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Ravitaillement de la marine : une flotte à renouveler dans les meilleurs délais

Petit rappel historique : la marine nationale s'est dotée dès les années 1900 jusqu'en 1940 d'une flotte de plus d'une vingtaine de navires pétroliers d'origine française (bien souvent par séries de 4) de différents tonnages (entre 1.000 et 14.000 tonnes) chargés essentiellement du ravitaillement des bases navales (notamment avec des hydrocarbures (mazout) venant de la mer Noire et du Moyen-Orient). Nombre de ces navires logistiques ont été détruits entre 1940 et 1944. 

Au vu des retours d'expériences des opérations navales du 2nd conflit mondial, la mission de ces navires1 a été étendue au ravitaillement (en mer et en mouillage) en carburant d'aéronefs embarqués, munitions, pièces de rechange et vivres effectuée par une flotte de pétroliers ravitailleurs de différents tonnages qui sont les suivants :

  • important (plus de 23.000 tonnes) d'origine française et étrangère ;

  • médian (entre 9.000 et 13.000 tonnes) d'origine française dont certains ont été externalisés dans un 1er temps à des sociétés privées françaises2 avant d'être repris par la marine nationale ;

  • petit tonnage (entre 2.000 et 4.000 tonnes) d'origine étrangère (pétroliers ravitailleurs cabotiers de région).

A ce titre, est présentée ci-dessous cette flotte logistique des années 1950-1980 :

Ces navires avaient pour mission le ravitaillement de la flotte des escadres navales déployées en Atlantique dans le cadre de l'OTAN, du centre d'expérimentations nucléaires dans le Pacifique (CEP) et des théâtres d'opérations extérieures (ex : Indochine, Suez, Algérie...).

L'actuelle flotte des pétroliers ravitailleurs d'escadre (PRE) renommés bâtiments de commandement et de ravitaillement (BCR) de la classe « Durance ».

Dés les années 1970, dans un but d'une indépendance en matière de défense nationale, la marine se dote d'une flotte de navires ayant des capacités de ravitaillement importantes avec des systèmes de tensionnement automatique de câbles supports, de pompes à hauts débits et d'hélitreuillage permettant pour chacun d'entre eux de livrer simultanément les produits à 2 bâtiments en couple et en fléche. Cette flotte de la classe « Durance » est la suivante :

Avec un équipage moins nombreux grâce à des systèmes automatisés par rapport aux navires cités supra, les capacités de ces navires sont polyvalentes en matière de ravitaillement comme le met en évidence le tableau ci-dessous : 

Ces navires offrent chacun une plus grande capacité de ravitaillement3 et les 3 derniers bâtiments peuvent embarquer un état-major opérationnel disposant d'une plate-forme et d'un hangar d'hélicoptères légers4 - ce qui explique leur appellation «  bâtiments de commandement et de ravitaillement (BCR) ». Cependant, il est à noter :

  • une diminution de la capacité totale logistique de la flotte avec la cession de « La Durance » à la marine argentine et le désarmement de « La Meuse »,

  • une relative faiblesse de leur armement notamment anti-aérien5,

  • l'absence d'un plateau médico-chirurgical et d'ateliers de réparation,

  • un vieillissement de la flotte des 3 derniers navires6 : plus d'une trentaine d'années.

Les BCR assurent des missions :

  1. de navire amiral à la mer comme par exemple : commandement des forces françaises navales, terrestres et aériennes, de l'océan Indien (Alindien), Task force 448 qui est le volet naval de la Force Intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) en 2008, Combined task force 150 dans la Mer d'Arabie et l'Océan Indien en 2015...

  2. d'intervention en OPEX  en soutien des flottes (notamment des groupes aéronavals et aéroamphibies articulés respectivement autour de porte-avions et de BPC) telles que dans les zones maritimes suivantes :

  3. Golfe d'Oman (1987-1988 – OPEX Prométhée) lors de la guerre Irak-Iran,

  4. Golfe persique et Mer Rouge lors de la 1ére guerre en Irak (1990-1991 – OPEX Artimon et Daguet ),

  5. Mer Adriatique lors de la guerre dans les Balkans (Ex-Yougoslavie et Albanie) dans les années 1990,

  6. Méditerranée lors de l'intervention au Liban (1983-1984 – OPEX Olifant, 2006 – OPEX Baliste) et en Libye en 2011 (OPEX Harmattan),

  7. Océan indien lors de l'intervention aux Comores (1989-1990 – OPEX Oside) et de la guerre en Afghanistan entre 2001 et 2011 (OPEX Heracles),

  8. Golfe Persique lors de la guerre contre Daech depuis 2014 (OPEX Chammal),

  9. de présence (ex : OPEX Corymbe dans le Golfe de Guinée) et de service public en particulier dans le cadre de l'action de l'Etat en mer.

