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Macron, Le Pen : La France dans l'Europe et dans le monde

Le sénateur du Rhône et maire de Lyon Gérard Collomb a résumé le second tour de la Présidentielle comme un référendum sur l’Europe. Ce qui revenait, comme son équipe le lui a reproché, à tomber dans le piège tendu par Marine Le Pen, compte tenu de l’hostilité manifeste depuis 2005 d’une grande partie de la population européenne et particulièrement française à l’égard de l’Europe. Et effectivement la moitié environ des électeurs du premier tour a apporté ses votes à des candidats hostiles à l’Europe.

Et pourtant Gérard Collomb a raison sur le fond. On ne peut plus éluder de traiter le sujet au prétexte d’éviter des débats difficiles sur un thème imposé par l’adversaire. L’examen du programme du Front National, comparé à celui d’Emmanuel Macron, ainsi que les gros mensonges proférés sur l’Europe par Marine Le Pen, doivent convaincre de la nécessité d’éliminer cette dernière au second tour. 

Le projet Le Pen : sortir de l’Euro et de l’Europe

 Le programme de Marine Le Pen concernant l’Europe.

Les propositions de Marine Le Pen s’articulent autour des idées suivantes :

1. En général, Retrouver notre liberté et la maîtrise de notre destin en restituant au peuple français sa souveraineté (monétaire, législative, territoriale, économique). Pour cela, une négociation sera engagée avec nos partenaires européens suivie d’un référendum sur notre appartenance à l’Union européenne. L’objectif est de parvenir à un projet européen respectueux de l’indépendance de la France, des souverainetés nationales et qui serve les intérêts des peuples (proposition 1).

2. Sortir de l’euro (propositions 1 et 35 : « rétablissement d’une monnaie nationale »)

3. Cesser d’appliquer nombre de règles européennes :

  • « Instaurer un vrai patriotisme économique en se libérant des contraintes européennes et en réservant la commande publique aux entreprises françaises » (proposition 37)
  • « Supprimer sur notre territoire la directive « détachement des travailleurs qui y crée une concurrence déloyale inadmissible. Mettre en place une taxe additionnelle sur l’embauche de salariés étrangers afin d’assurer effectivement la priorité nationale à l’emploi des Français » (proposition 38)
  • « Abroger la directive européenne sur l’Union Bancaire » (proposition 61)
  • « Ériger la citoyenneté française en privilège pour tous les Français par l’inscription dans la Constitution de la priorité nationale » (proposition 92).
  • Pratiquer « le patriotisme économique » concernant les produits agricoles et ceux de la pêche, et en général ceux qui ne respectent pas les normes françaises (propositions 125 et 129)
  • « Transformer la Politique Agricole Commune en Politique agricole française » en appliquant les règles de subvention purement française (proposition 126)
  • « Refuser les traités de libre-échange (TAFTA, CETA, Australie, Nouvelle-Zélande, etc.) (proposition 127)
  • Cesser de contribuer au budget européen (proposition 43)

4. Abolir le principe européen fondamental de libre concurrence : « La libéralisation du rail voulue par l’Union Européenne sera refusée » (proposition 138)

5. Rétablir le droit pour la France de pratiquer le recours à la planche à billets « en autorisant à nouveau le financement direct du Trésor par la Banque de France ».

Le projet Le Pen, c’est ni plus ni moins qu’une sortie de l’Europe. D’abord une sortie de l’euro, exprimée dans la proposition 35, indépendamment de la proposition 1, laquelle est présentée de façon ambigüe car elle fait référence à un référendum portant sur « l’appartenance à l’Union Européenne » et non pas seulement sur la « souveraineté monétaire ». De sorte qu’on ne sait pas vraiment si Marine Le Pen entend sortir de l’euro indépendamment de l’Europe.

Mais de toutes façons, les propositions du programme énumérées dans l’encadré ci-dessus impliquent bien la méconnaissance des principes européens fondamentaux : non-respect de la liberté de circulation des personnes et des biens (marchandises) et discriminations résultant du « patriotisme économique » ou de la « priorité nationale » (autres noms d’une politique protectionniste), refus d’être lié par les directives et traités européens, refus du principe de concurrence (concernant le rail), cessation de la contribution au budget.

