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Brexit : un divorce à l’anglaise qui coûterait cher à la France

Initialement prévu le 29 mars 2019, le Brexit a été reporté une première fois le 12 avril de la même année, puis une seconde fois le 31 octobre. Il a finalement été fixé le 31 janvier 2020. A compter de ce jour, la “période de transition” a commencé, s’étendant théoriquement jusqu’au 31 décembre 2020. Le Royaume-Uni doit continuer à négocier ses relations futures avec l’Union et s’entendre sur un accord avant la date butoir. Cependant, il ne reste qu’une poignée de semaines aux deux camps, qui semblent bien loin de trouver un arrangement qui mettrait fin à 47 années de (dés)amour. Quelles seraient donc les conséquences d’une sortie sans accord pour l’ensemble des Etats membres de l’UE mais surtout pour la France, un des principaux partenaires économiques du Royaume-Uni ?

Où en sont les négociations ?

Boris Johnson, l’actuel Premier ministre britannique, avait imposé à l’Union européenne de trouver un terrain d’entente avant le 15 octobre. COVID oblige et faute d’accord, le Conseil européen a fait une demande d’allongement de la période de pourparlers. Les deux camps ont des avis trop divergents sur de nombreux sujets, dont la pêche, l’accès aux eaux et les règles de concurrence font partie. Les européens ont en effet bien plus recours aux poissonneuses eaux britanniques qu’inversement et le gouvernement de Johnson utilise cette dépendance comme moyen de pression. Le Royaume-Uni possède la zone de pêche la plus vaste du continent, considérée légalement comme une Zone Économique Exclusive à laquelle les 27 Etats membres avaient jusque-là accès[1]. Ainsi, près de 700.000 tonnes de poissons sont pêchées chaque année par les européens dans les eaux britanniques, contre seulement 150.000 tonnes à l’inverse[2].

A noter également que la Chambre des Communes a adopté, le 29 septembre, une loi sur le marché intérieur national, lui permettant de contourner le protocole nord-irlandais de “backstop” entré en vigueur en février 2020. La question du rétablissement d’une frontière physique avec la République d’Irlande mettant en danger la libre-circulation des individus et des biens, le gouvernement s’était mis d’accord sur un “filet de sécurité”, pour que l’Irlande du Nord continue d’appliquer la réglementation européenne.

Autant de points de désaccord qui retardent la signature d’un accord. Si le Royaume-Uni a finalement accepté de reprendre les négociations le jeudi 22 octobre, à l’heure où nous écrivons ces lignes, aucune avancée significative n’a été observée...

 “Hard Brexit” vs. “Soft Brexit” :  à combien sont chiffrées les pertes européennes ?

Tout d’abord, en quoi consisterait le “Hard Brexit” ou “No deal” tant redouté ?  Simplement en un rétablissement total des droits de douane entre l’UE et le Royaume-Uni, comme le prévoient les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce. De l’autre côté du spectre, un “Soft Brexit'' permettrait la mise en place d’un accord de libre-échange et donc d’avantages tarifaires.

Qui seraient les grands perdants d’un “No deal” ?  L’Allemagne, les Pays-Bas et la France. Selon une étude publiée par l’agence de crédit britannique Euler Hermes[3], un “Hard Brexit” se solderait par une perte de 33 milliards d’exportations européennes en 2021 tandis qu’un “Soft Brexit” avec accord réduirait de moitié ce chiffre. Les pertes à l’export allemandes seraient de 8,2 milliards, contre 4,2 milliards en cas d’accord. Les Pays-Bas et la France perdraient respectivement 4,8 et 3,6 milliards en cas de “Hard Brexit” et 2,6 et 1,9 en cas de “Soft Brexit”. En outre, à l’échelle européenne, un “No deal” coûterait plus de 10 milliards au secteur automobile[4].