Les BCR qui sont interopérables selon des normes OTAN sont amenés à effectuer le ravitaillement7 en mer des navires des flottes de pays amis tels que les exemples suivants :

  • le 11 avril 2015 : le porte-avions américain « Carl Vinson » par le PRE « Meuse » dans le cadre de l’OPEX Chammal,

  • le 2 décembre 2013, le croiseur américain « Monterey » de la 6ème flotte par le BCR « Var » dans le cadre de la permanence opérationnelle au large des théâtres de crise du Proche Orient,

  • le 11 janvier 2016, la frégate britannique HMS « Defender » par le BCR « La Marne » intégré à la Task Force 58,

  • le 27 mai 2015, 2 navires espagnols (transport de chalands et de débarquement « Galicia » et patrouilleur hauturier « Infanta Christiana » de la task force 465 par le BCR « Vazr» dans le cadre de l'OPEX Atalante.

Alors que la marine du Royaume-Uni de Grande Bretgane et d'Irlande du Nord possède une flotte de navires logistiques (Royal Fleet Auxiliary - RFA) de 7 navires de différents types (ravitaillement, ateliers de réparations, hôpital) en cours de renouvellement sur le mode polyvalent8, force est de constater que la marine nationale a perdu actuellement une bonne capacité de soutien logistique en mer avec le désarmement :

  • des 2 premiers pétroliers ravitailleurs de la classe « Durance » entre 1999 et 2015,

  • du bâtiment atelier polyvalent « Jules Verne » en 2009,

  • des 5 bâtiments de soutien mobile (BSM) de la classe « Loire » entre 1997 et 2009.

La réalisation de bâtments multimissions (B2M)9 à vocation opérationnele au niveau régional (DOM-COM) ne permet pas de suppléer cette carence compte tenu de leurs capacités logistiques assez limitées présentées ci-dessous :

La projection navale en OPEX qui doit être effectuée en totale indépendance des bases portuaires suppose de doter la marine nationale de navires logistiques de tonnages importants avec une grande autonomie et une solide protection contre des menaces de toutes natures et origines (air, surface et sous-marine) et pouvant offrir selon des normes OTAN interopérables les prestations suivantes :

  • soutiens divers : ravitaillement (carburant naval et aéronaval, vivres, munitions, matériels et pièces de rechange), ateliers de réparations, plateau médico-chirurgical,

  • embarquement de postes de commandement interarmées aux normes standard interopérables (OTAN, UE) bénéficiant de moyens de transmission et de télécommunication (en particulier satellitaires), de transport aérien et de renseignement (hélicoptères interarmées légers et lourds, drones, radars...), et d’intervention (embarquement de détachements interarmées pouvant être projetés de façon ponctuelle).

A l'instar de pays comme le Canada qui développe le projet de navires de soutien interarmées (NSI)10, il apparaît nécessaire de concrétiser dans les meilleurs délais le programme baptisé « FLOTLOG » pour lequel la direction générale de l'armement (DGA) du ministère de la défense a conclu en 2012 un marché d'étude de faisabilité11 avec DCNS et la société STX France relatif à la réalisation de navires de soutien logistique à partir des capacités suivantes :

  • ravitaillement simultané à la mer et en mouillage de plusieurs navires d'un groupe naval (surface et sous-marin), aéronaval et amphibie,

  • soutien des forces projetées aux points d’appui et des opérations humanitaires,

  • commandement des opérations maritimes avec une plate-forme d’hélicoptère,

  • capacité de projection de détachements,

  • autodéfense modulaire : air, surface, voire sous-marine.

DCNS et STX ont présenté le projet du navire « BRAVE » (bâtiments de ravitaillement d'escadre – environ 30.000 tonnes à pleine charge) qui devrait être construit sur le modèle du BPC : navire à double coque économe en énergie12 maîtrisant ses rejets avec un recours pertinent aux solutions sur étagères. Outre des systémes d'autodéfense modulaire, les principales capacités de ce type de bâtiement seront les suivantes :

Capacités typiques d'emport

Capacités typiques de transfert

- 8 à 16.000 m3 de carburant répartis dans 6 à 9 soutes,
- 1.500 m3 d’eau douce répartis dans 2 soutes,
- 2.000 t de vivres, médicaments, échanges, 
- 30 conteneurs EVP (équivalent 20 pieds) répartis dans 27.000 m2,
- 300 t de munitions navales répartis dans 4 soutes sur 700m2

- 100 passagers,

- un hôpital de 30 à 60 lits,

- 2 spots d'hélicoptére lourd de 35 tonnes 

- 2 mâts transfert liquide et solide à bâbord et tribord AR
- 2 mâts transfert liquide à bâbord et tribord AV
- VERTREP (ravitaillement vertical en haute mer),

- 1 spot pour hélicoptère logistique 35 t.