Deux points méritent une explication. L’« abrogation » (?) de la directive sur l’Union bancaire est un point absolument fondamental puisqu’il s’agit des droits de surveillance et de sanction conférés à la BCE en cas de risque de défaillance d’une banque dans les pays de la zone euro, ce qui représente l’avancée majeure de l’UE depuis la création de l’euro. Quant au retour au financement direct du Trésor par la Banque de France, autrement dit la fameuse « planche à billets », Marine Le Pen entend par là sortir d’une interdiction exprimée maintenant par l’article 123 du Traité de Lisbonne, qui interdit en substance aux États membres de se financer directement à taux zéro auprès de la BCE ou des banques centrales nationales. C’est une disposition qui figurait dans une loi française de 1973, mais qui était en fait antérieure, et qui a été introduite dans le Traité de Maastricht en 1992. C’est aussi une règle absolument fondamentale, qui s’applique d’ailleurs à tous les États membres et non pas seulement à l’intérieur de la zone euro. Son non-respect par la France signifierait de facto pour elle la sortie de l’UE.

Le risque d’un « tsunami » catastrophique français et mondial

Il n’est pas étonnant que non seulement l’Europe mais aussi le monde entier aient retenu leur souffle et réagi comme ils l’ont fait (montée des Bourses) à l’avance au premier tour par deux points d’écart d’Emmanuel Macron sur Marine Le Pen, avance jugée (un peu vite ?) comme le signe quasi-certain d’une victoire finale. Ce qui est cause est en effet, compte tenu du rôle central de la France dans la construction européenne, la destruction pure et simple de cette dernière, première économie mondiale, ce qui serait le gage d’une guerre tout aussi mondiale des protectionnismes.

Un tsunami qui concernerait en premier lieu la France elle-même. Pourquoi ? D’un point de vue financier, parce que le recours au principe de la « lex monetae », sur lequel Marine Le Pen entend se reposer[1], est d’application douteuse aux dettes souveraines, surtout dans la mesure où l’euro ne disparaîtrait pas et continuerait d’exister pour les pays qui n’en sortiraient pas ; parce que les dettes privées devront de toutes les façons être remboursées en euros à partir de francs dévalués ; parce que, au-delà du problème du remboursement des dettes échues, se posera le problème des taux qui seront pratiqués pour les emprunts à venir, sujet sur lequel Marine Le Pen n’a pas de réponse.

D’un point de vue économique, parce que la manière dont la fuite des capitaux de source française pourrait être évitée n’est pas explicitée par la candidate ou de façon non crédible ; parce que les capitaux étrangers, dont la France fait grand usage (presque la moitié maintenant des capitaux des entreprises du CAC 40) ne viendraient plus ou seraient retirés ; parce que les Français détenteurs d’épargne et d’actifs mobiliers (plus de 1.600 milliards d’encours des seules assurances-vie…) subiraient des pertes du montant de la dévaluation du franc qui remplacerait l’euro ; parce que la valeur des importations serait encore renchérie pour la même cause, avec une perte correspondante du pouvoir d’achat des Français ; et parce qu’enfin tout protectionnisme  dans une économie mondialisée est intenable et conduit à des mesures de rétorsion.

En fin de compte le programme de Marine Le Pen conduit à la catastrophe. A quoi il faut ajouter que désigner l’Europe comme bouc émissaire des difficultés de la France est un profond mensonge. L’Europe n’est responsable, ni des difficultés de nos agriculteurs, qui en ont au contraire profité par la PAC, ni de nos déficits des finances publiques, pour lesquels nous n’avons jamais été condamnés, ni de nos déficits commerciaux, etc.

