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Rapport Jospin, déontologie et renouveau démocratique

Le point sur le cumul des mandats et les conflits d'intérêts public-public

La commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, dirigée par Lionel Jospin, a remis cette semaine à François Hollande son rapport sur le "renouveau démocratique". Le rapport propose en particulier l'interdiction du cumul de certains mandats et indemnités d'élus, mais n'aborde pas la question du nombre de mandats. Le rapport aborde aussi la question des conflits d'intérêt, et fait plusieurs propositions, mais laisse en suspens la question fondamentale des conflits d'intérêt public-public. Analyse et propositions de la Fondation iFRAP.

En matière de cumul des mandats

Le rapport de la commission Jospin propose d'interdire le cumul de fonctions ministérielles avec tout mandat local, de rendre incompatible un mandat parlementaire avec tout mandat électif autre qu'un mandat local simple.

Aujourd'hui 82% des députés et 77 % des sénateurs sont en situation de cumul. La commission Jospin souligne l'implication croissante qui est requise du parlementaire dans son travail de législateur et d'évaluation des politiques publiques depuis la réforme constitutionnelle de 2008. Avant la réforme, un député pouvait passer 50% de son temps à voter les lois et 50% de son temps en circonscription, après la réforme il devrait passer 50% de sont temps à voter les lois et 50% à évaluer les politiques publiques. Cette mise en valeur du travail de parlementaire n'est pas suffisamment claire faute d'une vraie transparence sur l'activité des députés, comme le rappelle Laurent Bach dans son ouvrage "Faut-il abolir le cumul des mandats ?". Le rapport d'activité de l'Assemblée nationale est beaucoup trop parcellaire sur ce sujet et le travail en commission - pourtant essentiel - ne fait pas l'objet d'un suivi particulier.

Comme le confirme Guy Carcassonne, les électeurs ne font pas le choix du cumul mais plutôt des cumulards : "les électeurs ne vont quand même pas voter contre leurs convictions sous prétexte que celui qui défend leurs couleurs est en situation de cumul". Une situation hors du commun par rapport aux autres grandes démocraties : on compte 3% de cumulards au Royaume-Uni, 7% en Italie, 20% en Espagne, 24% en Allemagne. Quoi qu'en disent les partisans du cumul, qui avancent la nécessité de s'appuyer sur un mandat local pour se nourrir de cette expérience dans leur travail de parlementaire Guy Carcassonne leur rappelle que le scrutin uninominal et majoritaire permet difficilement au député de déserter le territoire de sa circonscription s'il veut être réélu.

Ces propositions ont-elles des chances d'aboutir ? Limiter le cumul des mandats est risqué alors que se profilent les municipales en 2014 (et les européennes) et probablement les cantonales et les régionales en 2015. Les règles prévues qui correspondent aux recommandations de la Fondation iFRAP, sont très strictes puisqu'elles incluent l'interdiction d'un cumul avec un mandat exécutif local (maire, président de conseil général ou de conseil régional) et les mandats dérivés type président de SEM, de syndicat des transports, d'établissements publics locaux, etc. De plus, la Commission propose en cas de cumul d'exclure toute rémunération liée au mandat local pour éviter des phénomènes de reversement des sommes écrêtées.

La Commission ne propose pas, en revanche, la solution souhaitable et déjà effective pour la présidence de la République, de limiter le nombre de mandats dans le temps à deux voire trois mandants de suite maximum.

En matière de conflits d'intérêts

La commission Jospin a consacré sa troisième partie à la définition d'une stratégie globale de prévention des conflits d'intérêts [1] :

La Commission écarte par principe la question des conflits d'intérêts pouvant survenir dans des organismes à compétences juridictionnelles ou quasi-juridictionnelles (autorités administratives etc…) en matière administrative ou financière. Pour la Fondation iFRAP cette approche est trop timide : il faut envisager certes la question du conflit d'intérêt potentiel pendant l'exercice des fonctions juridictionnelles, mais aussi celle existant en cas de mutation des magistrats ou quasi-magistrats dans des emplois de direction ou de conception au sein de l'administration. Une approche qui aurait dû également se reporter sur les corps d'inspection (IGF, IGAS, IGA etc…). Cela aurait nécessité d'étudier en profondeur les conflits d'intérêts public/public (par exemple la présence d'ex-magistrats de la Cour des comptes ou d'ex-inspecteurs généraux des finances qui mis à la tête de direction d'administrations ou d'établissements publics, deviennent justiciables de contrôles de leurs corps d'origine (voire de la Cour de discipline budgétaire et financière)).

