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La DARPA : un modèle d'innovation dans le secteur de la défense aux U.S.A

En plein débat sur l'incapacité des européens ou non à produire certains drones, l'Amérique poursuit sa course à l'excellence technologique avec l'édition du Darpa Robotic Challenge actuellement en cours. La célèbre Defense Advanced Research Projets Agency (DARPA) lance un appel à la création du robot du futur dans les armées.

Cette agence, très célèbre aux États-Unis, a été créée en 1958 en réplique à Spoutnik. Le but affirmé était que la technologie américaine devait être toujours supérieure à celle de ses ennemis. Depuis, cette agence du département de la Défense, très indépendante, a contribué à la création d'inventions qui ont révolutionné la technologie dans le monde militaire et civil comme l'Arpanet qui est devenu Internet ou encore le GPS.

Aujourd'hui, cette agence cherche à positionner les Américains au 1er rang dans le développement technologique des armes de demain dans les domaines de la cyberguerre, de la robotique, des nanotechnologies, du spatial.

Une structure dédiée à l'innovation de rupture

C'est une structure avec un fonctionnement horizontal très souple (2 niveaux hiérarchiques seulement) composée d'un petit effectif (environ 120 personnes) avec un turn-over de 5 ans environ. Mais plus que la structure, c'est véritablement le personnel qui la compose qui en fait une agence performante. Une ancienne directrice de la DARPA, Regina Dugan, avait décrit son organisation comme une « armée d'élite de geeks technophiles futuristes ».

Composé de scientifiques de très haut niveau, on exige de leur part une culture entrepreneuriale forte. Ce qui peut paraître un détail ne l'est pas du tout. En France, la direction générale de l'armement (DGA) est composée de personnes ayant quasiment passé toute leur carrière dans le secteur public, n'ayant jamais connu la stimulation du secteur privé poussant à l'impératif de concurrence et d'innovation permanentes. À la DARPA, on leur demande d'avoir cette envie de changer le monde, en s'investissant par tous les moyens nécessaires.

Ils reprennent le « catéchisme de Heilmeir » (du nom d'un ancien directeur) afin de favoriser l'innovation de rupture :

  • Quels problèmes résolvez-vous et comment ?
  • Comment le problème est-il traité aujourd'hui et quelles sont les limites de ce traitement ?
  • Quelle est votre différence et qu'est-ce qui vous prouve que votre projet va réussir ?
  • En cas de réussite : quel impact et comment le mesurer ?
  • Comment organiserez-vous le développement du programme ?

Les gestionnaires de programmes pour la DARPA doivent donc répondre à des critères mêlant excellence technique et grande confiance en l'avenir. Le caractère de ces personnes définit donc la culture de cette agence du département de la Défense (DoD) : la recherche d'innovation révolutionnaire (pas incrémentale), la collaboration et la multidisciplinarité, un goût développé du risque et une forte tolérance à l'échec.

Disposant d'un budget élevé (environ 3 milliards de dollars), la DARPA, par sa structure, consacre une très faible part de son budget à ses coûts de fonctionnement. L'essentiel est donc consacré à ses études et programmes. Néanmoins, la DARPA ne fait quasiment rien elle-même. Elle sous-traite à de multiples laboratoires universitaires et entreprises. Dans la possibilité des clauses de leurs contrats, la reprise d'applications dans la technologie civile est possible. Cela permet à ces entreprises d'avoir un grand avantage en termes de financement de leurs recherches. Ce processus permet de favoriser l'innovation duale, aux retombées militaires et civiles.

[(DARPA Grand Challenge

Les Américains sont de grands amateurs de compétitions scientifiques. Ils sont persuadés de l'efficacité de la méthode dite de « crowdsourcing » (« les ressources de la foule ») : on part du principe que la solution peut venir de n'importe qui autour de nous et qu'il faut donc solliciter le plus grand nombre de personnes, car la diversité des contributeurs est source de qualité et d'innovation.

La première édition a eu lieu en 2004 : les équipes devaient concevoir un véhicule sans pilote, capable de parcourir un circuit dans le désert des Mojaves en moins de 10 heures. Puis l'édition a été rééditée en 2005.

