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Transition énergétique et métaux rares : l’Europe, hyper dépendante

Il est urgent d’estimer notre potentiel minier

L’exploration de nos fonds marins, notamment pour estimer notre accès à certains métaux rares, fait partie des engagements d’Emmanuel Macron dans le cadre du plan « France 2030 ».  2 milliards d’euros doivent être consacrés à cette question sur 5 ans. En parallèle, la France dispose, déjà, d'une usine de l'entreprise belge, Solvay, à la Rochelle « l'un des très rares métallurgistes capables de produire des terres rares séparées en dehors de Chine ». Un investissement loin d’être suffisant pour assurer notre indépendance sur le sujet car la question de l’approvisionnement et du traitement des métaux rares va, en effet, devenir de plus en plus centrale. Cela alors que la Chine représente 50 à 60% des réserves mondiales mais produit 90% des terres rares actuellement. En 2016, un rapport du Sénat pointait du doigt que le « sous-sol français est méconnu » (le dernier inventaire minier date de 1991), qu’on ne connait pas notre horizon géologique en dessous de 100m alors que des particules de terres rares ont été retrouvées en Bretagne, en Guyane et en Polynésie.

La transition écologique pose un changement de dynamique quant à la demande de matière première. Alors que la part des énergies fossiles tend à se réduire et la demande en métaux rares, déjà importante, devrait radicalement augmenter. En effet, la construction d’infrastructures telles que des panneaux solaires, les éoliennes terrestres et marines, les batteries pour les voitures et stockage de l’électricité, etc., nécessitent ces éléments dont l’extraction et le traitement posent des problèmes de pollution et créent des déchets toxiques. Des problématiques qui freinent actuellement la France et plus largement, l’Union européenne.

En 2021, les 4 pays ci-dessus regroupaient 93 % de l’approvisionnement en terres rares mondial. Il est aussi à noter que « contrairement à leur nom, les métaux rares ne sont pas si rares : certaines, comme le cérium, sont aussi répandus dans l’écorce terrestre que d’autres métaux plus usuels comme le cuivre. », ils sont qualifiés de rares « car ils sont difficiles à détecter, à exploiter et à isoler chimiquement »[1]. De même certains pays disposent de réserves gigantesques mais restent des nains en termes d’extraction minière, le Vietnam possède la deuxième plus grande réserve au monde après la Chine (22 millions de tonnes d’oxydes de terres rares) mais représente moins de 1 % de l’extraction minière mondiale.

Source : United States Geological Survey, Mineral Commodity Survey 2022 – Rare Earths

La dépendance européenne aux matériaux « critiques »

En plus des terres rares, la Commission Européenne a identifié 28 autres matériaux dits « critiques » que la transition énergétique consomme en grande quantité. Ci-après une sélection des plus grandes dépendances de l’Union Européenne.

1er exemple de dépendance : les batteries des véhicules électriques

Sources : Commission Européenne, rapport « Résilience des matières premières critiques : la voie à suivre pour un renforcement de la sécurité et de la durabilité », Septembre 2020. Les Echos pour les cours boursiers du Lithium & Cobalt.

2ème exemple de dépendance : les énergies renouvelables

  • Cellules photovoltaïques

  • Aimants permanents des éoliennes offshore.

Sources : Commission Européenne, rapport « Résilience des matières premières critiques : la voie à suivre pour un renforcement de la sécurité et de la durabilité », Septembre 2020. Les Echos pour les cours boursiers du Silicium & Gallium Statista pour les prévisions des prix des terres rares lourdes en 2025

Au niveau des semi-conducteurs l’UE subie une double dépendance :

  • Une dépendance au niveau de la conception : les géants du secteur étant essentiellement américains : Nvdia, Intel, Qualcom, Micron, Broadcom et Texas Instruments se partagent un tiers du marché mondial à eux seuls[2].
  • Une dépendance au niveau de la production : l’Asie produit plus de 60 % des semi-conducteurs vendus dans le monde notamment à travers Samsung Electronics (Corée du Sud), TSMC (Taiwan), Sony (Japon) et SMIC (Chine)[3].

La marginalisation actuelle de l’Europe et a fortiori de la France dans la répartition de la chaîne de valeur globale mondiale du marché des semi-conducteurs nous rend particulièrement vulnérables aux pénuries de ces composants critiques. La preuve en est que l’usine Stellantis de Rennes stoppe sa production du 22 Juin au 1er Juillet 2022 par manque de semi-conducteurs[4].

Des impulsions ont, néanmoins, été lancées notamment un plan européen d’investissement dit Chips Act de 52 milliards d’euros d’ici à 2030 pour à terme sécuriser 20 % des part du marché mondial de semi-conducteurs[5]. Ce plan pourrait être contrarié par un manque de main d’œuvre qualifiée dans ce secteur et un manque d’investissements d’acteurs privés notamment étrangers limités dans leurs possibilités par la nouvelle taxonomie européenne.[6] Ou encore, la création en 2017 de l’European Alliance Battery vise à consolider l’approvisionnement et la production de batteries avec l’objectif de répondre à la demande du continent de manière autonome et ce dès 2025[7].

