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Service national universel obligatoire : vraiment nécessaire ?

Emmanuel Macron a présenté, lors de sa campagne électorale, le projet d'un service national universel obligatoire avec une forte dominante militaire. Une promesse qui, un temps, a paru être abandonnée avant de revenir sur le devant de la scène le mercredi 27 juin, avec la présentation, par le gouvernement, des contours du futur service national universel (SNU). Ce service concernait les jeunes de 15 à 18 ans, pendant 1 mois dont 2 semaines d'internat et son coût oscillerait entre 1,6 et 1,8 milliard d'euros par an.

Rappelons qu'en 1997, dans le cadre de la professionnalisation des forces armées rendue nécessaire par les nombreuses OPEX dans lesquelles la France était engagée depuis la fin de la guerre froide1, Jacques Chirac, alors président de la République, a décidé de suspendre le service national imposé2 aux citoyens de nationalité unique française3 et de sexe masculin et qui répondait aux besoins militaires générés par la guerre froide avec le bloc des pays du Pacte de Varsovie.

Onze ans plus tard, le gouvernement d’Emmanuel Macron vient, lui, de présenter les grandes lignes du service national universel (SNU) dont les modalités seront précisées à l'issue d'une consultation menée de juillet à octobre 2018, notamment auprès de différents organismes (organisations de jeunesse, associations diverses (notamment de parents d’élèves), syndicats d'enseignants, collectivités territoriales...) avec à l'issue la diffusion d'un rapport complémentaire début novembre 2018.

Les grands principes

Selon un article du Télégramme du 26 juin 2018, le coût du SNU, obligatoire sur 1 mois entre 15 et 18 ans et incluant 2 semaines d'internats pendant les vacances scolaires, est estimé 1,6 milliard d'euros par an "en rythme de croisière", c'est à dire, une fois la réforme effective à 100%. La réforme nécessitera cependant un effort supplémentaire pour remettre à niveaux les infrastructures (pour l'acceuil des jeunes notamment) de 1,7 milliard d'euros pendant 7 ans, soit 245 millions d'euros par an environ.

Les grands principes inspirés du rapport du groupe de travail mandaté par Emmanuel Macron sont les suivants :

  • Population concernée : jeunes Françaises et Français dès l’âge de 16 ans, soit 750.000 personnes par an ;
  • Appel de ces jeunes sur 8 et 9 sessions dans l'année en cours – soit environ 85.000 personnes par session ;
  • Période d'expérimentation du SNU à partir de l'automne 2019 et étendue progressivement pour atteindre une classe d'âge entière (soit 750.000 jeunes) en 2026 – soit 7 ans ;
  • Organisation du SNU en 3 périodes.

Une période de cohésion de 15 jours en vue de favoriser le brassage social de ces jeunes à partir d'hébergement collectif (camps de vacances, pensionnats des lycées, casernes inoccupées, structures construites à cet effet...) et d'un encadrement constitué de jeunes bénévoles issus notamment des écoles supérieures et des universités de l’État et privées et des volontaires du service civique qui seraient formés en partie par les militaires du ministère des armées ; le contenu de cette période consiste à leur délivrer une formation élémentaire : gestes de 1er secours, orientation avec une boussole, procédure de comptes rendus d'une situation de danger par radio, pratique du sport... et de détecter le niveau d'illettrisme...

Une période de temps d'engagement de 15 jours (en partie lors des week-ends et des vacances scolaires) en petits groupes dans certaines associations et pas nécessairement en hébergement collectif.

Une période facultative d'engagement supplémentaire se déroulant avant l'age de 25 ans sur une durée de 3 à 12 mois dans différents domaines (défense, environnement, aide à la personne, social, culture...) qui pourrait s'accompagner de l'acquisition de certains avantages (permis de conduire, crédits universitaires, éventuelle indemnité dont les conditions et le montant restent à déterminer...).

Quelles problématiques ?