En 2007, changement de décor : la compétition a eu lieu en ville, donnant le nouveau nom de DARPA Urban Challenge. Les trois premières équipes recevaient successivement 2 millions de dollars, 1 million et 500 mille dollars.

L'édition 2012 se nomme cette fois la DARPA Robotic Challenge où il s'agit de créer un robot de forme humaine capable d'exécuter de multiples tâches dans un environnement dangereux.

La prochaine édition sera le DARPA Spectrum Challenge)]

Le système français de R&T de défense : une amorce d'évolution ?

La France n'a plus les moyens de se lancer dans de grands programmes d'équipements comme dans les années 1960. Dans un contexte de fin de guerre froide et de baisse du budget de la Défense, Jean-Yves Helmer a réformé la DGA en 1996 en l'orientant vers de la recherche incrémentale, et en diminuant de 30% les budgets en R&T. Il a également supprimé la DRET (Direction de la Recherche et des Études Techniques), qui était la structure chargée de l'innovation de rupture au sein de la DGA.

La France n'est pas un pays très dynamique en termes d'innovation. Ce problème n'est évidemment pas spécifique à la Défense. L'innovation en France reste avant tout un problème culturel et structurel. Nous avons un État trop centralisateur, avec une résistance des structures dirigeantes au changement, peu favorable au brassage des compétences.

De plus, notre modèle de marché n'est pas du tout favorable aux PME innovantes. La structure économique favorise les grands groupes, et brime les PME. Les PME font face à de nombreuses difficultés : obstacles administratifs, relations difficiles avec les banques, liens de sous-traitance avec les grands groupes. Sans compter qu'au final, les grands groupes en France ont tendance à absorber rapidement toute PME qui émerge par son dynamisme et son innovation.

Différents freins à l'innovation ont également été identifiés dans un rapport des ingénieurs et scientifiques de France (« Les Cahiers ») : l'impératif de maîtrise des coûts et des délais ; une faible tolérance à l'échec dans notre culture française ; la recherche de rationalité et d'efficacité empêchant la naissance de réelles innovations.

Récemment, on a néanmoins vu une nouvelle forme d'approche par la DGA de cette question de l'innovation. Le 27 novembre 2012, celle-ci a lancé son premier « Forum Innovation » ayant pour objet la rencontre entre les experts de la DGA, les entreprises (particulièrement les PME) et les laboratoires de recherche. Le but était de permettre le dialogue entre ces différents milieux, la découverte des outils de financement de l'innovation de la DGA et la présentation d'une centaine de projets d'acteurs de l'innovation.

Le ministère de la Défense a également mis en place en novembre 2012 le « Pacte Défense ». Ce pacte a 4 axes principaux : la prise en compte des PME et ETI dans la stratégie d'achat du ministère, un soutien financier accru et consolidé aux PME pour la R&D, des conventions bilatérales pour favoriser la croissance des PME par un dialogue amélioré entre les industriels et le ministère, et le développement de l'action en région.

Il faut donc continuer dans cette voie-là en favorisant le développement de l'innovation duale (mode de gestion de l'innovation de Défense qui permet de faire des économies d'échelle et des externalités dans le secteur civil), procéder au rapprochement des normes civiles et militaires, continuer à décentraliser les structures d'innovation pour favoriser l'innovation en réseau.

Conclusion

Les récentes prises d'orientations du ministère dans la Défense vont dans le bon sens : remise au centre des préoccupations de l'innovation par la DGA (bien qu'elle ne soit pas particulièrement centrée sur l'innovation de rupture), un « pacte Défense » en faveur des PME.

Toutefois, il manque encore une structure avec cette ambition qu'à la DARPA de réellement révolutionner la technologie militaire. Deux grands défauts persistent encore dans l'approche de l'innovation de la défense française : un manque d'ouverture vers le secteur privé dans ces structures, un poids bureaucratique et centralisateur nuisant à l'innovation.

Si l'État doit apporter son concours financier à la R&D, il doit laisser aux structures en charge de l'innovation une grande autonomie et indépendance, avec des règles de fonctionnement souples. La rigidité des structures administratives françaises nuit à l'innovation. Le lancement de compétitions scientifiques par la DGA pourrait être un premier signe d'ouverture vers le secteur privé, annonçant le début d'une forme d'utilisation de « crowdsourcing » à la française.