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Sapeurs-pompiers : +30% d’agressions physiques en 2021

Lors du 1er mai, plusieurs sapeurs-pompiers ont été agressés alors qu’ils effectuaient des interventions à l’occasion des débordements survenus lors des manifestations syndicales. Deux affaires ont particulièrement retenu l’attention médiatique, tout d’abord à Paris, mais aussi à Nîmes. Par ailleus des affaires comparables se sont produit le 29 avril à Toulouse (12ème agression depuis le début de l’année), ainsi que très récemment, le 4 mai dans l’Essonne. Nous proposons de faire le point sur les statistiques disponibles à ce sujet, ainsi que sur l’arsenal législatif adopté récemment, permettant à la réponse pénale de se déployer.

Des statistiques d’agression des sapeurs-pompiers en trompe l’œil

Les statistiques de moyen-long terme étaient tenu jusqu’en 2019[1] par l’ONDRP (Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales), organisme qui a cessé ses fonctions en 2020. Dissous, ses missions ont été reprises en partie par le SSMSI[2] (Service statistique ministériel de la sécurité intérieure). Il en a résulté une rupture méthodologique entre les séries publiées concernant les exercices 2008 à 2018 puis au-delà.

Source : ONDRP (décembre 2021).

Dans son ultime note sur le sujet[3], l’ONDRP relève que 3.411 sapeurs-pompiers avaient déclaré avoir été victimes d’une agression au cours d’une intervention[4]. Il s’agissait d’une augmentation de près de près de 21% par rapport à 2017 (+598 agressions en 1 an). Une phase de croissance de près de 20% en moyenne depuis 2015. Les séries de l’ONDP mettant en évidence une croissance très importante des agressions des SP-militaires depuis 2016 avec +45% (2016), +68% (2017) et +41% (2018). A un moindre degré un fort niveau d’agression des SP-professionnels (19% en 2016, +18% en 2017 et +34% en 2018).

En 2019, les données sont désormais livrées par le SSMSI via la DGSCGC[5] (direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises). Les informations ne sont plus livrées qu’au compte-goutte sans faire l’objet d’une publication régulière, alors que ces statistiques auraient pu intégrer le rapport annuel consacré par la sécurité civile aux sapeurs-pompiers[6]. Elles sont en revanche « fiabilisées » par rapport aux remontées de l’ONDP qui utilisait l’auto-déclaration des SDIS (services départementaux d’incendie et de secours) et des services locaux, sans remontée statistique obligatoire.

En 2020, le « plan de prévention et de lutte contre les agressions de sapeurs-pompiers » signé le 20 août 2020, prévoit un accompagnement des professionnels lors de la procédure de dépôt de plainte. Par ailleurs, depuis 2019 a été mis en place un dispositif de caméra piéton (expérimentation), afin de décourager des violences qui sont produites dans 90% des cas par les victimes elles-mêmes[7]. Leur usage a été pérennisé dans la loi Matras du 16 novembre 2021[8], puisque « sur près de 400 cas de déclenchement, les utilisateurs considèrent à 62% que la caméra joue un rôle préventif[9]. »

Enfin en 2020, dans le cadre du plan de prévention précédemment cité est créé un Observatoire national des violences visant les sapeurs-pompiers[10]. Désormais c’est cet organisme qui rend publiques les données statistiques concernant les agressions de sapeurs-pompiers[11]. Mais celui-ci ne dispose pas de son propre site internet, si bien que les informations sont communiquées uniquement par les pouvoirs publics aux SDIS et par les organisations syndicales.

 

Nombre de sapeurs-pompiers agressés

 

2018

2019

2020

2021 (p)

En intervention

2 512

2 045

1 764

1 518

Blessés

 

468

522

572

Source : SSMSI 2020-2022 et ONVSP 2020-2022 ; (p) : données provisoires, février 2022.

En pratique on perçoit une nette inflexion des personnels agressés, soit -18,6% entre 2019 et 2018, -13,7% entre 2020 par rapport à l’année précédente et -13,9% en 2021 par rapport à 2020. Au contraire les agressés blessés en intervention ne cessent de croître, +11,5% en 2020, +9,6% en 2021. Cependant il apparaît que si les agressions avec arme sont en baisse, les agressions physiques sont en hausse (836 en 2021 contre 648 en 2020, soit +30%).