Cette présentation du SNU qui apparaît sommaire appelle les observations et les questions suivantes dans les domaines suivants (la liste ne pouvant pas être considérée comme exhaustive) :

Quel cadre légal et juridique pour le SNU ? Il faut rappeler que les dispositions du service national obligatoire qui a été suspendu par la loi n° 97-1019 du 28 octobre 1997 (art. 2), sont enregistrées dans le Code du service national ; donc, la question est de savoir s'il faut une loi et des décrets d'application - ce qui représente un travail législatif et réglementaire important alors que l'effort du parlement et gouvernement devrait être porté sur les réformes importantes de l'Etat, des collectivités locales et du monde travail (ex : les retraites).

Quel statut pour les jeunes lors des 3 périodes de ce SNU ? Notamment la question de leurs responsabilités (en particulier lors de leurs 2 premières périodes en tant que mineur) vis-à-vis d'eux-mêmes et des autres jeunes, leur couverture médico-sociale, leurs conditions de vie en milieu fermé et/ou ouvert.

Quelles seront les conditions de dispense, d'exemption et de réforme de ce SNU ? Elles pourront être générées par les raisons suivantes :

  • Professionnelles : apprentissage, travail saisonnier pendant les vacances scolaires d'une durée supérieure à 14 jours, engagement dans un service départemental d'incendie et de secours comme sapeur-pompier-volontaire...
  • Éducatives : rattrapage scolaire...
  • Sociales : soutien familial, pupilles de la nation, pupilles de l’État...
  • Pénales : placements en centres éducatifs fermés et en prison...
  • Médico-psychiques : déficiences de toute nature dans ce domaine...
  • Juridico-administratives : détention de la double nationalité...

Quel sera le statut des personnels de l'encadrement du SNU ? Notamment leurs responsabilités, leurs devoirs (notamment en ce qui concerne la surveillance des règles de vie collective en matière de mixité), leurs droits (indemnités, assurance médico-sociale).

Comment sera organisé l'appel et la sélection (sur différents critères à définir) de ces jeunes au SNU ? Notamment l'identification des organismes chargés d'effectuer cette mission.

Quelles seront les capacités d'accueil en hébergement collectif ? Outre le coût pouvant être exorbitant de la remise aux normes d'hébergement des casernes désaffectées, il existe à ce jour 2.615 internats dont 278 sont privés4 et qui présentent les caractéristiques suivantes :

  • Un nombre de places disponibles qui est le suivant en 2015 : dans le secteur public 229.562 pour 180.415 pensionnaires et environ 70.000 places dans le secteur privé ;
  • Un nombre de places allant de moins de 100 à plus de 360 places selon la nature de l'établissement public ou privé ;
  • Des qualités d'accueil différentes selon les internats en ce qui concerne le nombre de lits par chambre, la qualité des commodités (individuelles ou collectives), le nombre de places dans les zones de restauration collective, la qualité et les capacités d'accueil des espaces de loisirs, les offres de média (notamment télévision et internet) individuelles et collectives ;
  • Un coût annuel variable d'internat : 1.150 euros dans le secteur public et jusqu'à plus de 3.800 euros dans le secteur privé.

Quels seront les différents postes budgétaires de ce SNU ? Il faudra préciser la mission LOLF, ses programmes, ses actions et le cadre (ministériel et/ou interministériel) notamment dans les domaines suivants :

  • Fonctionnement : hébergement, transport, tenue d'activité (etc.) de ces jeunes, rémunérations et accessoires divers des personnels civils et militaires d'encadrement et de formation des encadrants...
  • Investissements : achats de matériels dans différents domaines : pédagogiques, sécuritaires...
  • Infrastructures : remise à niveau de sites civils et militaires inusités à ce jour et réactivés pour ce SNU, tout en déterminant la perte financière relative à l'abandon de cessions.

Quel impact sur le budget du ministère des armées ? Notamment les coûts liés à la formation par des militaires actifs et/ou de réserve des personnels d'encadrement, pour la rénovation des casernes inoccupées depuis plusieurs années, les questions de transports, d’équipements, etc.