Sol européen : quelle possibilité d’extraction minière ?

Il faut cependant aller beaucoup plus loin avant que la transition énergétique en cours ne fasse basculer notre dépendance du pétrole du Moyen-Orient aux nouveaux acteurs asiatiques et américains. L’Europe, et la France, payent déjà ce manque de vision stratégique avec les multiples usines à l’arrêt en attendant des nouveaux stocks de composants critiques. Cela alors que l’Europe dispose des ressources sur son propre continent : Graphite, Lithium, Nickel, Cobalt, etc… dont l’extraction est limitée par « le manque d’investissement dans l’exploration et l’exploitation minière, la diversité et la longueur des procédures nationales d’autorisation ou le faible niveau d’acceptation du public »[8].

C’est ce retard et ce manque d’exploration qu’il faut, dans un premier temps, dépasser et pour cela, nous aurons besoin d’une véritable volonté politique pour estimer notre potentiel minier. 

  • Potentiel européen

Source : ProMine Mineral Database partners and EuroGeoSurveys Mineral Ressources Expert Group, “A Note on the map of Critical Raw Material deposits of Europe, 2015.

La carte ci-dessus montre que le continent européen est plutôt bien doté en termes de ressources naturelles, les fameuses terres rares étant en abondance en Grèce, Finlande et Suède. Par exemple, alors que le Niobium est considéré comme un matériau critique avec notamment des applications dans la Défense (il fait partie intégrante des moteurs des A400M, soit la flotte de transport stratégique de l’armée française[9]), la France dispose d’un dépôt de Niobium Classe A (super-large) pour autant celui-ci n’est pas exploité et l’Union européenne reste dépendante à 100 % du Brésil et Canada.

Et à la vue des dernières positions prises par le Parlement européen, la situation a peu de chance de s’améliorer. En effet l’avis rendu sur la stratégie européenne d’approvisionnement en matières critiques demande à la Commission de privilégier une stratégie qui repose sur un logiciel « au niveau international à long terme ». Enfin, il l’invite à « renforcer les partenariats et les accords commerciaux existants ainsi que d’établir de nouveaux partenariats stratégiques ou de nouvelles entreprises communes de l’Union avec des pays riches en ressources naturelles »[10]. Ipso facto, pas de regain d’autonomie stratégique en vue à court et moyen terme. En bref, l’Europe choisit de ne pas ouvrir des mines sur le sol européen pour des raisons écologiques tout en important ces ressources qu’elles pourraient produire en tankers depuis des pays lointains.

  • Focus sur la France

En France, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) mène des enquêtes depuis 2018 pour présenter un atlas des substances critiques et stratégiques en France et 13% des leurs "enregistrements" contenaient des indications de production, de réserves et/ou de ressources. Ainis, le BRGM estime que la France possède encore des ressources de Tungstène de pour 100 000 t WO3. Si la France était l'un des principal producteur de ce métal jusqu'en 1986, la Chine représente aujourd'hui 84% de la production mondiale. Même chose pour l'Antimoine : si la France occupait le 1er rang mondial de cette production de 1890 à 1908, elle possède encore des ressources (70 175 t Sb métal) alors que la Chine représente, désormais 7% de la production mondiale. 

Hors de la métropole, la France dispose également d’une large Zone Économique Exclusive (ZEE) de plus de 11 millions de Km2 ainsi que des territoires d’outre-mer riches en matériaux stratégiques. En s’appuyant sur ses atouts géographiques la France pourrait garder une certaine souveraineté sur ses approvisionnements de matériaux critiques.

Source : Le portail français des ressources minérales non énergétiques.

En outre, la Guyane française dispose de vastes ressources minières notamment en Lithium, ressource où là aussi l’Europe est dépendante à 100 %. De même, la Guyane possède des ressources en Tantale, notamment utilisé pour la défense (train d’atterrissage des avions de combat Dassault Rafale de l’armée française par exemple). Pour autant, encore une fois, l’UE est dépendante à 99 % des importations puisque ces ressources ne sont pas exploitées.

De plus, l’annulation du projet « Montagne d’Or » en 2019 et l’imbroglio juridique qui oppose l’État à la société qui devait se voir attribuer le projet, n’est pas un bon signe envoyé aux investisseurs du secteur[11].

Pour conclure, le rapport du ministère de l’économie sur le potentiel minier de la Guyane le plus récent conclu de manière peu encourageante que les prospectives de nouvelles extractions notamment en Tantale, Niobium et Lithium « pourraient faire l’objet de développement dans le futur »[12] sans donner plus d’indications.

Source : Geostrategia.