Tableau 1 : Pertes à l’export en cas de “Hard Brexit” et de “Soft Brexit”, en milliards d’€

 

HARD BREXIT

SOFT BREXIT

Union Européenne

-33

-18

Allemagne

-8,2

-4,2

Pays-Bas

-4,8

-2,6

France

-3,6

-1,9

Concernant la France, si l’UE et le Royaume-Uni ne trouvent pas d’accord, les secteurs les plus touchés seraient les transports et l’équipement (-759 millions d’euros), la chimie (-477 millions d’euros) ainsi que l’alimentaire (-305 millions d’euros). Les producteurs de vin et de spiritueux français se verraient fortement impactés par un no-deal, le Royaume-Uni étant le deuxième plus gros acheteur[5]. Les pêcheurs français seraient également perdants en cas de fermeture des accès maritimes, en tant que sixième pays le plus dépendant des eaux britanniques[6], avec 30% des prises se faisant dans ces dernières. Finalement, c’est plus de 50.000 emplois directs français qui seraient menacés en cas de “Hard Brexit”[7].

Le Royaume-Uni, gagnant ou perdant en cas de “Hard-Brexit” ?

Contrairement à ce que leur gouvernement affirme, les britanniques seraient plus qu’affectés par une sortie sans accord. Toujours selon Euler Hermes, le PIB du pays chuterait de 5% en 2021, année pourtant tant attendue de la reprise économique post-Covid. Le pays de Boris Johnson connaîtrait également une baisse drastique des investissements (-15%) et des exportations ainsi qu’une dépréciation de la livre d’environ 10%. Enfin, puisque le prix des biens importés dans l’île augmenterait avec le rétablissement total des droits de douane, le Royaume-Uni serait victime d’une inflation de plus de 5% sur une durée de plus de 6 mois. L’étude souligne cependant que la croissance du pays serait positive en cas d’accord, en parallèle d’une inflation maintenue à 1,5%.

Pour conclure, et comme l’a très bien souligné le négociateur en chef de l’Union, Michel Barnier, dès 2019, un “Hard Brexit” est un jeu de perdant-perdant[8]. Les chances d’obtention d’un accord ont été chiffrées à 55% par Euler Hermes, chiffre qui ne fait que décroitre au fur et à mesure que la date butoir se rapproche. Les deux seules issues de secours consisteraient en une extension de la période de négociations, ou un accord de dernière minute conforme à la stratégie de “menace maximale” dont seul Johnson a le secret. Reste qu'à moyen terme des mesures de contournement pourraient être mises en place par la Grande-Bretagne au détriment de l'Union européenne : développement de son propre réseau conventionnel bilatéral comme récemment avec la Suisse (et la création d'imporia déjà intégrés à l'espace économique européen et à Schengen), recentrage et renforcement de la spécialisation de la City de Londres sur les marchés monétaires (43% du trade des devises en 2019), réorientation vers l'Asie à commencer par le marché financier chinois (cotations en Renminbi, etc.) 


[1] En vertu de la politique commune de la pêche (PCP) instaurée dans les années 80.

[2] Source: Parlement européen, FIDES, 2015.

[3]https://www.eulerhermes.com/en_global/news-insights/economic-insights/A-hard-Brexit-could-cost-the-EU-EUR33bn-in-annual-exports.html

[4] Selon une enquête BMW.

[5] Voir l’étude de “Toute l’Europe” : https://www.touteleurope.eu/actualite/brexit-quel-serait-l-impact-d-un-no-deal-pour-la-france.html

[6] https://www.vie-publique.fr/en-bref/274755-peche-europeenne-les-consequences-du-brexit

[7] Voir l’étude de l’institut IWH https://www.touteleurope.eu/actualite/brexit-quel-serait-l-impact-d-un-no-deal-pour-la-france.html

[8]https://www.lemonde.fr/festival/article/2019/10/05/michel-barnier-un-accord-sur-le-brexit-est-tres-difficile-mais-il-reste-possible_6014381_4415198.html