Actualité

Effectifs de sécurité intérieure : la France dans la moyenne européenne

Les attentats récents du 29 octobre 2020 jettent une lumière crue sur l’importance stratégique des forces de l’ordre « supplétives » ou « complémentaires » aux forces de sécurité nationales dans le cadre des opérations de sécurité publique. A Nice, il s’est agit de l’intervention décisive de la police municipale qui localement jouit d’une synergie inédite avec les services déconcentrés de la police nationale (PC partagé, prêts de matériel, bientôt hôtel des polices commun etc.). Mais plus largement il est intéressant de considérer les effectifs qui sont en présence et dont disposent chaque pays européen en la matière, qu’il s’agisse de la sécurité publique au sens large traditionnellement dévolue avec l’ordre public aux forces nationales ou de la tranquillité publique qui peut être déléguée au non à des polices municipales (ainsi que certaines missions de police judiciaire).

Or il apparaît que le nombre des forces de sécurité intérieure en France se trouve dans la moyenne haute des pays européens comparables. La question devrait donc rebondir sur l’utilisation optimisée des forces (doctrine d’emploi) et de leurs moyens que d’une logique uniquement capacitaire (reposant sur les seuls effectifs disponibles).

La Cour des comptes dans un récent rapport sur les forces de police municipale[1] offre un panorama à jour des effectifs en 2017[2] dans plusieurs pays d’Europe

Comparaison européenne des forces de sécurité

 

Allemagne

Belgique

Espagne

France

Italie

Pays-Bas

Roy.- Uni

Total échantillon

Population (millions d'habitants)

83

11

47

67

61

17

66

352

Effectifs gendarmerie (& assimilés)

 

 

77 400

100 000

111 000

6 500

 

294 900

Effectifs de la police nationale

56 700

12 500

65 000

150 000

162 000

66 000

32 000

544 200

Effectif des "polices locales"

254 000

37 300

26 700

 

60 000

 

127 000

596 900

Effectif des polices municipales

 

68 400

23 500

 

 

Effectifs des ASVP

 

 

 

7 900

 

23 700

 

 

Effectif total FSI

310 700

49 800

237 500

281 400

333 000

96 200

159 000

1 436 000

Taux d'encadrement/1000 habitants

3,8

4,4

5,1

4,2

5,5

5,6

2,4

4,1

Militaires (opérations santinelle ou similaires)

 

 

 

10 000

7 000

 

 

17 000

Douanes

 

 

 

8 000

11 000

 

 

19 000

Total des forces "supplétives"

0

0

0

18 000

18 000

0

0

36 000

Total des forces de sécurité

310 700

49 800

237 500

299 400

351 000

96 200

159 000

1 472 000

Taux d'encadrement/1000 habitants

3,8

4,4

5,1

4,5

5,8

5,7

2,4

4,2

Sources : Cour des comptes 2020, Fondation iFRAP (novembre 2020).

Des différences d’organisation et de doctrine d’emploi notables

L’analyse globale qui ressort de cette présentation permet de dégager trois tendances :