Conclusion

Avant tout, rappelons que l’une des missions du ministère de l’Éducation nationale est bien de développer chez les jeunes françaises et français les vertus du civisme et du « vivre ensemble » dès leur plus jeune âge mais aussi de leur faire apprendre les gestes de 1er secours5.

Lorsqu’il s'agit de développer l'esprit de civisme des jeunes, il existe aussi et déjà plusieurs organisations cherchant à atteindre cet objectif et qui sont les suivantes (liste non exhaustive mais significative) :

  • Service civique qui s'adresse aux jeunes de 16 à 25 ans (135.000 jeunes en 2017 pour un coût annuel de 488 millions d'euros7) qui peut être effectué dans différents domaines : culture et loisirs, éducation pour tous, santé, environnement, solidarité, mémoire et citoyenneté, développement durable et aide humanitaire, intervention d’urgence, sport et étranger ;
  • Jeunes sapeurs – pompiers pour les jeunes entre 11 et 18 ans (28.000 par an) qui se retrouvent chaque semaine dans les sections de jeunes sapeurs-pompiers (JSP) pour suivre une formation dans ce domaine tout au long de l’année scolaire ;
  • Chantiers de jeunes bénévoles (ministère de l’Éducation nationale) qui s'adresse aux jeunes bénévoles âgés entre 14 à 18 ans (8.000 par an) qui se rassemblent autour d’un projet utile à la collectivité qui dure souvent en moyenne 2 ou 3 semaines dans le domaine de la culture d'une région de France ou d’un autre pays.

Ces exemples mettent en évidence que ce terme « service » n'est pas forcément adapté dans la mentalité des jeunes françaises et français ; en effet, en ce qui concerne l'engagement au sein de la société civile, il s'agit plutôt pour eux d'un acte personnel décidé sous la forme du bénévolat. C'est ainsi qu'à titre de rappel, le service national, notamment dans sa forme militaire jusqu'en 1997 a été difficilement accepté notamment lors de la guerre d'Algérie, puis des événements de 1975 dans les casernes et que le recrutement des personnels militaires et civils des forces armées et de sécurité (sapeurs-pompiers) est effectué actuellement sur la base du volontariat.

En ce qui concerne la facture budgétaire et financière de ce SNU qui n'est pas évaluée à ce jour de façon précise, il serait opportun de la présenter au pays au préalable avant toute décision légale et réglementaire de mise en œuvre de ce dispositif. D’ailleurs, si nos comptes publics disposent d'une telle réserve financière (plusieurs milliards d'euros sur une période de 7 ans)8, il serait plus opportun de la répartir pour renforcer (et réformer) les formes de volontariat des jeunes préexistantes… ou de renforcer (et rénover) les moyens matérels du ministère des armées. A titre d’exemple, la question (de plus en plus pressante) de la réalisation d'un 2d porte-avions en remplacement du Charles de Gaulle est loin d’être réglé.


1Confer l'article du 14 décembre 2015.

2Qui était effectué avec quelques compensations sociales (ex : prise en compte du temps accompli dans la durée de cotisation d'assurance retraite de la CNAV).

3Les jeunes binationaux ayant le choix de le faire ou non.

4Liste consultable sur le site du ministère de l'Education nationale.

5Confer « Sensibilisation et formation aux premiers secours et gestes qui sauvent » - NOR : MENE1617837C - instruction interministérielle n° 2016-103 du 24-8-2016 - MENESR - DGESCO B3-1 - MI – DGSCGC.

6Comme le soulignent plusieurs et différents syndicats qui préfèrent que l'effort soit porté sur les conditions de l'entrée des jeunes dans le monde du travail.

7Confer le rapport de la Cour de comptes de février 2018.

8Sous réserve de respecter la logique et la réduction du déficit budgétaire selon des règles financières européennes.