En définitive ces statistiques ne sont toujours pas exhaustives dans la mesure où « 30% des SDIS ne remontent toujours pas les agressions au ministère de l’intérieur (…) les éléments remontés sont uniquement déclaratifs [et peuvent donc être bloqués par les SDIS eux-mêmes] (…) Une récente étude du SSMSI indique que seulement 25% des faits remontent. »

Les dispositifs mis en place par la loi Matras et leurs limites

Pour adapter la réponse pénale à la forte dynamique des agressions des sapeurs-pompiers, l’article 38 de la proposition de loi (article 55 de la loi) a étendu l’aggravation des peines d’outrage envers les sapeurs-pompiers et les marins-pompiers[12]. Il aligne les peines encourues par les personnels exerçant une mission de sécurité civile sur celles prévues en cas d’outrage d’une personne dépositaire de l’autorité publique[13] (article 433-5 du code pénal).

La loi prévoit également (article 57) la pérennisation de l’utilisation des caméras piétons chez les pompiers civils ou militaires, mais plus étonnamment la loi n’impose pas aux services départementaux et territoriaux d’incendie et de secours la remontée de l’ensemble des signalements d’agression. Il n’y a donc pas de dispositif incitatif de fiabilisation des données en direction des SDIS. Par ailleurs, l’ensemble des mesures visant à garantir l’anonymat des personnes témoins d’agression de sapeurs-pompiers n’ont pas été retenues.

Enfin, de façon plus étonnante encore, la loi Matras ne propose pas la publication exhaustive des statistiques recueillies par l’ONVSP à destination du public. Or, il serait plus que légitime que les données remontées via le SSMSI et traitées par l’ONVSP fassent l’objet d’une publication annuelle accessible à tout citoyen. Solidariser le public sur les enjeux de protection des missions de sécurité civile pourrait concourir à rendre encore plus attractif le volontariat dans ses missions, qui est plus que jamais indispensable.


[1] https://www.ihemi.fr/recherche/ondrp

[2] https://www.insee.fr/fr/information/2114936 ainsi que https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Qui-sommes-nous

[3] La note n°41 de décembre 2019, ONDRP, Les agressions déclarées par les sapeurs-pompiers volontaires et professionnels en 2018, https://www.ihemi.fr/sites/default/files/publications/files/2019-12/Note_41.pdf. Si l’on veut consulter les données géographiques et brutes, https://docs.google.com/spreadsheets/d/1J3yi2XDU6zkBGSoc-Ob49Xlw13Claye5_GxPYMgNX5M/edit#gid=0

[4] https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/12/18/les-agressions-contre-les-pompiers-en-hausse-de-21-sur-un-an_6023272_3224.html

[5] https://www.tf1info.fr/politique/les-agressions-envers-les-pompiers-ont-elles-augmente-de-213-en-2019-comme-l-explique-marine-le-pen-2146490.html

[6] https://mobile.interieur.gouv.fr/Publications/Statistiques/Securite-civile

[7] https://www.20minutes.fr/societe/3281755-20220502-manifestation-1er-mai-comment-lutter-contre-agressions-visent-sapeurs-pompiers mais aussi et surtout https://www.lagazettedescommunes.com/790258/hausse-des-agressions-physiques-contre-les-sapeurs-pompiers/?abo=1

[8] https://www.lagazettedescommunes.com/771385/sapeurs-pompiers-ce-que-va-changer-la-loi-matras/?abo=1

[9] Etant précisé que « la simple annonce de déclenchement contribue a apaiser les tensions dans 78% des cas et 96% des utilisateurs précisent que la présence de la caméra ne renforce pas la violence. »

[10] https://unsa-sdis.fr/creation-de-lobservatoire-national-des-violences-visant-les-sapeurs-pompiers/ ainsi que https://snspp-pats.com/violences-faites-aux-sapeurs-pompiers-creation-de-lobservatoire-2/

[11] https://unsa-sdis.fr/retour-sur-le-comite-executif-de-lobservatoire-national-des-violences-visant-les-sapeurs-pompiers-du-17-fevrier-2022/

[12] Voir par exemple, https://www.senat.fr/rap/l20-786/l20-7861.pdf

[13] Cette approche rejoint celle que nous avons proposé dans le cadre d’une grande loi de programmation relative à la sécurité intérieure, voir Société Civile n°226, Sécuriser, septembre 2021, https://www.ifrap.org/sites/default/files/publications/fichiers/securiser.pdf