 

Source : Le bâtiment logistique Brave (© : DCNS)

Dans le cadre de l'actualisation de la LPM (2014-2019) votée en 2015, le programme FLOTLOG (FLOTte LOGistique)13 est confirmé. Cependant, le format est fixé d'ici à 2019 aux actuels 3 BCR. La commande du 1er BRAVE d'une série de 3 devrait être effectuée à la fin de l'actuelle LPM (soit 2019).

Conclusion

On peut regretter que la France n'a pas adhéré au projet du programme Military Afloat Reach Sustainability (MARS)14 lancé par en 2008 par le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord. Au vu des éléments présentés supra, il reste que le vieillissement de l'actuelle flotte des 3 BCR et l'importance de la marine dans les OPEX nécessitent de :

  • lancer dans les plus brefs délais le programme de 4 navires de type BRAVE qui est justifié par le soutien logistique de ses bâtiments de combat, notamment les groupes aéronaval et amphibie, et la force de guerre des mines.

  • faire appel éventuellement à l'affrètement de navires pétroliers15 en vue d'alléger les charges logistiques des actuels BCR comme cela a été fait avec le pétrolier « Le Port de Vendre » (de la société SOFLUMAR) dans les années 1980 jusqu'à la mise en service actif du BCR « Somme ».

Ainsi, il convient pour le prochain gouvernement de se pencher sur la question du renforcement de la marine nationale et des investissements dans les moyens navals (qui sont l'outil majeur de notre capacité de projection en OPEX). A ce titre, avec un budget de la Défens qui doit être porté à 2% du PIB sur une durée de 5 années (2017-2022), il conviendra de faire des choix stratégiques entre les armées et les services. Un sujet encore jamais abordé par les candidats à la présidentielle qui promettent pour l'instant seulement un renforcement des moyens, sans s'attarder sur les orientations qu'ils veulent priviligier. 


1Dont certains d'origine française avant le 2nd conflit mondial ont été remis à flot après 1945.

2Spécialisée dans le domaine du transport des hydrocarbures - exemple : Société française de transport pétrolier.

3NB : une diminution de la capacité de transport de mazout et une augmentation de celle de gas-oil en raison de l'abandon des chaudières à mazout des navires de la marine nationale qui sont actuellement propulsés en grande majorité par des moteurs diesel.

4La plate-forme est capable de recevoir des hélicoptères de plusieurs types : Lynx , Alouette III, Panther, Dauphin, Gazelle, Puma, Cougar.

5Armement : 1 canon de 40 mm, 2 canons de 20 mm Oerlikon, 4 mitrailleuses de 12,7 mm, 2 systèmes de missiles SIMBAD.

6Port de rattachement : Toulon compte tenu des menaces au Proche-Orient et en Afrique depuis une trentaine d'années.

7Les navires de la marine nationale peuvent être aussi ravitaillés par des navires logistiques alliés au titre de la réciprocité – exemples dans le cadre de la force OTAN Standing NATO Maritime Group 2 (SNMG2) en :

  • 2013 : frégate « Cassard » ravitaillée en Mer Méditerranée par le pétrolier ravitailleur américain « Leroy Grumann »,

  • 2016 : patrouilleur de haute mer « Commandant Bouan » ravitaillé en Mer Égée par le pétrolier ravitailleur allemand « Bonn ».

8Remplacement des ravitailleurs d'escadre par 4 bateaux de la classe Tide de 37 000 tonnes marchant à 27 nœuds.

9Commandée au groupe d'entreprise Piriou-DCNS (Kership).

10Commande ferme de 2 navires dont la livraison est étalée en 2021 et 2022, avec une option de commande d'un 3éme.

11Programme d'études en amont (PEA).

12Conformément aux normes définies par la convention internationale MARPOL.

13Dont le coût qui est évalué à environ 2 milliards d'euros, dépendra de l'implantation des ateliers de construction (France ou pays étrangers (comme la Corée du Sud).

14Programme visant à doter la marine britannique de 4 navires de soutien polyvalent

15A noter que la marine dispose de navires affrètés tels que les 4 Bâtiments de soutien, d'assistance et de dépollution ( BSAD - Alcyon, Ailette, Argonaute, Mérou) et les 5 Remorqueurs d'intervention, d'assistance et de sauvegarde ( RIAS - Abeille Flandre, Abeille Languedoc, Abeille Bourbon, Carangue et Anglian Monarch (co-affrété avec les Britanniques).