Le mensonge le plus grave consiste à confondre les problèmes nés de la mondialisation et la nécessité de ne pas se pénaliser par rapport aux autres pays avec une prétendue responsabilité de l’Europe à qui l’on reprocherait  l’édiction de diktats qui n’existent pas : si la France doit réduire ses déficits, ce n’est pas parce que l’Europe l’impose, mais parce qu’il lui faut conjurer le risque de devenir une autre Argentine. Que Marine Le Pen le veuille ou non, la mondialisation qu’elle qualifie de « sauvage » est un fait, et bien loin d’en être responsable, l’Europe lutte au contraire pour s’organiser face à ses effets[2].

Mais l’Europe doit se réformer et le programme d’Emmanuel Macron n’est pas de tout repos

L’Europe doit avancer quand même pour remédier à ses défauts, sous peine de disparaître sous les coups de boutoir d’une opinion qui s’est traduite dans les urnes : la moitié environ des votes exprimés dimanche se sont portés sur des candidats anti-européens. Le programme d’Emmanuel Macron prétend en tienir compte.

Les propositions d’Emmanuel Macron.

Elles tournent autour de trois objectifs.

1. Prendre le temps du débat par le lancement de conventions démocratiques dans toute l’Europe.

2. Renforcer l’Europe sur les 5 dimensions de la souveraineté :

  • « L’Europe de la sécurité » : police des frontières (5.000 agents), lutte contre l’immigration illégale, fonds européen de défense, système d’information européen, etc. ;
  • « L’Europe de la croissance » : budget et ministre des finances de la zone euro, socle de droits sociaux minimums ;
  • « l’Europe qui protège dans la mondialisation » : renforcement des instruments anti-dumping, Buy European Act, contrôle des investissements étrangers, procureur commercial européen, clauses de coopération fiscale, sociale et environnementale dans les accords commerciaux, etc. ;
  • « L’Europe du développement durable » : réforme du marché carbone et de la PAC ;
  • - « L’Europe du numérique » : fonds de 5 milliards, négociation avec les USA sur la protection des données, création d’une agence européenne pour la confiance numérique.

3. Renforcer l’identité européenne par des réalisations de fait : généralisation du programme Erasmus, statut de l’apprenti.

Contrairement à Marine Le Pen, Emmanuel Macron assigne à l’Europe elle-même le rôle de protection contre les effets négatifs de la mondialisation, au lieu de se positionner contre l’Europe. C’est particulièrement le cas pour ce qu’il a appelé l’Europe de la « croissance » et de la « protection dans la mondialisation ». Tout en restant prudemment en-dessous du fédéralisme, le programme ambitieux lorsqu’il évoque l’Europe de la défense, le budget de la zone euro et surtout l’harmonisation des droits sociaux. Mais c’est infiniment préférable à un rejet pur et simple de l’institution qui permettra aux pays européens d’être plus forts parce qu’unis au lieu de laisser la place à un vide qui se remplira de luttes tant à l’intérieur de l’Europe que vis-à-vis du monde extérieur.

Conclusion

« Au second tour on élimine », dit l’adage. Mises à part les autres raisons qui justifient d’éliminer Marine Le Pen, les seules considérations économiques de la sortie de l’UE, fer de lance du programme très clivant de la candidate, commandent d’assurer cette élimination. Il semble qu’une proportion loin d’être négligeable d’électeurs des neuf candidats battus au premier tour, y compris ceux de François Fillon, soient tentés de se réfugier dans l’abstention. On peut comprendre ce réflexe de déception, mais le risque existerait alors véritablement de favoriser l’élection de Marine Le Pen. Or son élimination constitue la priorité, et voter pour son adversaire le 7 mai ne signifie nullement se lier les mains pour les élections législatives de juin où tout sera encore à jouer.


[1] Selon lequel in Etat rembourse ses dettes dans la devise existant au moment du remboursement.

[2] C’est bien à  l’Europe que l’on doit l’efficacité certaine de la lutte contre les paradis fiscaux, contre la concurrence sauvage, et sans la directive sur les travailleurs détachés la situation serait bien pire. Ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas redoubler d’efforts, ce que fait l’Europe, par exemple en révisant cette dernière directive.