  • Certains pays font le choix de ne pas disposer de polices municipales. Il s’agit des Pays-Bas et du Royaume-Uni.
    • La Hollande comme la France dispose d’une police nationale de 61.000 agents à statut civil ainsi que d’une gendarmerie royale sous statut militaire (leg de l’époque napoléonienne) de 6.500 hommes. La police nationale hollandaise depuis 1993 s’est renforcée de l’intégration de l’ensemble des effectifs des polices locales. Elle dispose cependant comme la France de l’équivalent des ASVP (agents surveillance de la voie publique), les « agents de la paix » au nombre de 23.700, employés municipaux non armés et dotés de pouvoirs contraventionnels. La gouvernance des questions de sécurité est entièrement locale et relève du « community policing » (triangle décisionnaire : maire, procureur du roi, chef de la région police).
    • Le Royaume-Uni développe lui aussi une politique de « community policing » avec une très forte emprise locale et de proximité « neighbourhood policing ». Les forces de police sont réparties en 45 forces territoriales (Angleterre (39), Pays de Galles (4), Ecosse (1), Irlande du Nord (1)) suivant une structure quadripartite (sécurité publique, police judiciaire, formation-éthique, administration-soutien). Les effectifs étant répartis entre 32.000 policiers « nationaux » et 127.000 policiers locaux, répartis sur base « métropolitaines ». Ainsi le Met (Metropolitan police service) de Londres représente (hors City) près de 46.000 agents.
  • D’autres pays choisissent de s’appuyer indistinctement sur les effectifs de police fédéraux, locaux ou communaux : c’est le cas de l’Allemagne et de la Belgique.
    • L’Allemagne ne dispose pas de police municipale en tant que telle mais de Landpolizei afin de s’assurer de l’ordre et de la sécurité publics. Cette police locale regroupe la « police de protection » (une police urbaine en uniforme), les forces de police judiciaires locales, des forces de police routières et autoroutières, des forces de maintien de l’ordre et des forces spéciales locales soit 254.000 hommes. Viennent s’y ajouter les forces de police fédérales soit 56.700 hommes largo sensu, dont la Bundespolizei (BPol, 39.000 agents) en charge des compétences fédérales en matière de police criminelle, de maintien de l’ordre et de sécurité publique. Les deux niveaux sont totalement autonomes.
    • La Belgique a fusionné en 1998 sa police communale avec la police judiciaire « près des parquets » et la gendarmerie nationale belge. Il s’agit désormais d’une structure intégrée à deux niveaux chacun autonome. La police locale (187 zones, soit 37.300 agents) relève de l’autorité des bourgmestres et s’assure des activités de police générale. La police « fédérale » est une police aux missions spécialisées (judiciaire, renseignement, maintien de l’ordre) qui emploie 12.500 agents. La doctrine d’emploi des forces relève comme aux Pays-Bas et au Royaume-Uni du « community policing ».
  • D’autres enfin jouent sur une complémentarité des polices nationales et municipales, c’est le cas de l’Italie, de l’Espagne et de la France :
    • L’Italie dispose comme la France de deux forces de police nationale, militarisée (111.000 hommes) les carabiniers à l’instar des gendarmes français et la police nationale (162.000 agents civils). Les polices locales sont chargées de missions de proximité (60.000 hommes), elles sont coordonnées par les régions qui ont uniformisé leur statut.
    • L’Espagne agrège trois niveaux de forces de l’ordre différentes : les forces de sécurité nationales (Guardi civil (militaire), 77.000 agents ; Corps de police national (CNP), civil, de 65.000 agents). Le CNP n’intervient qu’en milieu urbain contrairement à la Guardi civil qui se déploie sur tout le territoire. Les communautés autonomes (régions) disposent pour 4 d’entre elles (Catalogne, Navarre, Pays-Basque, Iles Canaries) de leur propre police, tandis que les cinq autres disposent d’unités de polices sur lesquelles elles ont une autorité fonctionnelle bien que dépendant organiquement de l’Etat, soit 26.700 agents. Les polices municipales peuvent être créées par les villes de 5.000 habitants ou plus. Elles représentent 68.400 agents.
    • La France enfin dispose de forces de sécurité nationales de 250.000 agents (150.000 pour la police nationale en milieu urbain et 100.000 pour la gendarmerie). Les communes disposent de 23.500 agents de police municipale, mais aussi de 7.900 ASVP (agents de surveillance de la voie publique), ainsi que de 725 gardes-champêtres (non représentés dans le tableau). Les compétences de la police municipale sont réduites (sécurité publique et ordre public (en appui de la police nationale en fonction des conventions de coordinations signées) et tranquillité publique), les forces de police judiciaire étant l’apanage des forces de sécurité nationales.

S’agissant du niveau global des forces de sécurité intérieure la France est bien lotie

Le ratio des forces de sécurité intérieure pour 1000 habitants (ratio FSI) varie de 2,4 (Royaume-Uni) à 5,6 (Pays-Bas), tandis que la moyenne du panel de pays choisi se situe autour de 4,1. La France se situe dans la moyenne avec un ratio de 4,2. L’Espagne et l’Italie sont bien au-dessus (comme la Hollande) avec des ratios respectifs de 5,1 et de 5,5.

Si maintenant on choisit de retenir un agrégat plus étendu pour inclure les forces exceptionnelles mobilisées dans le cadre de la lutte antiterroriste (sentinelle, 10.000 hommes), ainsi que les forces auxiliaires régulières (douanes) les ratios sont en définitive peu modifiés et s’améliorent encore pour la France et l’Italie (+0,3 points), tandis que la moyenne de l’échantillon augmente de 0,1 point (à 4,2/1000 habitants). Avec un ratio de 4,5 agents/1000 habitants, la France se situe désormais bien au-dessus de la moyenne de l’échantillon. Pour y parvenir on y ajoute les forces militaires et des douanes (armés) mobilisées en France et en Italie en appui des forces de sécurité notamment pour faire face aux menaces terroristes et à la lutte contre l’immigration clandestine. La Cour des comptes n’a pas intégré les effectifs douaniers dans les autres pays dont agents ne sont pas considérés en tant que tels comme des forces de sécurité intérieures (on peut penser ici aux douaniers britanniques qui sont considérés comme appartenant au ministère des finances (le HMRC, pour Her Majesty Revenue and Customs) etc.