93 % de la ZEE française est située sous mille mètres de profondeurs[13], dits grands fonds marins. Cet atout géostratégique pourrait permettre à la France de trouver un juste équilibre entre préservation et exploitation pour diversifier ses sources d’approvisionnement en matériaux critiques dont ces fonds pourraient potentiellement regorger. A l’heure actuelle, la principale zone d’intérêt serait la ZEE Pacifique (Polynésie) mais le dernier rapport du Sénat sur la stratégie française Grands Fonds Marins émet des réserves : « Ces ressources ont été identifiées mais des campagnes d’exploration supplémentaires seraient nécessaires pour évaluer leur exploitabilité et leur intérêt économique qui est très incertain. Le potentiel des bassins atlantique et de l’océan indien est moins bien connu encore que celui du Pacifique. Certaines zones volcaniques sont jugées prometteuses, mais leur potentiel n’en a pas été vérifié ni quantifié. »[14]. La stratégie Grands Fonds Marins a bien été adopté en mai 2021 et vise à « la création d'un démonstrateur destiné à tester l'impact, le cadre, et la faisabilité d'une exploitation minière durable des grands fonds marins »[15] notamment dans la ZEE polynésienne (pour une dotation de 25 millions d’euros par an et des résultats attendus au plus tôt en 2027).


[1] « Métaux rares et Terres rares : 10 choses à savoir », Tout pour le forage, [En ligne], consulté le 23 Juin 2022, URL : https://www.toutpourleforage.com/metaux-rares-risques-enjeux/

[2] Tristan Gaudiaut, « Les leaders du marché des semi-conducteurs », Statista, [En ligne], consulté le 24 Juin 2022, URL :

https://fr.statista.com/infographie/24507/entreprises-leaders-du-marche-des-semi-conducteurs-parts-de-marche/

[3] Tristan Gaudiaut, « La bataille mondiale des puces électroniques », Statista, [En ligne], consulté le 24 Juin 2022, URL : https://fr.statista.com/infographie/25651/evolution-production-mondiale-puces-electroniques-semi-conducteurs-par-pays/

[4] AFP, « Pénurie de semi-conducteurs : l’usine Stellantis de Rennes stoppe sa production », Europe 1, [En ligne], consulté le 24 Juin 2022, URL :

https://www.europe1.fr/economie/penurie-de-semi-conducteurs-lusine-stellantis-de-rennes-stoppe-sa-production-4119149

[5] Elsa Bembaron, « L’Europe déploie les grands moyens pour (re)devenir un géant des semi-conducteurs », Le Figaro, [En ligne], consulté le 24 Juin 2022, URL :

https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/l-europe-deploie-les-grands-moyens-pour-re-devenir-un-geant-des-semi-conducteurs-20220207

[6] Mathieu Duchâtel, “Semiconductor in Europe : the return of industrial policy”, Institut Montaigne, [En ligne], consulté le 28 Juin 2022, URL : https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/europe-new-geopolitics-technology-1.pdf

[7] Commission Européenne, « European Alliance Battery », [En ligne], conulté le 24 Juin 2022, URL :

https://ec.europa.eu/growth/industry/strategy/industrial-alliances/european-battery-alliance_en

[8] Commission Européenne, rapport « Résilience des matières premières critiques : la voie à suivre pour un renforcement de la sécurité et de la durabilité », Septembre 2020

[9] Claudiu C. Pavel, Evangelos Tzimas, “Raw materials in the European defence industry”, Commission Européenne, [En ligne], consulté le 27 Juin 2022, URL : https://setis.ec.europa.eu/system/files/2021-02/raw_materials_in_the_european_defence_industry.pdf

[10] Parlement européen, « Rapport : sur une stratégie européenne pour les matières premières critiques », [En ligne], consulté le 28 Juin 2022, URL : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2021-0280_FR.html

[11] Fabrice Clerfeuille, « Le conflit autour du projet minier « Montagne d’Or » en Guyane au prisme de la géopolitique locale », Géoconfluences, [En ligne], consulté le 28 Juin 2022, URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/changement-global/articles-scientifiques/montagne-dor-guyane

[12] Ministère de l’Économie et des Finances, « Exploration & Exploitation minière Guyane », [En ligne], consulté le 28 Juin 2022, URL : https://www.mineralinfo.fr/sites/default/files/documents/2021-01/tome_08_guyane_final24032017.pdf

[13] Joséphine Maunier, « Grands fonds marins : la France en première ligne », WeDemain, [En ligne], consulté le 27 Juin 2022, URL : https://www.wedemain.fr/decouvrir/grands-fonds-marins-la-france-en-premiere-ligne/, ainsi que Fondation de la Mer, Les grands fonds marins, quel avenir pour l'humanitéconsulté le 28 juin 2022.

[14] Michel Canévet, Teva Rohfritsch, « L’exploration, la protection et l’exploitation des fonds marins, quelle stratégie pour la France ? », Sénat, [En ligne], consulté le 28 Juin 2022, URL : http://www.senat.fr/rap/r21-724/r21-7241.pdf

[15] Légifrance, « Circulaire relative à la stratégie nationale d’exploration et d’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins. », [En ligne], consulté le 28 Juin 2022, URL : https://circulaire.legifrance.gouv.fr/download/pdf/circ?id=45199