Ensuite, la commission ne propose pas d'incompatibilité de principe entre l'exercice d'une activité administrative (et/ou juridictionnelle) et l'exercice d'un mandat politique. La radiation des cadres de l'administration pour tout agent public briguant avec succès un mandat électif national ou local au-delà de celui de maire d'une commune de moins de 20.000 habitants [2] devrait être la règle notamment s'agissant des corps d'inspection. En effet, la jurisprudence du Conseil d'État est actuellement assez permissive, et autorise par exemple un agent de l'inspection générale des services d'un département à se porter candidat au poste de conseiller général de ce même département, ce qui est choquant [3].

Par ailleurs, pour les responsables politiques et leurs collaborateurs, la publicité des déclarations d'activité et d'intérêts n'est prévue qu'en cas d'absence de déclaration ou de lacune dans les déclarations. La Fondation iFRAP propose une publication internet de principe pour satisfaire à une obligation de transparence (Open Government) ainsi que son extension aux emplois supérieurs de l'État. L'approche serait particulièrement intéressante s'agissant des mutations ou des évolutions de carrières envisagées, et permettraient de renforcer les procédures d'alerte éthiques auxquelles sont appelés à contribuer les citoyens. Comment ceux-ci pourraient-ils jouer correctement leur rôle s'ils ignorent les déroulements de carrières des titulaires d'emplois supérieurs de l'État ? L'exemple a été d'ailleurs donné récemment en juin 2012 par le Sénat [4] qui a décidé de publier directement sur son site l'ensemble des déclarations d'activités et d'intérêt des sénateurs, l'Assemblée nationale n'ayant pour le moment pas suivi l'initiative. Il est par ailleurs important que, dans ce domaine, les citoyens puissent directement saisir la nouvelle Autorité de déontologie de la vie publique (proposée par le rapport) et non passer comme le propose la commission par le filtre hiérarchique du déontologue de l'organisme concerné [5].

[(La commission Jospin propose la création de la mise en place d'une agence de contrôle indépendante et de validation des dispositifs déontologiques (l'Autorité de déontologie de la vie publique) qui pourrait être saisie pour avis sur les suites à donner à l'issu de la mise en place d'un système d'alerte éthique (Whistleblowing) au sein de l'administration d'État [6].)]

Pour ce qui est des conflits d'intérêts, le rapport Jospin se borne donc à définir les frottements déontologiques entourant les emplois supérieurs de l'État et uniquement en direction du secteur public. Elle ne s'interroge pas sur les situations pouvant intervenir lorsque le responsable d'une entité contrôlée provient du même corps que les agents chargés de son contrôle.

L'absence en droit français de l'obligation de démission de la fonction publique des candidats aux postes de directeurs d'administrations centrales n'est pas évoquée. C'est pourtant ce que prévoit actuellement le droit australien. Il s'agit là d'une proposition qui permet de disjoindre la question de la direction administrative de son exécution proprement dite, accentuant le principe de « neutralité » des administrations [7]. Elle permettrait également de recruter des managers pas nécessairement issus des rangs du public pour diriger les services publics.

[1] Elle poursuit donc dans ses grandes lignes en y intégrant les points les plus saillants, la démarche entreprise par la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts qui avait rendu ses travaux il y a près de 2 ans, le 26 janvier 2011.

[2] Se reporter notamment aux exemples illustratifs cités note 8, p.326 de Vigouroux, Déontologie des fonctions publiques, Dalloz, novembre 2012.

[3] CE, 19 novembre 2010, Elections à l'assemblée de Corse, req n°337895.

[4] http://www.senat.fr/declarations_ac..., voir également, le rapport de Transparency International, http://www.transparence-france.org/... et leur rapport : http://www.transparency-france.org/... . Malheureusement leur approche est plutôt celle de la lutte contre la corruption et non le simple souci déontologique sous lequel se situe au contraire la Commission Jospin.

[5] Cependant, suivant le principe de la séparation des pouvoirs constitués, il ne pourra pas en être autrement s'agissant des assemblées parlementaires, sauf à envoyer à l'Autorité de déontologie de la vie publique un signalement susceptible de faire ensuite l'objet d'une inscription au sein de son rapport annuel. Il importe par ailleurs que les décisions de l'ADVP reçoivent la plus large publicité afin que la jurisprudence déontologique de cet organisme soit connue de tous.

[6] Notons d'ailleurs (mais telle n'était pas sa lettre de mission, que la commission Jospin n'a pas évoqué une extension possible de la compétence de cette Autorité de déontologie de la vie publique aux conflits d'intérêts concernant les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale. Or sa dénomination même devrait inciter à la mise en place de de cette compétence élargie

[7] Par neutralité nous entendons celle introduite par la "théorie de la firme". Il s'agit de rendre responsable le manageur de ses propres actions devant le conseil d'administration qui représente l'émanation des actionnaires (ici le gouvernement, émanation très indirecte des électeurs dans le cadre de la Vème république.