On peut donc considérer que la France dispose d’un niveau suffisant de forces de sécurité intérieure. Le manque s’il existe se situe plus dans la disponibilité de ces forces « dans la rue » plutôt qu’au bureau mais aussi en termes d’équipement[3].

Une réduction des tâches indues par une ouverture maîtrisée vers le secteur privé

Si l’on regarde maintenant le niveau des forces supplétives qui pourraient être mobilisées sur les tâches considérées comme indues par les FSI de plein exercice par des délégations plus importantes au secteur de la sécurité privée (gardes statiques, extractions administratives et judiciaires etc.) les marges de manœuvres disponibles pour les différents pays sont largement modifiées : les forces supplétives seraient particulièrement importantes au Royaume-Uni, en Allemagne et en France. Le Royaume-Uni d’un nombre d’agents de sécurité privés le plus important d’Europe soit 231.680[4]. L’Italie dispose en particulier de près de 65.000 agents de sécurité privés armés sur son territoire. Pour ne retenir que les effectifs disposant d’une licence[5] :

 

Allemagne

Belgique

Espagne

France

Italie

Pays-Bas

Roy.- Uni

Total échantillon

Effectifs de la sécurité privée

207 000[6]

18 000[7]

65 000

167 800[8]

65 000

27 928[9]

231 680[10]

782 408

Sources : Cour des comptes 2020, CoESS (2017), Fondation iFRAP (novembre 2020).

L’inclusion des forces de sécurité privées susceptibles d’être « mobilisées » pour assister les forces de sécurité publique permettrait une homogénéisation du ratio des forces de sécurité. L’ensemble des ratios convergeraient (écart de 1,4 agent/1000 habitants entre le plus haut et le plus bas) contre 3,2 agents/1000 habitants en ne considérant que les FSI publiques de droit commun. Cela montre le potentiel d’externalisation que les pouvoirs publics pourraient réaliser dans le cadre de la mise en place d’un véritable dispositif de sécurité globale[11] en direction du secteur de la sécurité privée.


[1] Voir Cour des comptes, Les polices municipales, octobre 2020, https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-10/20201020-rapport-polices-municipales_0.pdf, en particulier l’annexe VII, p.147.

[2] Qu’il faut compléter par son insertion de 2018 sur les activités de sécurité privée dans le cadre de son rapport annuel, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2018-02/05-activites-privees-securite-Tome-1.pdf, p.175. Les données sont relatives à l’année 2016.

[3] Ce qui rejoint le propos de Christian Jacob président des Républicains sur la question des moyens plus que des effectifs : https://republicains.fr/actualites/2020/11/16/christian-jacob-rearmons-nous-face-a-lislamisme-et-a-lultraviolence/

[4] Chiffre CoESS, cohérent avec l’évaluation Ecorys pays, voir le rapport particulier p.53 https://ec.europa.eu/home-affairs/sites/homeaffairs/files/e-library/documents/policies/security/reference-documents/docs/final_security_survey_descriptive_analysis_uk_en.pdf

[5] Ce qui permet de faire un distinguo avec l’emploi dans l’ensemble du secteur de la sécurité privée qui comporte d’après la méthodologie de l’Etude Ecorys des effectifs répartis entre cybersécurité, production de sécurité, et autres services, ainsi qu’un retraitement pour les effectifs utilisés dans le cadre des activités de défense. Il s’agit donc du segment net des effectifs alloués au secteur des PMC (Private military companies), donc l’effectif PSC (private security companies), comprenant les autres services de sécurité.

[6] Ecorys, Study on the development of statistical data on the European security technological and industrial base, Final Report, Commission européenne, DG Migration and Home Affairs, Rotterdam, juin 2015, https://ec.europa.eu/home-affairs/sites/homeaffairs/files/e-library/documents/policies/security/reference-documents/docs/security_statistics_-_final_report_en.pdf, coherent avec les statistiques pour 2015 fournies par CO ESS s’agissant de l’Allemagne, 207.000 pour la sécurité privée stricto sensu, contre 246.903 pour les données CO ESS 2015.

[7] CoESS, Facts & Figures 2017 (data 2015), https://www.coess.org/newsroom.php?page=facts-and-figures

[8] Cour des comptes, rapport annuel 2018, op.cit.

[9] CoESS, op. cit ;

[10] CoESS, op. cit;

[11] Voir en particulier la proposition de loi en cours de discussion sur la sécurité gloable, http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/securite_globale1, ainsi que le Livre Blanc de la Sécurité intérieure, https://mobile.interieur.gouv.fr/Actualites/L-actu-du-Ministere/Livre-blanc-de-la-securite-interieure