proprement dite. Concrètement cela s'est traduit par les premiers budgets en équilibre depuis la deuxième guerre mondiale à partir de 1986, la baisse de la dépense publique de 58 à 46% du PIB, la mise au pas des Trade Unions lors de la grève des mineurs de 1984, une vague de privatisations sans précédent, la libération des marchés financiers avec le « big bang » de la City en 1985-1986 et l'abandon de la politique étatique de soutien aux « canards boîteux » menacés par la concurrence mondiale.

Incontestablement les années Thatcher ont remis la Grande-Bretagne sur les rails. De 1961 à 1979, l'Angleterre était passée du 9 éme au 18 ème rang mondial en PIB par habitant. La Grande-Bretagne était devenue « l'homme malade de l'Europe ». En 1976, elle avait même été contrainte de faire appel à l'aide du FMI. En 1990, le Royaume-Uni a retrouvé le 7 éme rang, sa productivité est passée d'un indice 100 en 1979 à 161, l'inflation a été jugulée, l'équilibre budgétaire pour l'essentiel rétabli.

Mais cela n'a pas été sans difficultés. Lancées en 1980, les réformes n'ont commencé à porter leur fruit qu'en 1984. Les tensions sociales ont été très vives. Le chômage a grimpé jusqu'à 13,4% de la population active avant de retomber à 5,8%, presque le plein emploi. La révolution thatchérienne n'a pu être menée à bien qu'en raison de la ténacité de Margaret. Au départ, chaque mois, les nouvelles étaient de plus en plus calamiteuses En 1981, un collège de 364 experts, parmi les plus réputés avait lancé un appel à « une autre politique ». Sa cote de confiance était tombée à moins de 16% d'opinions favorables. Elle a tenu bon pourtant, en proclamant son célèbre « the Lady isn't for turning », la dame-de-fer- ne fait pas demi-tour. La volonté a payé. C'est la grande leçon de ses années au pouvoir : il est toujours possible de changer de politique économique. A condition d'avoir le temps, de faire preuve de constance, et d'assumer lucidement le risque de l'impopularité.

A l'heure où Margaret Thatcher prononce son « Nunc dimitte », son héritage est immense. Naturellement, le bilan n'est pas sans tache. Les inégalités se sont accrues. La Grande-Bretagne s'est désindustrialisée. Les déséquilibres géographiques perdurent entre l'Angleterre prospère du Sud et un Pays de Galles et une Ecosse appauvries. Mais la plus grande victoire de Margaret Thatcher est d'avoir gagné la bataille des cœurs et des esprits. Le vieux parti travailliste, marxisant et ouvriériste est devenu le « New Labour » adepte de l'économie de marché et de l'efficacité économique. Et un conseiller de Tony Blair, Peter Morrisson a pu lancer en 1999 : « D'une certaine manière, nous sommes tous devenus thatchériens ».